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fantasie. Hommes bien miserables et escervellez, | derant sa sapience eternelle, et sa divinité par qui taschent d'estre pires qu'ils ne peuvent!

L'erreur du paganisme, et l'ignorance de nostre saincte Verité, laissa tumber cette grande ame de Platon, mais grande d'humaine grandeur seulement, encores en cet aultre voysin abus, que les enfants et les vicillards se treuvent plus susceptibles de religion : » comme si elle naissoit et tiroit son credit de nostre imbecillité. Le nœud

qui debvroit attacher nostre iugement et nostre et volonté, qui debvroit estreindre nostre ame, ioindre à nostre createur, ce debvroit estre un nœud prenant ses replis et ses forces, non pas de nos considerations, de nos raisons et passions, mais d'une estreincte divine et supernaturelle, n'ayant qu'une forme, un visage et un lustre, qui est l'auctorité de Dieu et sa grace. Or nostre cœur et nostre ame estant regie et commandee par la foy, c'est raison qu'elle tire au service de son desseing toutes nos aultres pieces, selon leur portee. Aussi n'est il pas croyable que toute cette machine n'ayt quelques marques empreintes de la main de ce grand architecte, et qu'il n'y ayt quelque image ez choses du monde rapportant aulcunement à l'ouvrier qui les a basties et formees. Il a laissé en ces haults ouvrages le charactere de sa divinité, et ne tient qu'à nostre imbecillité que nous ne le puissions descouvrir : Que ses c'est ce qu'il nous dict luy mesme, « operations invisibles, il nous les manifeste par les visibles. » Sebond s'est travaillé à ce digne estude, et nous monstre comment il n'est piece du monde qui desmente son facteur. Ce seroit faire tort à la bonté divine, si l'univers ne consentoit à nostre creance : le ciel, la terre, les elements, nostre corps et nostre ame, toutes choses y conspirent; il n'est que de trouver le moyen de s'en servir: elles nous instruisent, si nous sommes capables d'entendre; car ce monde est un temple tres sainct, dedans lequel l'homme est introduict pour y contempler des statues, non ouvrees de mortelle main, mais celles que la divine pensee a faict sensibles, le soleil, les estoiles, les eaux et la terre, pour nous representer les intelligibles. - Les choses invisibles de Dieu, dict sainct Paul, apparoissent par la creation du monde, consi

1 < Tout ainsi que par ce peu de lumiere que nous avons la nuiet, nous imaginons la lumiere du soleil, qui est esloingné de nous; de mesme, par l'estre du monde que nous cognoissons, nous argumentons l'estre de Dieu, qui nous est caché, etc. »> R. SEBOND, Theolog. naturelle, c. 24, traduction de Montaigne.

2 Epitre aux Romains, c. I, v. 20. C.

ses œuvres. »>

Atque adeo faciem cœli non invidet orbi

Ipse Deus, vultusque suos, corpusque recludit
Semper volvendo; seque ipsum inculcat, et offert :
Ut bene cognosci possit, doceatque videndo
Qualis eat, doceatque suas attendere leges'.

Or nos raisons et nos discours humains, c'est comme la matiere lourde et sterile : la grace de Dieu en est la forme; c'est elle qui y donne la façon et le prix. Tout ainsi que les actions ver

tueuses de Socrates et de Caton demeurent vai-
nes et inutiles pour n'avoir eu leur fin, et n'avoir
regardé l'amour et obeïssance du vray createur
de toutes choses, et pour avoir ignoré Dieu : ain-
sin est il de nos imaginations et discours; ils ont
quelque corps, mais une masse informe, sans fa-
çon et sans iour, si la foy et grace de Dieu n'y
sont ioinctes. La foy venant à teindre et illus-
trer les arguments de Sebond, elle les rend fer-
mes et solides : ils sont capables de servir d'ache-
minement et de premier guide à un apprentif,
pour le mettre à la voye de cette cognoissance;
ils le faconuent aulcunement, et rendent capa-
ble de la grace de Dieu, par le moyen de laquelle
se parfournit et se perfect aprez nostre creance.
Ie sçay un homme d'auctorité, nourry aux let-
tres, qui m'a confessé avoir esté ramené des er-
reurs de la mescreance, par l'entremise des ar-
guments de Sebond. Et quand on les despouillera
de cet ornement et du secours et approbation de
la foy, et qu'on les prendra pour fantasies pures
humaines, pour en combattre ceux qui sont pre-
cipitez aux espoventables et horribles tenebres
de l'irreligion, ils se trouveront encores lors aussi
solides et autant fermes que nuls aultres de
mesme condition qu'on leur puisse opposer: de
façon que nous serons sur les termes de dire à
nos parties,

Si melius quid habes, arcesse; vel imperium for 2;
qu'ils souffrent la force de nos preuves, ou qu'ils
nous en facent veoir ailleurs, et sur quelque aul
tre subiect, de mieulx tissues et mieulx estoffees.
Ie me suis, sans y penser, à demy desia engagé
dans la seconde objection à laquelle i'avoy pro-
Sebond.
posé de respondre pour
Aulcuns disent que ses arguments sont foibles

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der la nature et les causes, il leur met en avant certaines experiences cogneues et indubitables ausquelles l'homme confesse ne rien veoir; et cela faict il, comme toutes aultres choses, d'une curieuse et ingenieuse recherche. Il fault plus faire, et leur apprendre que pour convaincre la foiblesse de leur raison, il n'est besoing d'aller triant des rares exemples; et qu'elle est si manque et si aveugle, qu'il n'y a nulle si claire facilité qui luy soit assez claire; que l'aysé et le mal aysé luy sont un; que touts subiects egualement, et la nature en general desadvoue sa iurisdiction et entremise.

Que nous presche la Verité, quand elle nous presche de fuyr la mondaine philosophie1; quand elle nous inculque si souvent2 Que nostre sagesse n'est que folie devant Dieu; Que de toutes les vanitez, la plus vaine c'est l'homme; Que l'homme qui presume de son sçavoir, ne sçait pas encores que c'est que sçavoir; et Que l'homme, qui n'est rien, s'il pense estre quelque chose, se seduict soy mesme et se trompe? Ces sentences du sainct Esprit expriment si clairement et si vifvement ce que ie veulx maintenir, qu'il ne me fauldroit aulcune aultre preuve contre des gents qui se rendroient avecques toute soubmission et obeïssance à son auctorité : mais ceulx cy veulent estre fouettez à leurs propres despens, et ne veulent souffrir qu'on combatte leur raison que par elle mesme.

et ineptes à verifier ce qu'il veult; et entrepren- | esté, desquelles nostre discours ne sçauroit fonnent de les chocquer ayseement. Il fault secouer ceux cy un peu plus rudement; car ils sont plus dangereux et plus malicieux que les premiers. On couche volontiers les dicts d'aultruy à la faveur des opinions qu'on a preiugees en soy à un atheïste, touts escripts tirent à l'a- | theïsme; il infecte de son propre venin la matiere innocente. Ceulx cy ont quelque preoccupation de iugement qui leur rend le goust fade aux raisons de Sebond. Au demourant, il leur semble qu'on leur donne beau ieu, de les mettre en liberté de combattre nostre religion par les armes pures humaines, laquelle ils n'oseroient attaquer en sa maiesté pleine d'auctorité et de commandement. Le moyen que ie prens pour rabbattre cette frenesie, et qui me semble le plus propre, c'est de froisser et fouler aux pieds l'orgueil et l'humaine fierté; leur faire sentir l'inanité, la vanité et deneantise de l'homme; leur arracher des poings les chestifves armes de leur raison; leur faire baisser la teste et mordre la terre soubs l'auctorité et reverence de la maiesté divine. C'est à elle seule qu'appartient la science et la sapience; elle seule qui peult estimer de soy quelque chose, et à qui nous desrobbons ce que nous nous comptons et ce que nous nous prisons. Où yàp i poνέειν ἄλλον μέγα ὁ Θεὸς, ἢ ἑωυτόν *. Abbattons ce cuider, premier fondement de la tyrannie du maling esprit : Deus superbis resistit; humilibus autem dat gratiam'. L'intelligence est en touts les dieux, dict Platon3, et point ou peu aux hommes. Or c'est ce pendant beaucoup de consolation à l'homme chrestien, de veoir nos utils mortels et caducques si proprement assortis à nostre foy saincte et divine, que lorsqu'on les employe aux subiects de leur nature mortels et caducques, ils n'y soyent pas appropriez plus uniement, ny avec plus de force. Veoyons donc si l'homme a en sa puissance d'aultres raisons plus fortes que celles de Sebond; voire s'il est en luy d'arriver à aulcune certitude par argument et par discours. Car sainct Augustin 4 plaidant contre ces gents icy, a occasion de reprocher leur iniustice, en ce qu'ils tiennent faulses les parties de nostre creance que nostre raison fault à establir; et pour monstrer qu'assez de choses peuvent estre et avoir

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Considerons doncques pour cette heure l'homme seul, sans secours estrangier, armé seulement de ses armes, et despourveu de la grace et cognoissance divine, qui est tout son honneur, sa force, et le fondement de son estre: veoyons combien il a de tenue en ce bel equippage. Qu'il me face entendre, par l'effort de son discours, sur quels fondements il a basty ces grands advantages qu'il pense avoir sur les aultres creatures. Qui luy a persuadé que ce bransle admirable de la voulte celeste, la lumiere eternelle de ces flambeaux roulants si fierement sur sa teste, les mouvements espoventables de cette mer infinie, soyent establis, et se continuent tant de siecles, pour sa commodité et pour son service? Est il possible de rien imaginer si ridicule, que cette miserable et chestifve creature, qui n'est pas seulement maistresse de soy, exposee aux offenses de toutes choses, se die maistresse et emperiere de l'univers, duquel il n'est pas en sa puis1 S. PAUL aux Colossiens, II, 8. C.

2 ID. aux Corinthiens, I, 3, 19. C.

sance de cognoistre la moindre partie, tant s'en fault de la commander? Et ce privilege qu'il s'attribue d'estre seul en ce grand bastiment qui ayt la suffisance d'en recognoistre la beaulté et les pieces, seul qui en puisse rendre graces à l'architecte, et tenir compte de la recepte et mise du monde; qui luy a scellé ce privilege? Qu'il nous monstre lettres de cette belle et grande charge: ont elles esté octroyees en faveur des sages seulement? elles ne touchent gueres de gents: les fols et les meschants sont ils dignes de faveur si extraordinaire, et estants la pire piece du monde, d'estre preferez à tout le reste ? En croirons nous cettuy là 1? Quorum igitur causa quis dixerit effectum esse mundum? Eorum scilicet animantium, quæ ratione utuntur; hi sunt dii et homines, quibus profecto nihil est melius: nous n'aurons iamais assez baffoué l'impudence de cet accouplage. Mais, pauvret, qu'a il en soy digne d'un tel advantage? A considerer cette vie incorruptible des corps celestes, leur beaulté, leur grandeur, leur agitation continuee d'une si iuste reigle;

Quum suspicimus magni cœlestia mundi

Templa super, stellisque micantibus æthera fixum,
Et venit in mentem lunæ solisque viarum2;

à considerer la domination et puissance que ces corps là ont, non seulement sur nos vies et conditions de nostre fortune,

Facta etenim et vitas hominum suspendit ab astris3, mais sur nos inclinations mesmes, nos discours, nos volontez, qu'ils regissent, poulsent et agitent à la mercy de leurs influences, selon que nostre raison nous l'apprend et le treuve; Speculataque longe

Deprendit tacitis dominantia legibus astra,
Et totum alterna mundum ratione moveri,
Fatorumque vices certis discurrere signis 4;

à veoir que non un homme seul, non un roy, mais les monarchies, les empires, et tout ce bas monde se meut au bransle des moindres mouvements celestes;

Le stoïcien Balbus, qui, dans Cicéron, de Nat. deor. II, 54, parle ainsi : Quorum igitur, etc. « Pour qui dirons-nous donc que le monde a été fait ? C'est sans doute pour les ètres animés qui ont l'usage de la raison, savoir, les dieux et les hommes, qui sont les plus parfaits de tous les êtres. »

2 Quand on contemple au-dessus de sa tête ces immenses voûtes du monde, et les astres dont elles étincellent; quand on réfléchit sur le cours réglé de la lune et du soleil. LUCRECE, V, 1203.

Car la vie et les actions des hommes dépendent de l'influence des astres. MANIL. III, 58.

4 Elle reconnait que ces astres que nous voyons si éloignés de nous, ont sur l'homme un secrèt empire; que les mouvements de l'univers sont assujettis à des lois périodiques, et

MONTAIGNE.

Quantaque quam parvi faciant discrimina motus.... Tantum est hoc regnum, quod regibus imperat ipsis '! si nostre vertu, nos vices, nostre suffisance et science, et ce mesme discours que nous faisons de la force des astres, et cette comparaison d'eulx à nous, elle vient, comme iuge nostre raison, par leur moyen et de leur faveur : Furit alter amore,

Et pontum tranare potest, et vertere Troiam;
Alterius sors est scribendis legibus apta.
Ecce patrem nati perimunt, natosque parentes;
Mutuaque armati coeunt in vulnera fratres.
Non nostrum hoc bellum est; coguntur tanta movere,
Inque suas ferri pœnas, lacerandaque membra.

Hoc quoque fatale est, sic ipsum expendere fatum 2: si nous tenons de la distribution du ciel cette part de raison que nous avons, comment nous pourra elle egualer à luy? comment soubmettre à nostre science son essence et ses conditions? Tout ce que nous veoyons en ces corps là nous estonne : quæ molitio, quæ ferramenta, qui vecles, quæ machinæ, qui ministri tanti operis fuerunt 3? Pourquoy les privons nous et d'ame, et de vie, et de discours? y avons nous recogneu quelque stupidité immobile et insensible, nous qui n'avons aulcun commerce avecques eulx, que l'obeïssance? Dirons nous que nous n'avons veu, en nulle aultre creature qu'en l'homme, l'usage d'une ame raisonnable? Eh quoy! avons nous veu quelque chose semblable au soleil? laisse il d'estre, parce que nous n'avons rien veu de semblable? et ses mouvements, d'estre, parce qu'il n'en est point de pareils? Si ce que nous n'avons pas veu n'est pas, nostre science est merveilleusement raccourcie quæ sunt tantæ animi angustiæ 4! Sont ce pas des songes de l'humaine vanité, de faire de la lune une terre celeste? y songer des montaignes, des vallees, comme Anaxagoras? y planter des habitations et demeures humaines, et y dresser des colonies pour nostre commodité,

que l'enchainement des destinées est déterminé par des signes certains. MANIL. I, 60.

Que les plus grands changements sont produits par ces mouvements insensibles, dont l'empire suprême s'étend jusque sur les rois. MANIL. I, 55; IV, 93.

2 L'un, furieux d'amour, brave une mer orageuse pour causer la ruine de Troie, sa patrie. L'autre est destiné, par le sort, à composer des lois. Ici les fils assassinent leurs pères; là les pères égorgent leurs fils, et les frères arment contre leurs frères des mains sacriléges. N'accusons point les hommes de ces crimes : le destin les entraîne, et les force à se déchirer, à se punir de leurs propres mains... Et si je parle ainsi du destin, c'est que le destin l'a voulu. MANIL. IV, 79,

118.

3 Quels instruments, quels leviers, quelles machines, quels ouvriers ont élevé un si vaste édifice? Cic. de Nat. deor. I, 8. 4 Ah! que les bornes de notre esprit sont étroites! Cic. de Nat. deor. I, 31.

15

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Ce default qui empesche la communication d'entre elles et nous, pourquoy n'est il aussi bien à nous qu'à elles? c'est à deviner à qui est la faulte de ne nous entendre point; car nous ne les entendons non plus qu'elles nous : par cette mesme raison, elles nous peuvent estimer bestes, comme nous les en estimons. Ce n'est pas grand merveille si nous ne les entendons pas aussi ne faisons nous les Basques et les Troglodytes. Toutesfois aulcuns se sont vantez de les entendre, comme Appollonius Tyaneus', Melampus, Tiresias, Thales, et aultres. Et puis qu'il est ainsi, comme disent les cosmographes, qu'il y a des nations qui receoivent un chien pour leur roy2, il fault bien qu'ils donnent certaine interpretation à sa voix et mouvements. Il nous fault remarquer la parité qui est entre nous nous avons quelque moyenne intelligence de leurs sens; aussi ont les bestes des nostres, environ à mesme mesure : elles nous flattent, nous menacent, et nous requierent; et nous elles. Au demourant, nous descouvrons bien evidemment qu'entre elles il y a une pleine et entiere communication, et qu'elles s'entr'entendent, non seulement celles de mesme espece, mais aussi d'especes diverses :

[cunt 3.

La presumption est nostre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fragile de toutes les creatures, c'est l'homme, et quand et quand la plus orgueilleuse : elle se sent et se veoid logee icy parmy la bourbe et le fient du monde, attachee et clouee à la pire, plus morte et croupie partie de l'univers, au dernier estage du logis et le plus esloingné de la voulte celeste, avecques les animaulx de la pire condition des trois; et se va plantant par imagination au dessus du cercle de la lune, et ramenant le ciel soubs ses pieds. C'est par la vanité de cette mesme imagination qu'il s'eguale à Dieu, qu'il s'attribue les conditions divines, qu'il se trie soy mesme et separe de la presse des aultres creatures, taille les parts aux animaulx ses confreres et compaignons, et leur distribue telle portion de facultez et de forces que bon luy semble. Comment cognoist il, par l'effort de son intelligence, les bransles internes et secrets des animaulx? par quelle comparaison d'eulx à nous conclud i la bestise qu'il leur attribue? Quand ie me ioue à ma chatte, qui sçait si elle passe son temps de moy, plus que ie ne fois d'elle? nous nous entretenons de singeries reciproques: si i'ay mon heure de commencer ou de refuser, aussi a elle la sienne. Platon, en sa peincture de l'aage doré soubs Saturne3, compte entre les principaulx advantages de l'homme de lors, la communication qu'il avoit avecques les bestes, desquelles s'enquerant et s'instruisant, il sçavoit les vrayes qualitez et differences de chascune d'icelles; par où il acqueroit une tres parfaicte intelligence et prudence, et en conduisoit de bien loing plus heureusement sa vie que nous ne sçaurions faire. Nous fault illa perfection de se sçavoir faire entendre. Les meilleure preuve à iuger l'impudence humaine sur le faict des bestes? Ce grand aucteur a opiné qu'en la pluspart de la forme corporelle que nature leur a donnee, elle a regardé seulement l'usage des prognostications qu'on en tiroit en son temps.

Entre autres maux attachés à la nature humaine, est cet aveuglement de l'àme qui force l'homme à errer, et qui lui fait encore chérir ses erreurs. SÉNÈQUE, de Ira, II, 9.

2 Le corps, sujet à la corruption, appesantit l'âme de l'homme, et cette enveloppe grossière abaisse sa pensée ambitieuse et l'attache à la terre. Liv. de la Sagesse, IX, 15, cité par saint Augustin, de Civit. Dei, XII, 15.

3 Dans le Politique, t. II, p. 272. C.

Et mutæ pecudes, et denique secla ferarum Dissimiles suerunt voces variasque ciere, Quum metus aut dolor est, aut quum iam gaudia glisEn certain abbayer du chien, le cheval cognoist qu'il y a de la cholere; de certaine aultre sienne voix, il ne s'effroye point. Aux bestes mesmes qui n'ont point de voix, par la societé d'offices que nous veoyons entre elles, nous argumentons ayseement quelque aultre moyen de communication; leurs mouvements discourent et traictent : Non alia longe ratione atque ipsa videtur

Protrahere ad gestum pueros infantia lingua 4. Pourquoy non? tout aussi bien que nos muets disputent, argumentent, et content des histoires par signes i'en ay veu de si soupples et formez à cela, qu'à la verité il ne leur manquoit rien à

amoureux se courroucent, se reconcilient, se prient, se remercient, s'assignent, et disent enfin toutes choses des yeulx :

1 PHILOSTRATE, Vie d'Apollonius de Tyane, I, 20. — Me lampus, APOLLODORE, I, 9, II. Tiresias, ID. III, 6, 7, etc. C.

2 PLINE, Nat. Hist. VI, 30. C.

3 Les animaux domestiques et les bêtes féroces font entendre des sons différents, selon que la crainte, la douleur ou la joie agissent en eux. LUCRÈCE, V, 1058.

4 Ainsi l'impuissance de se faire entendre par des bégayements force les enfants à recourir aux gestes. LUCRÈCE, V,

1029.

E'l silenzio ancor suole
Aver prieghi e parole1.

Esse apibus partem divinæ mentis, et haustus
Æthereos, dixere'.

Les arondelles, que nous veoyons au retour du printemps fureter touts les coings de nos maisons, cherchent elles sans iugement, et choisissent elles sans discretion, de mille places, celle qui leur est la plus commode à se loger? Et en cette belle et admirable contexture de leurs bastiments, les oyseaux peuvent ils se servir plustost d'une figure quarree que de la ronde, d'un angle obtus que d'un angle droit, sans en sçavoir les conditions et les effects? prennent ils tantost de l'eau, tantost de l'argille, sans iuger que la dureté s'amollit en l'humectant? planchent ils de

Quoy des mains? nous requerons, nous promettons, appellons, congedions, menaceons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doubtons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, iurons, tesmoignons, accusons, condemnons, absolvons, iniurions, mesprisons, desfions, despitons, flattons, applaudissons, benissons, humilions, mocquons, reconcilions, recommendons, exaltons, festoyons, resiouïssons, complaignons, attristons, desconfortons, desesperons, estonnons, escrions, taisons, et quoy non? d'une variation et multi-mousse leur palais, ou de duvet, sans preveoir que plication à l'envy de la langue. De la teste, nous convions, renvoyons, advouons, desadvouons, desmentons, bienveignons, honnorons, venerons, desdaignons, demandons, esconduisons, esguayons, lamentons, caressons, tansons, soubmettons, bravons, enhortons, menaceons, asseurons, enquerons. Quoy des sourcils? quoy des espaules? Il n'est mouvement qui ne parle, et un langage intelligible sans discipline, et un langage publicque; qui faict, veoyant la varieté et usage distingué des aultres, que cettuy cy doibt plustost estre iugé le propre de l'humaine nature. le laisse à part ce que particulierement la necessité en apprend soubdain à ceulx qui en ont besoing; et les alphabets des doigts, et grammaires en gestes; et les sciences qui ne s'exercent et ne s'expriment que par iceulx; et les nations que Pline diet n'avoir point d'aultre langue. Un ambassadeur de la ville d'Abdere, aprez avoir longuement parlé au roy Agis de Sparte, luy demanda : « Et bien, sire, quelle response veulx tu que ie rapporte à nos citoyens? Que ie t'ay laissé dire tout ce que tu as voulu, et tant que tu as voulu, sans iamais dire un mot 3. » Voylà pas un taire parlier, et bien intelligible?

Au reste, quelle sorte de nostre suffisance ne recognoissons nous aux operations des animaulx? Est il police reiglee avecques plus d'ordre, diversifiee à plus de charges et d'offices, et plus constamment entretenue que celle des mouches à miel? cette disposition d'actions et de vacations si ordonnee, la pouvons nous imaginer se conduire sans discours et sans prudence?

His quidam signis atque hæc exempla sequuti,

Le silence même a son langage; il sait prier, il sait se faire entendre. Aminta del Tasso, atto II, nel choro, v. 34. 2 Liv. VI, c. 30. C.

3 PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens. C.

les membres tendres de leurs petits y seront plus mollement et plus à l'ayse? se couvrent ils du vent pluvieux, et plantent leur loge à l'orient, sans cognoistre les conditions differentes de ces vents, et considerer que l'un leur est plus salutaire que l'aultre? Pourquoy espessit l'araignee sa toile en un endroict, et relasche en un aultre; se sert à cette heure de cette sorte de noeud, tantost de celle là, si elle n'a et deliberation, et pensement, et conclusion? Nous recognoissons assez, en la pluspart de leurs ouvrages, combien les animaulx ont d'excellence au dessus de nous, et combien nostre art est foible à les imiter : nous veoyons toutesfois aux nostres, plus grossiers, les facultez que nous y employons, et que nostre ame s'y sert de toutes ses forces; pourquoy n'en estimons nous autant d'eulx? pourquoy attribuons nous à ie ne sçay quelle inclination naturelle et servile les ouvrages qui surpassent tout ce que nous pouvons par nature et par art? En quoy, sans y penser, nous leur donnons un tres grand advantage sur nous, de faire que nature, par une doulceur maternelle, les accompaigne et guide, comme par la main, à toutes les actions et commoditez de leur vie ; et qu'à nous elle nous abbandonne au hazard et à la fortune, et à quester par art les choses necessaires à nostre conservation; et nous refuse quand et quand les moyens de pouvoir arriver, par aulcune institution et contention d'esprit, à la suffisance naturelle des bestes : de maniere que leur stupidité brutale surpasse en toutes commoditez tout ce que peult nostre di vine intelligence. Vrayement, à ce compte, nous aurions bien raison de l'appeller une tres iniuste

I Frappés de ces merveilles, des sages ont pensé qu'il y avait dans les abeilles une parcelle de la divine intelligence. VIRG. Georg. IV, 219.

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