Page images
PDF
EPUB

148

merveilleusement à coups de grands arcs et forts, et de sagettes si longues, qu'à les reprendre à la main, on les pouvoit reiecter à la mode d'un dard, et perceoient de part en part un bouclier et un homme armé1. Les engeins, que Dionysius inventa à Syracuse, à tirer des gros traicts massifs et des pierres d'horrible grandeur, d'une si longue volee et impetuosité, representoient de bien prez nos inventions.

Et Numidæ infræni cingunt 1.

Equi sine frænis; deformis ipse cursus,
cervice, et extento capite currentium 1.

rigida

Le roy Alphonse', celuy qui dressa en Espaigne l'ordre des chevaliers de la Bande ou de l'Escharpe, leur donna, entre aultres reigles, de ne monter ny mule ny mulet, sur peine d'un marc d'argent d'amende, comme ie viens d'apprendre dans les Lettres de Guevara, desquelles ceulx qui les ont appellees Dorees faisoient iugement bien aultre que celuy que i'en fois 4. Le Courti5 dict qu'avant son temps c'estoit reproche à un gentilhomme d'en chevaucher. Les Abyssins, au rebours, à mesure qu'ils sont les plus advancez prez le Pretteian leur prince, affectent pour la dignité et pompe de monter de grandes

san

Encores ne fault il pas oublier la plaisante as-
siette qu'avoit sur sa mule un maistre Pierre Pol,
docteur en theologie, que Monstrelet recite avoir
accoustumé se promener par la ville de Paris,
assis de costé comme les femmes. Il dict aussi
ailleurs que les Gascons 3 avoient des chevaulx
de-
terribles, accoustumez de virer en courant,
quoy les François, Picards, Flamands et Braban-mules.
çons faisoient grand miracle, « pour n'avoir ac-
coustumé de les veoir; » ce sont ses mots. Cesar
parlant de ceulx de Suede 4: « Aux rencontres
qui se font à cheval, dict il 5, ils se iectent sou-
vent à terre pour combattre à pied, ayant accous-
tumé leurs chevaulx de ne bouger ce pendant de
la place, ausquels ils recourent promptement,
s'il en est besoing; et selon leur coustume, il n'est
rien si vilain et si lasche que d'user de selles et
bardelles; et mesprisent ceulx qui en usent: de
maniere que, fort peu en nombre, ils ne crai-
gnent pas d'en assaillir plusieurs. » Ce que i'ay
admiré aultrefois, de veoir un cheval dressé à
se manier à toutes mains avecques une baguette,
la bride avallee sur ses aureilles, estoit ordinaire
aux Massy liens, qui se servoient de leurs chevaulx
sans selle et sans bride :

Et gens quæ nudo residens Massylia dorso,
Ora levi flectit, frænorum nescia, virga 7.

1 XÉNOPHON, Anabase, V, 2. C.

La catapulte, dont Élien attribue l'invention à Denys lui-même, Var. hist. VI, 12. Diodore de Sicile, XIV, 42, dit simplement que la catapulte fut inventée à Syracuse du temps de Denys l'Ancien. Pline, VII, 56, prétend que les Syro-Phé niciens s'en servirent les premiers. Voyez Juste-Lipse, Poliorcet. III, 2. J. V. L.

3 Monstrelet, vol. I, c. 66, y joint les Lombards. C.

4 Lisez de Suève ou de Souabe, peuple d'Allemagne que César nomme expressément Suevorum gens (de Bell. gall. IV, 1). La Suède était inconnue aux Romains du temps de César, ce qu'apparemment Montaigne savait fort bien. Suède doit donc être ici une faute d'impression, mais qui se trouve dans toutes les éditions que j'ai pu consulter. C.

5 De Bell. gall. IV, 2. Les Bretons avaient un usage semblable, ibid. c. 33. J. V. L.

6 Montaigne, dans son Voyage en Italie, t. II, p. 508, édit. de 1774, dit qu'il fut témoin de ce spectacle donné à Rome, aux thermes de Dioclétien, le 8 octobre 1581, par un Italien qui avait été longtemps esclave en Turquie. J. V. L.

7 Les Massyliens montent leurs chevaux à nu, et les font obéir à une simple verge, qui leur tient lieu de frein. LUCAIN, IV, 682.

Xenophon recite que les Assyriens tenoient tousiours leurs chevaux entravez au logis, tant ils estoient fascheux et farouches; et qu'il falloit tant de temps à les destacher et harnacher, que pour que cette longueur ne leur apportast dommage, s'ils venoient à estre en desordre surprins par les ennemis, ils ne logeoient iamais en camp qui ne feust fossoyé et remparé. Son Cyrus, si grand maistre au faict de chevalerie, mettoit les chevaulx de son escot, et ne leur faisoit bailler à manger qu'ils ne l'eussent gaigné par la sueur de quelque exercice. Les Scythes, où la necessang de sité les pressoit en la guerre, tiroient du leurs chevaulx, et s'en abbruvoient et nourrissoient :

Venit et epoto Sarmata pastus equo 7. Ceulx de Crete, assiegez par Metellus, se trouverent en telle disette de tout aultre bruvage, qu'ils eurent à se servir de l'urine de leurs chevaulx 8.

Pour verifier combien les armees turquesques se conduisent et maintiennent à meilleure raison que les nostres, ils disent qu'oultre ce que soldats ne boivent que de l'eau, et ne mangent

les

Et les Numides conduisant leurs chevaux sans frein. VIRG. Énéide, IV, 41.

2 Leurs chevaux sans frein ont l'allure désagréable, l'encolure roide, et la tête tendue en avant. TrFE-LIVE, XXXV,

II.

3 Alphonse XI, roi de Léon et de Castille, mort en 1350, & trente-huit ans.

4 Voyez BAYLE, au mot Guevara, note H.

5 C'est un ouvrage publié en italien par Balthasar Castiglione en 1528, sous le titre del Cortegiano. Le passage cile par Montaigne est au commencement du second livre. C. 6 Cyropédie, III, 3. C.

7 On y voit le Sarmate qui se nourrit du sang de cheval, MARTIAL, Spectacul. lib. épigr. 3, v. 4.

8 VALÈRE MAXIME, VII, 6, ext. 1. C.

رائع

que riz et de la chair salee mise en pouldre (de- | devant à pied, et leur presentoit un gobeau de quoy chascun porte ayseement sur soy provision | laict de iument (bruvage qui leur est en delipour un mois), ils sçavent aussi vivre du sang ces); et si en beuvant, quelque goutte en tumde leurs chevaulx, comme les Tartares et Mos- boit sur le crin de leurs chevaulx, il estoit tenu covites, et le salent. de la leicher avec la langue'. En Russie, l'armee que l'empereur Baiazet y avoit envoyee, feut accablee d'un si horrible ravage de neiges, que pour s'en mettre à couvert et sauver du froid, plusieurs s'adviserent de tuer et esventrer leurs chevaulx pour se iecter dedans, et iouyr de cette chaleur vitale. Baiazet, aprez cet aspre estour où il feut rompu par Tamburlan2, se sauvoit belle erre3 sur une iument arabesque, s'il n'eust esté contrainct de la laisser boire son saoul au passage d'un ruisseau; ce qui la rendit si flacque et refroidie, qu'il feut bien ayseement aprez acconsuyvi par ceulx qui le poursuyvoient. On dict bien qu'on les lasche les laissant pisser; mais le boire, i'eusse plustost estimé qu'il l'eust renforcee.

Ces nouveaux peuples des Indes, quand les Espaignols y arriverent, estimerent, tant des hommes que des chevaulx, que ce feussent ou dieux, ou animaulx en noblesse au dessus de leur nature: aulcuns, aprez avoir esté vaincus, venants demander paix et pardon aux hommes, et leur apporter de l'or et des viandes, ne faillirent d'en aller autant offrir aux chevaulx, avecques une toute pareille harangue à celle des hommes, prenants leur hennissement pour langage de composition et de trefve.

Aux Indes de deçà, c'estoit anciennement le principal et royal honneur de chevaucher un elephant; le second, d'aller en coche traisné à quatre chevaulx; le tiers, de monter un chameau; le dernier et plus vil degré, d'estre porté ou charrié par un cheval seul 1. Quelqu'un de nostre temps escrit avoir veu, en ce climat là, des païs où on chevauche les boeufs avecques bastines, estriers et brides, et s'estre bien trouvé de leur porture.

Quintus Fabius Maximus Rutilianus 2, contre les Samnites, voyant que ses gents de cheval, à trois ou quatre charges, avoient failly d'enfoncer le battaillon des ennemis, print ce conseil : qu'ils desbridassent leurs chevaulx, et brochassent3 à toute force des esperons; si que rien ne les pouvant arrester au travers des armes et des hommes renversez, ils ouvrirent le pas à leurs gents de pied, qui parfirent une tres sanglante desfaicte. Autant en commanda Quintus Fulvius Flaccus contre les Celtiberiens: Id cum maiore viequorum facietis, si effrænatos in hostes equos immittitis; quod sæpe romanos equites cum laude fecisse sua, memoriæ proditum est... Detractisque frænis, bis ultro citroque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt 4.

Le duc de Moscovie debvoit anciennement cette reverence aux Tartares, quand ils envoyoient vers luy des ambassadeurs, qu'il leur alloit au 'ARRIEN, Hist. Ind. c. 17. C.

• Ou plutôt Rullianus. TITE-LIVE, VII, 30. C. 3 Piquassent. E. J.

4 Pour que leur choc soit plus impétueux, débridez vos chevaux, dit-il c'est une manœuvre dont le succès a souvent fait le plus grand honneur à la cavalerie romaine... A peine l'ordre est-il donné, qu'ils débrident leurs chevaux, percent les rangs ennemis, brisent toutes les lances, reviennent sur leurs pas, et font un grand carnage. TITE-LIVE, XL, 40.

[ocr errors]

Croesus passant le long de la ville de Sardis, y trouva des pastis où il y avoit grande quantité de serpents, desquels les chevaulx de son armee mangeoient de bon appetit; qui feut un mauvais prodige à ses affaires, dict Herodote 4.

Nous appellons un cheval entier, qui a crin et aureille; et ne passent les aultres à la monstre 5: les Lacedemoniens ayants desfaict les Atheniens en la Sicile, retournants de la victoire en pompe en la ville de Syracuse, entre aultres bravades, feirent tondre les chevaulx vaincus, et les menerent ainsin en triumphe 6. Alexandre combattit une nation, Dahas 7 : ils alloient deux à deux armez à cheval à la guerre; mais en la meslee, l'un descendoit à terre, et combattoient ores à pied, ores à cheval, l'un aprez l'aultre.

Voyez la Chronique de Moscovie, par P. Petrius, Suédois, imprimée en allemand, à Leipsick, en 1620, in-4o, part. II, p. 159. Cette espèce d'esclavage commença vers le milieu

du treizième siècle, et dura près de deux cent soixante ans. C. 2 En 1401. On dit plus communément aujourd'hui Tamer lan. C.

3 En grande háte. Ce mot est singulièrement placé dans une ballade de la Fontaine :

Et je maintiens, comme article de foi,
Qu'en débridant matines à grand'erre,
Les augustins sont serviteurs du roi.

Si l'on en croyait le Dictionnaire de l'Académie, grand'erre et
belle erre seraient encore en usage. J.V. L.-Dans l'édit. de 1835,
l'Académie dit formellement que ces locutions ont vieilli. DD.
4 Liv. I, c. 78. J. V. L.

5 Et on n'en admet point d'autres dans les montres ou revues. Il me semble que les commentateurs n'avaient point compris cette phrase. J. V. L.

6 PLUTARQUE, Vie de Nicias, c. 10. C.

7 Montaigne emploie l'accusatif de Dahe, les Dahes. Voyez QUINTE-CURCE, VII, 7. C.

Ie n'estime point qu'en suffisance et en grace à cheval, nulle nation nous emporte. Bon homme de cheval, à l'usage de nostre parler, semble plus regarder au courage qu'à l'adresse. Le plus sçavant, le plus seur, le mieulx advenant à mener un cheval à raison, que i̇'aye cogneu, feut, à mon gré, monsieur de Carnavalet, qui en servoit nostre roy Henry second. l'ay veu homme 1 donner carriere à deux pieds sur sa selle, desmonter sa selle, et au retour la relever, reaccommoder, et s'y rasseoir, fuyant tousiours à bride avallee; ayant passé par dessus un bonnet, y tirer par derriere des bons coups de son arc; amasser ce qu'il vouloit, se iectant d'un pied à terre, tenant l'aultre en l'estrier; et aultres pareilles singeries, dequoy il vivoit.

On a veu de mon temps, à Constantinople, deux hommes sur un cheval, lesquels, en sa plus roide course, se reiectoient, à tours, à terre, et puis sur la selle et un qui, seulement des dents, bridoit et enharnachoit son cheval: un aultre qui, entre deux chevaulx, un pied sur une selle, l'aultre sur l'aultre, portant un second sur ses bras, picquoit à toute bride; ce second, tout debout sur luy, tirant, en la course, des coups bien certains de son arc: plusieurs qui, les iambes contremont, donnoient carriere, la teste plantee sur leurs selles entre les poinctes des cimeterres attachez au harnois. En mon enfance, le prince de Sulmone, à Naples, maniant un rude cheval de toute sorte de maniements, tenoit soubs ses genouils et soubs ses orteils, des reales 3, comme si elles y eussent esté clouees, pour montrer la fermeté de son assiette.

[blocks in formation]

nez à nostre mode: mais ie me plains de sa particuliere indiscretion de se laisser si fort piper et aveugler à l'auctorité de l'usage present, qu'il soit capable de changer d'opinion et d'advis touts les mois, s'il plaist à la coustume, et qu'il iuge si diversement de soy mesme. Quand il portoit le busc de son pourpoinct entre les mammelles, il maintenoit, par vifves raisons, qu'il estoit en son vray lieu : quelques annees aprez, le voylà avallé iusques entre les cuisses; il se mocque de son aultre usage, le treuve inepte et insupportable. La façon de se vestir presente luy faict incontinent condemner l'ancienne, d'une resolution si grande et d'un consentement si universel, que vous diriez que c'est quelque espece de manie qui luy tourneboule ainsi l'entendement. Parce que nostre changement est si subit et si prompt en cela, que l'invention de touts les tailleurs du monde ne sçauroit fournir assez de nouvelletez, il est force que bien souvent les formes mesprisees reviennent en credit, et celles là mesmes tumbent en mespris tantost aprez; et qu'un mesme iugement prenne, en l'espace de quinze ou vingt ans, deux ou trois, non diverses seulement, mais contraires opinions, d'une inconstance et legiereté incroyable. Il n'y a si fin entre nous qui ne se laisse embabouiner de cette contradiction, et esblouïr tant les yeulx internes que les externes insensiblement.

le veulx icy entasser aulcunes façons anciennes que i'ay en memoire, les unes de mesme les nostres, les aultres differentes; à fin qu'ayant en l'imagination cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le iugement plus esclaircy et plus ferme.

Ce que nous disons de combattre à l'espee et la cape, il s'usoit encores entre les Romains, ce dict Cesar sinistras sagis involvunt, gladiosque distringunt; et remarque dez lors en nostre nation ce vice, qui y est encores, d'arrester les passants que nous rencontrons en chemin 2, et de les forcer de nous dire qui ils sont, et de recevoir à iniure et occasion de querelle, s'ils refusent de nous respondre.

Aux bains que les anciens prenoient touts les iours avant le repas, et les prenoient aussi ordinairement que nous faisons de l'eau à laver les mains, ils ne se lavoient du commencement que

1 Ils s'enveloppent la main gauche de leurs saies, et tirent l'épée. CÉSAR, de Bello civili, I, 75.

2 CÉSAR, de Bello gallico. IV, 5. J. V. L.

les bras et les lambes '; mais depuis, et d'une coustume qui a duré plusieurs siecles et en la pluspart des nations du monde, ils se lavoient touts nuds d'eau mixtionnee et parfumee, de maniere qu'ils employoient pour tesmoignage de grande simplicité, de se laver d'eau simple. Les plus affettez et delicats se parfumoient tout le corps bien trois ou quatre fois par iour. Ils se faisoient souvent pinceter tout le poil, comme les femmes françoises ont prins en usage, depuis quelque temps, de faire leur front,

Quod pectus, quod crura tibi, quod brachia vellis, quoy qu'ils eussent des oignements propres à cela :

Psilotro nitet, aut acida latet oblita creta 3. Ils aymoient à se coucher mollement, et alleguent, pour preuve de patience, de coucher sur le matelats. Ils mangeoient couchez sur des licts, à peu prez en mesme assiette que les Turcs de nostre temps:

Inde toro pater Æneas sic orsus ab alto 4.

|

obscœne en latin: et estoit cette esponge attachee au bout d'un baston, comme tesmoigne l'histoire de celuy qu'on menoit pour estre presenté aux bestes devant le peuple, qui demanda congé d'aller à ses affaires; et n'ayant aultre moyen de se tuer, il se fourra ce baston et esponge dans le gosier, et s'en estouffa 1. Ils s'essuyoient le catze de laine parfumee, quand ils en avoient faict:

At tibi nil faciam, sed lota mentula lana *. Il y avoit aux carrefours à Rome des vaisseaux et demy cuves pour y apprester à pisser aux passants:

Pusi sæpe lacum propter, se, ac dolia curta, Somno devincti, credunt extollere vestem 3. Ils faisoient collation entre les repas. Et y avoit en esté des vendeurs de neige pour refreschir le vin ; et y en avoit qui se servoient de neige en hyver, ne trouvants pas le vin encores lors assez froid. Les grands avoient leurs eschansons et trenchants, et leurs fols pour leur donner du

Et dict on du ieune Caton 5, que depuis la bat- plaisir. On leur servoit en hyver la viande sur

taille de Pharsale, estant entré en dueil du mauvais estat des affaires publicques, il mangea tousiours assis, prenant un train de vie austere. Ils baisoient les mains aux grands, pour les honnorer et caresser. Et entre les amis, ils s'entrebaisoient en se saluant, comme font les Venitiens :

Gratatusque darem cum dulcibus oscula verbis 6; et touchoient aux genouils pour requerir et saJuer un grand. Pasiclez le philosophe, frere de Crates, au lieu de porter la main au genouil, la porta aux genitoires: celuy à qui il s'addressoit l'ayant rudement repoulsé : « Comment! dict il, cette partie n'est elle pas vostre, aussi bien que l'aultre 7?» Ils mangeoient, comme nous, le fruict à l'issue de la table 8. Ils se torchoient le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des paroles) avecques une esponge; voylà pourquoy spongia est un mot

[blocks in formation]

les fouyers qui se portoient sur la table; et avoient des cuisines portatives, comme i'en ay veu, dans lesquelles tout leur service se traisnoit aprez eulx.

lauti :

Has vobis epulas habete,
Nos offendimur ambulante cœna 4.

Et en esté, ils faisoient souvent, en leurs salles basses, couler de l'eau fresche et claire dans des canaulx au dessoubs d'eulx, où il y avoit force poisson en vie, que les assistants choisissoient et prenoient en la main, pour le faire apprester, chascun à sa poste5. Le poisson a tousiours eu ce privilege, comme il a encores, que les grands se meslent de le sçavoir apprester : aussi en est le goust beaucoup plus exquis que de la chair, au moins pour moy. Mais en toute sorte de magnificence, desbauche, et d'inventions voluptueuses, de mollesse et de sumptuosité, nous faisons à la verité ce que nous pouvons pour les egualer (car nostre volonté est bien aussi gastee que la leur); mais nostre suffisance n'y peult arriver : nos

■ SÉNÈQUE, Epist. 70. C.

2 Ce que Montaigne vient de dire nous dispense de traduire ce vers. MARTIAL, XI, 58, II.

3 Les petits enfants endormis croient souvent lever leur robe pour uriner dans les réservoirs publics destinés à cet usage. LUCRÈCE, IV, 1024.

4 Riches voluptueux, gardez ces mets pour vous: je n'aime pas un souper ambulant. MARTIAL, VII, 47, 4. Voyez aussi SÉNÈQUE, Epist. 78.

5 Ou à son goust, comme dans la première édition des Essais (Bordeaux, 1580), et dans celle de 1587, à Paris, chez J. Richer, laquelle ne contient aussi que deux livres. C.

forces ne sont non plus capables de les ioindre en ces parties là vicieuses, qu'aux vertueuses; car les unes et les aultres partent d'une vigueur d'esprit qui estoit sans comparaison plus grande en eulx qu'en nous : et les ames, à mesure qu'elles sont moins fortes, elles ont d'autant moins de moyen de faire ny fort bien ny fort mal.

Le hault bout d'entre eulx, c'estoit le milieu. Le devant et derriere n'avoient, en escrivant et parlant, aulcune signification de grandeur, comme il se veoid evidemment par leurs escripts : ils diront Oppius et Cesar aussi volontiers que Cesar et Oppius; et diront Moy et Toy indifferemment, comme Toy et Moy. Voylà pourquoy i'ay aultrefois remarqué, en la vie de Flaminius de Plutarque françois, un endroict où il semble que l'aucteur, parlant de la ialousie de gloire qui estoit entre les Aetoliens et les Romains, pour le gaing d'une battaille qu'ils avoient ob

tenu en commun, face quelque poids de ce qu'aux chansons grecques on nommoit les Aetoliens

avant les Romains, s'il n'y a de l'amphibologie

aux mots françois.

Les dames estant aux estuves, y recevoient quand et quand des hommes; et se servoient, là mesme, de leurs valets à les frotter et oindre.

Inguina succinctus nigra tibi servus aluta

Stat, quoties calidis nuda foveris aquis 2. Elles se saulpouldroient de quelque pouldre pour reprimer les sueurs.

[blocks in formation]

Le iugement est un util à tous subiects, et se mesle par tout à cette cause, aux Essais que l'en

fois icy, i'y employe toute sorte d'occasion. Si

c'est un subiect que ie n'entende point, à cela mesme ie l'essaye, sondant le gué de bien loing;

et puis le trouvant trop profond pour ma taille,

ie me tiens à la rive: et cette recognoissance de ne pouvoir passer oultre, c'est un traict de son effect, ouy de ceulx 5 dont il se vante le plus. Tantost, à un subiect vain et de neant, l'essaye veoir s'il trouvera dequoy luy donner corps, et dequoy l'appuyer et l'estansonner tantost ie le promeine à un subiect noble et tracassé, auquel il n'a rien à trouver de soy, le chemin en estant si frayé, qu'il ne peult marcher que sur la piste d'aultruy : là il faict son ieu à eslire la route qui luy semble la meilleure; et de mille sentiers, il dict que cettuy cy ou cettuy là a esté le mieulx choisy. Ie prens de la fortune le premier arguLes Romains payoient ce qui estoit deu aux ment; ils me sont egualement bons, et ne desbateliers pour leur noleage, dez l'entree du ba-seigne iamais de les traicter entiers : car ie ne teau; ce que nous faisons aprez estre rendus à port:

Les anciens Gaulois, diet Sidonius Apollinaris3, portoient le poil long par le devant, et le derriere de la teste tondu, qui est cette façon qui vient à estre renouvellee par l'usage effcminé et lasche de ce siecle.

[blocks in formation]

veoy le tout de rien; ne font pas ceulx qui nous
promettent de nous le faire veoir. De cent mem-
bres et visages qu'a chasque chose, i'en prens
un, tantost à leicher seulement, tantost à efflo-
rer,
et par fois à pincer iusques à l'os: i'y donne
une poincte, non pas le plus largement, mais le
plus profondement que ie scay; et ayme plus sou-
vent à les saisir par quelque lustre inusité. Ie me

Esclaves, hâtez-vous de tempérer l'ardeur de ce vin de Falerne, en y mélant l'eau de cette source qui coule auprès de nous. HOR. Od. II, 11, 18.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »