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et ores que le sage ne doibve donner aux passions humaines de se fourvoyer de la droicte carriere, il peult bien, sans interest de son debvoir, leur quitter aussi cela, d'en haster ou retarder son pas, et ne se planter comme un colosse immobile et impassible. Quand la vertu mesme seroit incarnee, ie croy que le pouls luy battroit plus fort allant à l'assault qu'allant disner: voire il est necessaire qu'elle s'eschauffe et s'esmeuve. A cette cause, i'ay remarqué pour chose rare, de veoir quelquesfois les grands personnages, aux plus haultes entreprinses et importants affaires, se tenir si entiers en leur assiette, que de n'en accourcir pas seulement leur sommeil. Alexandre le Grand, le iour assigné à cette furieuse battaille contre Darius, dormit si profondement et si haulte matinee, que Parmenion feut contrainct d'entrer en sa chambre, et approchant de son lict, l'appeller deux ou trois fois par son nom pour l'esveiller, le temps d'aller au combat le pressant'. L'empereur Othon ayant resolu de se tuer, cette mesme nuict, aprez avoir mis ordre à ses affaires domestiques, partagé son argent à ses serviteurs, et affilé le trenchant d'une espee dequoy il se vouloit donner, n'attendant plus qu'à sçavoir si chascun de ses amis s'estoit retiré en seureté, se print si profondement à dormir, que ses valets de chambre l'entendoient ronfler 3. La mort de cet empereur a beaucoup de choses pareilles à celle du grand Caton, et mesme cecy: car Caton estant prest à se desfaire, ce pendant qu'il attendoit qu'on luy rapportast nouvelles si les senateurs qu'il faisoit retirer s'estoient eslargis du port d'Utique, se meit si fort à dormir, qu'on l'oyoit souffler de la chambre voysine, et celuy qu'il avoit envoyé vers le port l'ayant esveillé pour luy dire que la tormente empeschoit les senateurs de faire voile à leur ayse, il y en renvoya encores un aultre, et se renfonceant dans le lict, se remeit encores à sommeiller iusques à ce que ce dernier l'asseura de leur partement 4. Encores avons nous dequoy le comparer au faict d'Alexandre, en ce grand et dangereux orage qui le menaceoit par la sedition du tribun Metellus, voulant publier le decret du rappel de Pompeius dans la ville avecques son armee, lors de l'esmotion de Catilina;

* Quoique le sage ne doive pas permettre aux, etc. C. 2 PLUTARQUE, Vie d'Alexandre, c. 11 de la traduction d'Amyot. Il en fut ainsi de Condé avant la bataille de Rocroi: « Le lendemain, à l'heure marquée, il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. » BOSSUET, Or. fun. de Conde J. V. L.

3 ID. Vie d'Othon, c. 8. C.

4 ID. Vie de Caton d'Utique, c. 19. C.

auquel decret Caton seul resistoit ; et en avoient eu Metellus et luy de grosses paroles et grandes menaces au senat : mais c'estoit au lendemain, en la place, qu'il falloit venir à l'execution; où Metellus, oultre la faveur du peuple et de Cesar, conspirant lors aux advantages de Pompeius, se debvoit trouver accompaigné de force esclaves estrangiers et escrimeurs à oultrance, et Caton fortifié de sa seule constance; de sorte que ses parents, ses domestiques et beaucoup de gents de bien en estoient en grand soulcy, et en y eut qui passerent la nuict ensemble sans vouloir reposer, ny boire, ny manger, pour le dangier qu'ils luy veoyoient preparé; mesme sa femme et ses sœurs ne faisoient que pleurer et se tormenter en sa maison: là où luy, au contraire, reconfortoit tout le monde; et aprez avoir souppé comme de coustume, s'en alla coucher, et dormir de fort profond sommeil iusques au matin, que l'un de ses compaignons au tribunat le veint esveiller pour aller à l'escarmouche. La cognoissance que nous avons de la grandeur de courage de cet homme, par le reste de sa vie, nous peult faire iuger, en toute seureté, que cecy luy partoit d'une ame si loing eslevee au dessus de tels accidents, qu'il n'en daignoit entrer en cervelle, non plus que d'accidents ordinaires.

En la battaille navale qu'Augustus gaigna contre Sextus Pompeius en Sicile, sur le poinct d'aller au combat 2, il se trouva pressé d'un si profond sommeil, qu'il fallut que ses amis l'esveillassent pour donner le signe de la battaille : cela donna occasion à M. Antonius de luy reprocher, depuis, qu'il n'avoit pas eu le cœur seulement de regarder les yeulx ouverts l'ordonnance de son armee, et de n'avoir osé se presenter aux soldats, iusques à ce qu'Agrippa luy veinst annoncer la nouvelle de la victoire qu'il avoit eue sur ses ennemis. Mais quant au ieune Marius, qui fei encores pis, car le iour de sa derniere iourne contre Sylla, aprez avoir ordonné son armee e donné le mot et signe de la battaille, il se cou cha dessoubs un arbre à l'umbre pour se reposer, et s'endormit si serré, qu'à peine se peut il es veiller de la route et fuitte de ses gents, n'ayart rien veu du combat ; ils disent que ce feut por estre si extremement aggravé de travail et le faulte de dormir, que nature n'en pouvoit plu3. Et à ce propos, les medecins adviseront sile dormir est si necessaire, que nostre vie ende

I PLUTARQUE, Vie de Caton d'Utique, c. 8. C.

2 SUÉTONE, Vie d'Auguste, c. 16. C.

3 PLUTARQUE, Vie de Sylla, c. 13. C.

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pende car nous trouvons bien qu'on feit mourir le roy Perseus de Macedoine prisonnier à Rome, luy empeschant le sommeil; mais Pline en allegue qui ont vescu longtemps sans dormir. Chez Herodote 2, il y a des nations ausquelles les hommes dorment et veillent par demy annees. Et ceulx qui escrivent la vie du sage Epimenides, disent qu'il dormit cinquante sept ans de suitte3. CHAPITRE XLV.

De la battaille de Dreux.

et cela faict, se meit à poursuyvre Machani< das. Ce cas est germain à celuy de monsieur de Guyse.

En cette aspre battaille d'Agesilaus contre les Bootiens, que Xenophon, qui y estoit, dict estre la plus rude qu'il eust oncques veue, Agesilaus refusa l'advantage que fortune luy presentoit, de laisser passer le battaillon des Bootiens et les charger en queue, quelque certaine victoire qu'il en preveist, estimant qu'il y avoit plus d'art que de vaillance; et pour monstrer sa prouesse d'une merveilleuse ardeur de courage, choisit plustost de leur donner en teste : mais aussi feut il bien battu et bien blecé, et contrainct enfin de se desmesler, et prendre le party qu'il avoit refusé au commencement, faisant ouvrir ses gents pour donner passage à ce torrent de 'Bootiens; puis quand ils feurent

sordre comme ceulx qui cuidoient bien estre
hors de tout dangier, il les feit suyvre et char-
ger par les flancs: mais pour cela ne les peut
tourner en fuitte à val de route; ains se retire-
rent le petit pas, monstrant tousiours les dents,
iusques à ce qu'ils se feurent rendus à sauveté.
CHAPITRE XLVI.
Des noms.

tout

Il y eut tout plein de rares accidents en nostre battaille de Dreux 4; mais ceulx qui ne favorisent pas fort la reputation de monsieur de Guyse, mettent volontiers en avant, qu'il ne se peult excuser d'avoir faict alte et temporisé avecques les forces qu'il commandoit, ce pendant qu'on enfonceoit monsieur le connestable, chef de l'ar-passez, prenant garde qu'ils marchoient en demee, avecques l'artillerie; et qu'il valoit mieulx se hazarder, prenant l'ennemy par flanc, que, attendant l'advantage de le veoir en queue, souffrir une si lourde perte. Mais oultre ce que l'is-il sue en tesmoigna, qui en debattra sans passion me confessera ayseement, à mon advis, que le but et la visee, non seulement d'un capitaine, mais de chasque soldat, doibt regarder la victoire en gros; et que nulles occurrences particulieres, quelque interest qu'il y ait, ne le doibvent divertir de ce poinct là. Philopomen 5, en une rencontre de Machanidas, ayant envoyé devant, pour attaquer l'escarmouche, bonne trouppe d'archers et gents de traict; et l'ennemy, aprez les avoir renversez, s'amusant à les poursuyvre à toute bride, et coulant, aprez sa victoire, le long de la battaille où estoit Philopamen, quoy que ses soldats s'en esmeussent, il ne feut d'advis de bouger de sa place, ny de se presenter à l'ennemy pour secourir ses gents; ains les ayant laissé chasser et mettre en pieces à sa veue, commencea la charge sur les ennemis au battaillon de leurs gents de pied, lors qu'il les veid tout à faict abbandonnez de leurs gents de cheval; et bien que ce feussent Lacedemoniens, d'autant qu'il les print à l'heure que, pour tenir tout gaigné, ils commenceoient a se desordonner, il en veint ayseement à bout;

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Quelque diversité d'herbes qu'il y ayt, s'enveloppe sous le nom de salade : de mesme, sous la consideration des noms, ie m'en vois faire icy une galimafree de divers articles.

Chasque nation a quelques noms qui se prennent, ie ne sçay comment, en mauvaise part : et à nous Iehan, Guillaume, Benoist. Item, il semble y avoir en la genealogie des princes, certains noms fatalement affectez comme des Ptolomees à ceulx d'Aegypte, des Henrys en Angleterre, Charles en France, Baudoins en Flandres; et en nostre ancienne Aquitaine, des Guillaumes, d'où l'on dict que le nom de Guienne est venu3, par un froid rencontre, s'il n'en y avoit d'aussi cruds dans Platon mesme.

Item, c'est une chose legiere, mais toutesfois digne de memoire pour son estrangeté, et es

Cité par PLUTARQUE, Vie d'Agésilas, p. 605; éd. de 1599. C. 2 Guillaume, dit le Dictionnaire de Trévoux, se disait antrefois par mépris des gens dont on ne faisait pas grand cas. E. J.

3 Le nom de Guienne ne vient point de Guillaume, mais bien du mot Aquitania, l'Aquitaine, dont on a fait d'abord l'Aquienne, et ensuite la Guienne. A. D.

cripte par tesmoing oculaire, que Henry, duc de Normandie, fils de Henry second, roy d'Angleterre, faisant un festin en France, l'assemblee de la noblesse y feut si grande, que, pour passetemps, s'estant divisee en bandes par la ressemblance des noms; en la premiere trouppe, qui feut des Guillaumes, il se trouva cent dix chevaliers assis à table portants ce nom, sans mettre en compte les simples gentilshommes et serviteurs.

Il est autant plaisant de distribuer les tables par le nom des assistants, comme il estoit à l'empereur Geta de faire distribuer le service de ses mets par la consideration des premieres lettres du nom des viandes: on servoit celles qui se commenceoient par M : mouton, marcassin, merlus, marsoin; ainsi des aultres.

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hommes, lesquels il sentit complotter, eschauffez de la feste, d'aller violer une maison pudique, commanda à la menestriere de changer de ton; et par une musique poisante, severe et spondaïque, enchanta tout doulcement leur ardeur, et l'endormit 1.

Item, dira pas la posterité que nostre reformation d'auiourd'huy ayt esté delicate et exacte, de n'avoir pas seulement combattu les erreurs et les vices, et remply le monde de devotion, d'humilité, d'obeïssance, de paix, et de toute espece de vertu; mais d'avoir passé iusques à combattre ces anciens noms de nos baptesmes, Charles, Louys, François, pour peupler le monde de Mathusalem, Ezechiel, Malachie, beaucoup mieulx sentants de la foy? Un gentilhomme, mien voisin, estimant les commoditez du vieux temps au prix du nostre, n'oublioit pas de mettre en compte la fierté et magnificence des noms de la noblesse de ce temps là, Dom Grumedan, Quedragan, Agesilan; et qu'à ouyr seulement sonner, il se sentoit qu'ils avoient esté bien aultres gents que Pierre, Guillot et Michel.

Item, il se dict qu'il faict bon avoir bon nom, c'est à dire credit et reputation; mais encores, à la verité, est il commode d'avoir un nom beau, et qui ayseement se puisse prononcer et retenir, car les roys et les grands nous en cognois-les sent plus ayseement, et oublient plus mal volontiers; et de ceulx mesmes qui nous servent, nous commandons plus ordinairement et employons ceulx desquels les noms se presentent le plus facilement à la langue. l'ay veu le roy Henry second ne pouvoir nommer à droict un gentilhomme de ce quartier de Gascoigne; et à une fille de la royne, il feut luy mesme d'advis de donner le nom general de la race, parce que | celuy de la maison paternelle luy sembla trop divers. Et Socrates estime digne du soing paternel de donner un beau nom aux enfants.

Item, on dict que la fondation de nostre Dame la grand' à Poictiers, print origine de ce qu'un ieune homme desbauché, logé en cet endroict, ayant recouvré une garse, et luy ayant d'arrivee demandé son nom, qui estoit Marie, se sentit si vifvement esprins de religion et de respect de ce nom sacrosainct de la Vierge mere de nostre Sauveur, que non seulement il la chassa soubdain, mais en amenda tout le reste de sa vie, et qu'en consideration de ce miracle, il feut basty, en la place où estoit la maison de ce ieune homme, une chapelle au nom de nostre Dame, et depuis l'eglise que nous y veoyons. Cette correction voyelle et auriculaire, devotieuse, tira droict à l'ame : cette aultre suyvante, de mesme genre, s'insinua par les sens corporels. Pythagoras estant en compaignie de ieunes

SPARTIEN, Geta, c. 5. J. V. L.

Item, ie sçay bon gré à Iacques Amyot d'avoir laissé dans le cours d'une oraison françoise, les noms latins touts entiers, sans les bigarrer et changer pour leur donner une cadence françoise. Cela sembloit un peu rude au commencement; mais desia l'usage, par le credit de son Plutarque, nous en a osté toute l'estrangeté. l'ay souhaitté souvent que ceulx qui escrivent les histoires en latin nous laissassent nos noms touts tels qu'ils sont'; car en faisant de Vaudemont Vallemontanus, et les metamorphosant pour les garber à la grecque ou à la romaine, nous ne sçavons où nous en sommes, et en perdons la cognoissance.

Pour clorre nostre compte, c'est un vilain usage, et de tres mauvaise consequence en nostre France, d'appeller chascun par le nom de sa terre et seigneurie, et la chose du monde qui faict plus mesler et mescognoistre les races. Un cadet de bonne maison ayant eu pour son appanage une terre sous le nom de laquelle il a esté cogneu et honnoré, ne peult honnestement l'abbandonner : dix ans aprez sa mort, la terre s'en deviva à un estrangier qui en faict de mesme; nez où nous sommes de la cognoissance de ces

1 SEXTUS EMPIRICUS, adversus Mathem. liv. VI, p. 128. C. 2 Comme aurait dû faire le président de Thou dans son histoire, d'ailleurs si estimée de tout sincère amateur de la vérité. C.

:

Mais cette consideration me tire par force à un aultre champ. Sondons un peu de prez, et pour Dieu! regardons à quel fondement nous attachons cette gloire et reputation pour laquelle se boulleverse le monde où asseons nous cette renommee que nous allons questants avecques si grand'peine? c'est en somme Pierre ou Guillaume qui la porte, prend en garde, et à qui elle touche. O la courageuse faculté que l'espérance, qui en un subiect mortel, et en un moment, va usurpant l'infinité, l'immensité, l'eternité, et remplissant l'indigence de son maistre de la possession de toutes les choses qu'il peult imaginer et desirer, autant qu'elle veult! Nature nous a là donné un plaisant iouet! Et ce Pierre ou Guillaume, qu'est ce qu'une voix pour touts potages, ou trois ou quatre traicts de plume, premierement si aysez à varier, que ie demanderoy volontiers: A qui touche l'honneur de tant de victoires, à Guesquin, à Glesquin, ou à Gueaquin1? Il y auroit bien plus d'apparence icy qu'en Lucien, que Σ meist T en procez2; car

hommes. Il ne fault pas aller querir d'aultres | famille : quelque chestif achepteur en fera ses Exemples que de nostre maison royale, où au- premieres armes. Il n'est chose où il se rencontre tant de partages, autant de surnoms : ce pendant plus de mutation et de confusion. l'originel de la tige nous est eschappé. Il y a tant de liberté en ces mutations, que de mon temps ie n'ay veu personne eslevé par la fortune à quelque grandeur extraordinaire, à qui on n'ayt attaché incontinent des tiltres genealogiques nouveaux et ignorez à son pere, et qu'on n'ayt enté en quelque illustre tige et de bonne fortune, les plus obscures familles sont plus idoines à falsification. Combien avons nous de gentilshommes en France qui sont de royale race, selon leurs comptes! plus, ce croy ie, que d'aultres. Feut il pas dict de bonne grace par un de mes amis? Ils estoient plusieurs assemblez pour la querelle d'un seigneur contre un aultre, lequel aultre avoit, à la verité, quelque prerogative de tiltres et d'alliances eslevees au dessus de la commune noblesse. Sur le propos de cette prerogative, chascun cherchant à s'egualer à luy, alleguoit, qui une origine, qui une aultre, qui la ressemblance du nom, qui des armes, qui une vieille pancharte domestique; et le moindre se trouvoit arrierefils de quelque roy d'oultremer. Comme ce feut à disner, cettuy cy, au lieu de prendre sa place, se recula en profondes reverences, suppliant l'assistance de l'excuser de ce que par temerité il avoit iusques lors vescu avec eulx en compaignon; mais qu'ayant esté nouvellement informé de leurs vieilles qualitez, il commenceoit à les honnorer selon leurs degrez, et qu'il ne luy appartenoit pas de se seoir parmy tant de princes. Aprez sa farce, il leur dict mille iniures: Contentons nous, de par Dieu! de ce dequoy nos peres se sont contentez, et de ce e que nous sommes; nous sommes assez, si nous

Præmia 3:

Non levia aut ludicra petuntur

il y va de bon; il est question laquelle de ces lettres doibt estre payee de tant de sieges, battailles, bleceures, prisons et services faicts à la couronne de France par ce sien fameux connestable.

Nicolas Denisot4 n'a eu soing que des lettres de son nom, et en a changé toute la contexture pour en bastir le conte3 d'Alsinois, qu'il a estrené de la gloire de sa poësie et peincture. Et l'historien Suetone n'a aymé que le sens du sien; et en ayant privé Lenis, qui estoit le surnom de son pere, a laissé Tranquillus successeur de la requi-putation de ses escripts. Qui croiroit que le capitaine Bayard n'eust honneur que celuy qu'il a emprunté des faicts de Pierre Terrail? et qu'Antoine Escalin se laisse voler, à sa veue, tant de

le sçavons bien maintenir : ne desadvouons pas la fortune et condition de nos ayeulx, et ostons ces sottes imaginations, qui ne peuvent faillir à conque a l'impudence de les alleguer. »

Les armoiries n'ont de seureté non plus que les surnoms. Ie porte d'azur semé de trefles d'or, à une patte de lyon de mesme, armee de gueules, mise en fasce1. Quel privilege a cette figure pour demourer particulierement en ma maison? un gendre la transportera en une aultre

1 Montaigne, comme on le voit dans le Journal de ses voyages, laissa ses armoiries à Plombières, à Augsbourg, et dans plusieurs autres villes; à Pise, il les fit blasonner et dorer avecques de belles et vives couleurs; ensuite il les encadra, et les cloua au mur de sa chambre, soubs la condition qu'elles y resteroient : son hôte, le capitaine Paulino, le lui promit, et en feit serment. J. V. L.

Ménage a remarqué qu'on nommait le célèbre du Guesclin de quatorze façons différentes : du Guéclin, du Gayaquin, du Guesquin, Guesquinius, Guesclinius, Guesquinas, etc. On peut voir, à ce propos, un récit assez plaisant de Froissart, vol. III, c. 75. C.

2 Allusion au Jugement des voyelles, par Lucien. J. V. L. 3 Il ne s'agit pas ici d'un prix de peu de valeur. VIRG. Énéide, XII, 764.

4 Peintre et poëte, né au Mans l'an 1515. Voyez LACROIX DU MAINE et DUVERDIER. C.

5 Conte pour comte, titre de noblesse. DD.
6 SUÉTONE, Othon, c. 10. J. V. L.

navigations et charges par mer et par terre, au capitaine Poulin et au baron de la Garde1?

Secondement, ce sont traicts de plume communs à mille hommes. Combien y a il, en toutes les de mesme nom et surde personnes races, nom? et en diverses races, siecles et païs, combien? L'histoire a cogneu trois Socrates, cinq Platons, huict Aristotes, sept Xenophons, vingt Demetrius, vingt Theodores: et pensez combien elle n'en a pas cogneu. Qui empesche mon palefrenier de s'appeller Pompee le Grand? Mais, aprez tout, quels moyens, quels ressorts y a il qui attachent à mon palefrenier trespassé, ou à cet aultre homme qui eust la teste trenchee en Aegypte, et qui ioignent à eulx cette voix glorifiee et ces traicts de plume ainsin honnorez, à fin qu'ils s'en advantagent?

Id cinerem et manes credis curare sepultos 2! Quel ressentiment ont les deux compaignons en principale valeur entre les hommes, Epaminondas, de ce glorieux vers qui court tant de siecles pour luy en nos bouches,

Consiliis nostris laus est attrita Laconum 3; et Africanus, de cet aultre,

A sole exoriente, supra Mæoti' paludes,

Nemo est qui factis me æquiparare queat 4? Les survivants se chatouillent de la doulceur de ces voix, et par icelles solicitez de jalousie et desir, transmettent inconsidereement par fantasie aux trespassez cettuy leur propre ressentiment; et d'une pipeuse esperance se donnent à croire d'en estre capables à leur tour. Dieu le sçait. Toutesfois,

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1 Antoine Iscalin (c'était son véritable nom) fut aussi appelé le capitaine Poulin et baron de la Garde. C'était un officier de fortune, qui se distingua dans la carrière militaire et dans celle des ambassades, sous les règnes de François Ier et de ses successeurs, jusqu'à Charles IX. C.

2 Croyez-vous que tout cela puisse toucher une froide cendre et des månes ensevelis? VIRG. Enéide, IV, 34.

3 Sparte devant ma gloire abaissa son orgueil. Ce vers, traduit du grec par CICERON, Tuscul. V, 17, est le premier des quatre vers élégiaques qui furent gravés au bas de la statue d'Epaminondas (PAUSAN. IX, 15). On y lit attonsa, et non pas attrita, qui traduirait mal éxɛípatos. J. V. L. 4 De l'aurore au couchant il n'est point de guerriers Dont le front soit couvert de si nobles lauriers.

Cic. Tusc. V, 17.

5 Voilà l'espérance qui enflamma les généraux grecs, romains et barbares; voilà ce qui leur fit endurer mille travaux, affronter mille dangers: tant il est vrai que l'homme est plus altéré de gloire que de vertu! Juv. Sat. X, 137.

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Vince Hannibal, et non seppe usar poi
Ben la vittoriosa sua ventura 3.

Qui vouldra estre de ce party, et faire valoir avec-
ques nos gents la faulte de n'avoir dernierement
poursuyvy nostre poincte à Montcontour; ou qui
vouldra accuser le roi d'Espaigne 4 de n'avoir
sceu se servir de l'advantage qu'il eut contre
nous à Sainct Quentin; il pourra dire cette faulte
partir d'une ame enyvree de sa bonne fortune,
et d'un courage, lequel plein et gorgé de ce com-
mencement de bonheur, perd le goust de l'ac-
croistre, desia par trop empesché à digerer ce
qu'il en a: il en a sa brassee toute comble, il
n'en peult saisir davantage; indigne que la for-
tune luy aye mis un tel bien entre mains: car
quel proufit en sent il, si neantmoins il donne à
son ennemy moyen de se remettre sus? Quelle
esperance peult on avoir qu'il ose une aultre fois
attaquer ceulx cy ralliez et remis, et de nouveau
armez de despit et de vengeance, qui ne les a
osé ou sceu poursuyvre touts rompus et effroyez,
Dum fortuna calet, dum conficit omnia terror 5?
Mais enfin que peult il attendre de mieux que
ce qu'il vient de perdre? Ce n'est pas comme à
l'escrime, où le nombre des touches donne gaing:
tant que l'ennemy est en pieds, c'est à recom-
mencer de plus belle; ce n'est pas victoire, si
elle ne met fin à la guerre. En cette escarmouche
où Cesar eut du pire prez la ville d'Oricum, il
reprochoit aux soldats de Pompeius qu'il eust
esté perdu, si leur capitaine eust sceu vaincre ;
et luy chaussa bien aultrement les esperons quand

ce feut à son tour.

I HOMÈRE, Пiade, XX, 249.

2 C'est-à-dire, il y a beaucoup de liberté de parler, ou on peut parler à son aise. E. J.

3 Annibal vainquit les Romains; mais il ne sut pas profiter de sa victoire. PETRARCA, troisième partie des Sonnets, fol. 141, ed. di Gabriel Giolito.

4 Philippe II, qui battit les Français près de Saint-Quentin en 1556, le 10 d'août, fête de saint Laurent. C.

5 Lorsque la fortune entraîne tout, lorsque tout cède à la terreur. LUCAIN, VII, 734.

6 PLUTARQUE, Vie de César, c. II. C.

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