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I

Nous parlerons ailleurs de ce qui regarde le choix des auteurs par rapport aux mœurs. Pour le style, il faut s'en tenir à la règle de Quintilien, qui est de faire lire aux jeunes gens, et d'abord et toujours, les meilleurs écrivains. Quand ils commenceront à avoir le jugement formé, 'il sera bon de leur en proposer où l'on trouve des défauts capables de séduire les jeunes gens, comme sont certaines pensées brillantes qui frappent d'abord par leur éclat, mais dont on reconnoît le faux et le vide quand on les examine de près. Il faut les accoutumer de bonne heure à aimer partout le vrai, à sentir ce qui y est contraire, à ne se point laisser éblouir par l'apparence du beau, à juger sainement de ce qu'ils lisent, à rendre raison du jugement qu'ils en portent, de manière cependant qu'ils ne prennent point un air ni un ton décisif et critique, qui convient encore moins à cet âge qu'à tout autre.

Notre langue nous fournit un grand nombre d'excellens ouvrages propres à leur former le goût; mais le peu de temps qu'on peut donner à cette étude, et le peu de dépense que peuvent faire la plupart des écoliers, obligent de se fixer à un petit nombre.

Il faut, s'il se peut, que l'utilité et l'agrément s'y trouvent ensemble, afin que cette lecture ait pour les jeunes gens un attrait qui la leur fasse désirer. Ainsi les livres qui sont purement de piété doivent leur être plus rarement proposés que d'autres, de peur que le dégoût qu'ils en auront une fois conçu ne les suive dans un âge plus avancé. L'histoire est bien plus à leur portée, surtout dans les commencemens.

Les figures de la bible, les mœurs des Israélites et des chrétiens conviennent fort aux premières classes. On a plusieurs vies particulières écrites par M. Fléchier et par M. Marsolier, qui sont fort propres pour les classes suivantes. Je parlerai ailleurs de l'histoire abrégée que

'Ego optimos quidem et statim, nes, quas plerique judiciorum praet semper. Quintil. lib. 2, cap. 6. vitate mirantur, legi palàm pueris. Quintil. lib. 2, cap. 5.

• Ne id quidem inutile, etiam corruptas aliquandò et vitiosas oratio

M. Bossuet a écrite. L'histoire de l'académie françoise par M. Pélisson, de l'académie des inscriptions et belles-lettres par M. de Boze, et celle du renouvellement de l'académie des sciences par M. de Fontenelle, plairont infiniment aux jeunes gens par l'élégance du style et par la variété des matières, et leur feront connoître les savans de notre langue qui ont travaillé les premiers à la porter à ce point de perfection où nous la voyons, et qui ont fait tant d'honneur à la France par leur profonde érudition et par leurs curieuses découvertes en tout genre de science. Il me semble que l'université de Paris, la plus ancienne et comme la mère et la source de toutes les autres académies, doit s'intéresser d'une manière particulière à leur gloire, qui rejaillit sur elle, et met le comble à la sienne.

On a beaucoup de panégyriques et d'oraisons funèbres où les rhétoriciens trouveront des modèles parfaits pour ce genre d'éloquence. Les deux tragédies de M. Racine, intitulées Esther et Athalie, et différentes pièces de vers de M. Despréaux, pourront suffire pour leur donner quelque idée de notre poésie. La traduction que ce dernier a faite de Longin, et les remarques qu'il y a ajoutées seront pour eux une bonne rhétorique.

Je réserve pour la philosophie les essais de morale de M. Nicole, j'entends les quatre premiers tomes, auxquels on pourroit ajouter les pensées de M. Pascal. Je ne parle point de la logique de Port-Royal; elle fait partie de la philosophie, et l'on ne manquera pas de mettre un tel livre entre les mains de ceux qui l'étudient.

Il y a beaucoup d'autres livres dont la lecture peut être utile aux jeunes gens: chaque maître en fera le choix selon son goût. On pourroit faire pour leur usage un recueil des plus belles pièces, et quelquefois des plus beaux endroits de certains ouvrages qu'on ne peut pas leur donner en entier.

On me permettra de donner ici un essai de la manière dont je crois qu'on peut faire aux jeunes gens la lecture des livres françois. Cela pourra être de quelque usage pour les

jeunes maîtres qui commencent, et qui n'ont pas encore beaucoup d'expérience.

Essai sur la manière dont on peut expliquer les auteurs françois.

Le fait que je vais rapporter est tiré de l'histoire de Théodose par M. Fléchier, livre premier, chapitre 35. Il renferme l'élection de S. Ambroise à l'archevêché de Milan, et marque la part qu'y eut l'empereur Valentinien. « Auxence Arien étant mort après avoir tenu plusieurs années le siége de Milan, Valentinien pria les évêques de s'assembler pour élire un nouveau pasteur. 11 leur « demanda un homme d'un profond savoir et d'une vie irréprochable, afin (disoit-il) que la ville impériale se « sanctifiât par ses instructions et par ses exemples, et que « les empereurs, qui sont les maîtres du monde, et qui ne laissent pas d'être grands pécheurs, pussent recevoir ses « avis avec confiance, et ses corrections avec respect. Les évêques le supplièrent d'en nommer un lui-même tel qu'il le souhaitoit; mais il leur répondit que c'étoit une < affaire au-dessus de ses forces, et qu'il n'avoit ni assez de « sagesse ni assez de piété pour s'en mêler; que ce choix « leur appartenoit, parce qu'ils avoient une parfaite connoissance de lois de l'Eglise, et qu'ils étoient remplis des « lumières de l'esprit de Dieu.

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« Les évêques s'assemblèrent donc avec le reste du clergé; et le peuple, dont le consentement étoit requis, « y fut appelé. Les ariens nommoient un homme de leur « secte. Les catholiques en vouloient un de leur commu« nion. Les deux partis s'échauffèrent, et cette dispute « alloit devenir une sédition et une guerre ouverte. Am« broise, gouverneur de la province et de la ville, homme d'esprit et de probité, fut averti de ce désordre, et vint à l'église pour l'empêcher. Sa présence fit cesser tous a les différends, et l'assemblée,s'étant réunie tout d'un coup • comme par une inspiration divine, demanda qu'on lui « donnât Ambroise pour son pasteur. Cette pensée lui parut

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<< bizarre ; mais comme on persistoit à le demander, il re« montra à l'assemblée qu'il avoit toujours vécu dans des emplois séculiers, et qu'il n'étoit pas même encore bap«tisé; que les lois de l'empire défendoient à ceux qui exerçoient des charges publiques d'entrer dans le clergé << sans la permission des empereurs, et que le choix d'un évêque devoit se faire par un mouvement du SaintEsprit, et non pas par un caprice populaire. Quelque raison qu'il alléguât, quelque remontrance qu'il fit, le peuple voulut le porter sur le trône épiscopal auquel « Dieu l'avoit destiné. On lui donna des gardes, de peur qu'il ne s'enfuît; et l'on présenta une requête à l'empe<< reur pour lui faire agréer cette élection.

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L'empereur y consentit très-volontiers, et donna ordre qu'on le fit baptiser promptement, et qu'on le consacrât « huit jours après. On rapporte que ce prince voulut assister « lui-même à son sacre, et qu'à la fin de la cérémonie, levant les yeux et les mains au ciel, il s'écria transporté de Theodor. 4, « joie: Je vous rends grâces, mon Dieu, de ce que vous « avez confirmé mon choix par le vôtre, en commettant la «< conduite de nos âmes à celui à qui j'avois commis le gouvernementde cette province! Le saint archevêque s'appliqua tout entier à l'étude des saintes Ecritures et au rétablis« sement de la foi et de la discipline dans son diocèse. » On fera lire cette histoire tout de suite par un ou deux écoliers, les autres ayant leurs livres devant leurs yeux, afin de leur donner une idée du fait dont il s'agit. On aura soin qu'ils observent dans cette lecture les règles dont il a été parlé; qu'ils s'arrêtent plus ou moins, selon la différente ponctuation; qu'ils prononcent comme il faut chaque mot et chaque syllabe; qu'ils prennent un ton naturel, et qu'ils le varient, mais sans affectation.

Après cette première lecture, s'il y a quelques remarques à faire pour l'orthographe ou pour la langue, le maître le fera en peu de mots. On trouve dans l'imprimé baptiser, promptement, empescher, vescu, throsne, etc. Je n'ai pas cru devoir m'astreindre à cette manière d'écrire, à laquelle j'ai substitué la mienne. J'userai de la

même liberté dans toutes les citations pour éviter une bigarrure incommode où me jeteroit la nécessité de citer chaque auteur selon l'orthographe qui lui seroit particulière.

Bizarre. On expliquera la force de cet adjectif, qui marque qu'il y a dans la personne ou dans la chose à laquelle on l'applique quelque chose d'extraordinaire et de choquant. Il signifie fantasque, capricieux, fâcheux, désagréable: esprit bizarre, conduite bizarre, voix bizarre.

Caprice. Ce mot mérite aussi d'être expliqué. Il marque le caractère d'un homme qui se conduit par fantaisie et par humeur, non par raison et par principes. Il faudra en passant faire sentir le ridicule de ces deux défauts, d'agir bizarrement et par caprice.

Procéder à l'élection. Ce terme de procéder est propre à cette phrase. Il a d'autres significatio8s qu'on pourra faire observer.

Commettre la conduite des âmes, ou, le gouvernement d'une province à quelqu'un. Commettre signifie ici confier, donner un emploi dont on doit rendre compte. Il vient du mot latin committere, qui a le même sens. Quos Cic. Verr.7, adhuc mihi magistratus populus romanus mandavit, sic n. 35. eos accepi, ut me omnium officiorum obstringi religione arbitrarer. Ita quæstor sum factus, ut mihi honorem illum non tam datum, quàm creditum ac commissum putarem. En expliquant ainsi la force de ce mot par le passage de Cicéron, on donne une instruction importante, mais qui n'a point l'air de leçon, sur la nature et les engagemens des emplois dont on est chargé, soit dans le monde, soit dans l'Eglise. Commettre a encore d'autres significations. Commettre quelqu'un pour veiller sur d'autres. Commettre une faute. Se commettre avec quelqu'un. Commettre l'autorité du prince. On les explique toutes.

Afin que la ville impériale se sanctifiât par ses instructions et par ses exemples. Ce sera ici une occasion de leur expliquer une règle qu'on trouve dans les remarques de M. de Vaugelas. « La répétition des prépositions n'est * nécessaire aux noms que quand les deux substantifs

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