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dévorer vous concevez une action qui dure quelque temps; mais sicut stipulam vous montre une action d'un moment. Quoi donc, une armée si nombreuse est dévorée comme une paille! Pesez bien ces idées.

Mais comment cela s'est-il fait? Dieu, par un vent furieux a rassemblé les eaux, qui se sont élevées comme deux montagnes au milieu de la mer. Les enfans d'Israël y ont passé à sec. Les Egyptiens les y ont poursuivis, et ils ont été enveloppés dans les flots. Voilà un récit simple et sans ornement. Mais que de beautés, que de richesses dans le tour de l'Ecriture! Je n'aurois jamais fait si je voulois les examiner en détail. Tout le cantique me charme; mais cet endroit m'enlève.

In spiritu furoris tui congregata sunt aquæ.Le prophète ennoblit le vent en lui donnant Dieu même pour principe; et il anime les eaux en les représentant susceptibles de frayeur. Pour mieux peindre l'indignation divine de ses effets, il emprunte l'image de la colère humaine, dont les vifs transports sont accompagnés d'une respiration précipitée, qui cause un souffle impétueux et violent. Et lorsque cette colère, dans une personne puissante, se tourne contre une populace timide, elle l'oblige, pour s'en garantir, de céder la place, et de se renverser tumultuairement les uns sur les autres. C'est ainsi qu'au souffle de la fureur du Seigneur les eaux épouvantées se sont retirées avec précipitation de leur lieu naturel, et se sont entassées à la hâte les unes sur les autres pour laisser passer cette colère sans y mettre obstacle au lieu que les Egyptiens qui se sont présentés sur son chemin en ont été dévorés comme une paille. Cette peinture de la colère divine se trouve souvent dans les Ecritures. " La mer l'a «vu, et a pris la fuite. On a vu les abîmes des eaux s'en« tr'ouvrir... par le bruit de vos menaces, Seigneur, et par la respiration du souffle de votre colère. La fumée

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› Mare vidit, et fugit... Apparuerunt fontes aquarum ab increpatione tuá, Domine, ab inspiratione spiritus iræ tuæ.... Ascendit fumus in ird

ejus, et ignis à facie (beb. ex ore)
ejus exarsit: carbones succensi sunt
ab eo.

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« de sa colère s'est élevée; un feu dévorant est sorti de sa « bouche; des charbons en ont été allumés. » Faut-il s'étonner qu'une telle colère renverse et abîme tout?

Congregate sunt abyssi in medio mari. C'est la répétition, et tout ensemble l'amplification de congregatæ sunt aquæ. 1. Au lieu de congregata le texte original porte coagulatæ, c'est-à-dire les eaux se sont prises et épaissies comme de la glace. 2. Abyssi donne une idée beaucoup plus affreuse que aquæ. 3. In medio mari. Cette circonstance a beaucoup d'emphase. Elle attache l'imagination, et fait concevoir des montagnes d'eau solides dans le centre des choses liquides.

Les deux versets suivans sont d'une beauté qu'on ne peut assez admirer. Au lieu de dire simplement, comme nous l'avons déjà remarqué, les Egyptiens sont entrés dans la mer en poursuivant les Israélites le prophète entre lui-même dans le cœur de ces barbares, il se met à leur place, il prend leurs passions, et les fait parler; non pas qu'ils aient parlé en effet, mais parce que le désir de vengeance et la chaleur à poursuivre les Israélites étoient le langage de leurs cœurs, que Moïse leur a mis dans la bouche pour varier et passionner sa narration.

Dixit inimicus, pour dixerunt Egyptii. Ce singulier, cet inimicus, tout cela est de si bon goût!

Persequar... comprehendam... dividam spolia, etc. On lit, et on voit dans ces mots une vengeance palpable, dont on se sent presque animé en lisant. L'auteur sacré n'a point mis de conjonction à aucun des six verbes qui composent le discours du soldat égyptien, afin de lui donner plus de vivacité, et d'exprimer plus au naturel la disposition d'un homme plein de passion qui s'entretient avec lui-même, et qui ne se met pas en peine de mettre des liaisons et des conjonctions dans ses pensées, qui demandent de la liberté.

Un autre en seroit demeuré là: mais Moïse va plus loin. Implebitur anima mea. Il pouvoit dire: Dicidam spolia, et iis me implebo. Mais implebitur anima mea

nous les représente regorgeant de dépouilles et nageant dans la joie.

Je tirerai mon épée ma main les égorgera. C'est ainsi que porte la Vulgate. Evaginabo gladium meum; interficiet eos manus mea. La réflexion qui suit suppose ce sens, et est fort belle. Le plaisir d'égorger leurs ennemis n'est pas moins sensible que celui de les dépouiller. Voyons comme il touche cet endroit. Il pouvoit dire en un mot eos interficiam, je les égorgerai; mais cela auroit passé trop vite: il leur ménage le plaisir d'une longue vengeance. Evaginabo gladium meum, gladium meum, je tirerai mon épée. Quelle image! Elle frappe même les yeux du lecteur. Interficiet eos manus mea, ma main les égorgera.

Ce manus mea est d'une beauté que je ne puis exprimer. On voit dans cette expression un soldat sûr de la victoire. On le voit qui regarde, qui remue, et qui mesure son bras. Je tremble pour les enfans d'Israël. Grand Dieu! que ferez-vous pour les sauver? Voilà un déluge de barbares qui courent en fureur à la vengeance et à la victoire. Tous les traits de votre colère peuvent-ils suffire pour arrêter vos ennemis? Dieu souffle, et la mer les a déjà enveloppés. Flavit spiritus tuus, et operuit eos mare.

Il faut avouer que cette reflexion est bien vive, bien éloquente, et bien propre à former le goût : et c'est pour cela que j'ai cru n'en devoir pas priver le lecteur. Mais je suis obligé d'avertir que le texte hébreu, au lieu de interficiet eos manus mea, a possidere faciet eos manus mea; possessioni restituet eos manus mea. Ce qu'on pourroit traduire: «< ma main me les assujettira de nouveau. Ma main

s'en rendra maîtresse. Ma main me remettra en possession « de ces fugitifs » En effet, c'étoit-là le véritable motif de la poursuite si ardente des Egyptiens: l'histoire y est formelle. « On vint dire au roi des Egyptiens que les Hé- Exod.14.5. breux s'en étoient enfuis. En même temps le cœur de « Pharaon et de ses serviteurs fut changé à l'égard de ce « peuple; et ils dirent: A quoi avons-nous pensé de lais«ser ainsi aller les Israélites, afin qu'ils ne nous fussent

plus assujettis? » L'intention de Pharaon et de ses officiers n'étoit donc pas de tuer et d'exterminer les Israélites ils auroient agi contre leurs intérêts. Mais ils songeoient à les forcer, les armes à la main, à rentrer dans l'esclavage, et à retourner aux travaux publics de leur ancienne servitude.

Il y a aussi, ce me semble, une grande beauté dans cette expression, ma main me les assujettira de nouveau. Le Dieu des Israélites s'étoit vanté de tirer son peuple de la prison des Egyptiens, et de les délivrer de Exod. 6. 6. leur dure servitude par la force de son bras: Educam vos de ergastulo Egyptiorum, et eruam de servitute, ac reIbid. 9. 3. dimam in brachio excelso. Il avoit fait dire plusieurs fois

et 15.

à Pharaon qu'il étendroit sa main sur lui, sur ses serviteurs, sur ses campagnes, sur ses bestiaux; qu'il lui feroit bien voir qu'il étoit le maître et le Seigneur, en étendant sa main sur toute l'Egypte, et en tirant son peuple de Ibid. 7, 5. l'esclavage Scient Egyptii quia ego sum Dominus, qui extenderim manum meam super Ægyptum, et eduxerim filios Israel de medio eorum. Ici l'Egyptien, qui se croit déjà vainqueur, insulte au Dieu des Hébreux. Il semble lui reprocher la foiblesse de son bras et la vanité de ses menaces. Il oppose sa main à celle de Dieu; et il se dit à lui-même, dans l'enivrement d'une joie insolente, et dans les transports d'une folle confiance : Quoi qu'en ait dit le Dieu d'Israël, ma main me les assujettira de nou

. 10.

veau.

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« Vous avez soufflé, et la mer les a abîmés.. Ils sont tombés au fond des eaux violentes comme une masse « de plomb.

Vous avez soufflé, et la mer les a abîmés. Moïse pouvoit-il mieux exprimer la suprême puissance de Dieu? Il ne fait que souffler pour abîmer tout d'un coup des troupes innombrables. Voilà ce qu'on appelle le véritable sublime. Le fiat lux, et facta est lux, a-t-il rien de plus grand ?

Et la mer les a abîmés. Que de choses en trois mots, operuit eos mare! Quelle sobriété de termes! quelle foule

d'idées! C'est ici qu'on peut appliquer ce que Pline dit du peintre Timanthe: in omnibus ejus operibus plus intelligitur quàm pingitur... ut ostendat etiam quæ occultat.

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Un autre que Moïse auroit donné l'essor à son imagination. Il nous auroit fait un long détail et de grandes descriptions fades et inutiles. Il aurait épuisé tout le sujet, et, avec un pompeux verbiage et une stérile abondance. il auroit appauvri sa matière et fatigué son lecteur. Mais ici Dieu souffle, la mer obéit, elle tombe sur les Egyptiens; les voilà tous engloutis. Y eût-t-il jamais rien de si plein, de si vif, ni de si animé ? Vous ne voyez point d'espace entre le souffle de Dieu et le terrible miracle qu'il fait pour sauver son peuple. Flavit spiritus tuus, et ope

ruit eos mare.

Ils sont tombés au fond des eaux comme une masse de plomb. Considérez bien ce dernier trait, qui aide l'imagination et achève le tableau.

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Qui d'entre les dieux est semblable à vous? Qui vous « est semblable, vous qui faites paroître avec éclat votre « sainteté, qui méritez d'être loué avec une frayeur religieuse, et dont les œuvres sont autant de merveilles ?

К

«

« Vous avez étendu votre main, et la terre les a dé« vorés. »

Cet admirable récit est suivi d'un admirable retour de louanges. La grandeur du miracle demandoit cette vivacité de sentiment et de reconnoissance. Et quel moyen de ne pas se récrier, et de ne pas sortir comme hors de soi-même à la vue d'une telle merveille? Interrogation, comparaison, répétition; toutes figures propres à l'admiration et à l'extase.

Magnificus in sanctitate, etc. Il est impossible ici d'approcher du style vif et concis du texte, qui a trois petits membres séparés les uns des autres sans liaison, et dont chacun est composé de deux mots assez courts: magnificus sanctitate, terribilis laudibus, faciens mirabilia. Il n'est pas plus facile d'en rendre le sens, quelque étendue qu'on donne à la version; ce qui d'ailleurs la rend froide Traité des ÉTUD. TOM. I.

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