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Celui dont je relève la grandeur n'est point un Dieu étranger inconnu jusqu'à ce jour, protecteur pour une occasion passagère, et prêt à accorder le même secours à tout autre. Non, c'est l'ancien protecteur de ma famille. Sa bonté est héréditaire. J'ai mille preuves domestiques de son amour constant, perpétué de race en race jusqu'à moi. Ses anciens bienfaits étoient des titres et des gages qui m'en assuroient de pareils. C'est le Dieu de mon père. C'est le Dieu qui s'est montré tant de fois à Abraham, à Isaac, à Jacob. C'est le Dieu enfin qui vient d'accomplir les grandes promesses qu'il a faites à mes aïeux.

Qu'a-t-il fait pour cela? Il a paru comme un guerrier. Dominus quasi vir pugnator. Dans l'hébreu, Jehova vir belli. Il pouvoit dire, comme il est le Dieu des armées, il nous a délivrés de l'armée de Pharaon: mais c'étoit trop peu dire. Il regarde son Dieu comme un soldat, comme un capitaine; il lui met, pour parler ainsi, les armes à la main, et le fait combattre pour les enfans de Jacob.

Dominus quasi vir pugnator: Omnipotens nomen ejus. L'hébreu porte: Jehova vir belli: Jehova nomen ejus. Moïse insiste sur le terme Jehova, pour mieux faire sentir par cette répétition quel est ce guerrier extraordinaire qui a daigné combattre pour Israel. Comme s'il disoit : Jehova, le Seigneur, a paru comme un guerrier. Entendon bien ce que je dis? Comprend-on toute l'étendue de cette merveille? Oui, je le répète, c'est le Dieu suprême en personne, c'est le Dieu unique, c'est, pour tout dire, Qui est... celui qui s'appelle Jehova, qui porte le nom incommuniego sum qui cable, qui possède seul toute la plénitude de l'être: c'est celui-là qui s'est rendu le champion d'Israël. Lui-même leur a tenu lieu de soldat. Il s'est chargé seul de tout le Exod. 14. 14. poids de la guerre. Dominus ( Jehova) pugnabit pro vobis, et vos tacebitis, disoit Moïse aux Israélites avant l'action. Le Seigneur (Jehova) combattra pour vous, et vous demeurerez dans le silence: c'est-à-dire, vous vous tiendrez en repos sans combattre.

sim.

*. 4 et 5.

Il a renversé dans la mer les chariots de Pharaon et

son armée: les plus distingués d'entre ses officiers ont été submergés dans la mer rouge. Ils ont été ensevelis dans les abîmes. Ils sont descendus au fond des eaux comme une pierre.

Remarquez le pompeux étalage de tout ce qui est contenu dans ces deux mots, equum et ascensorem, le cheval

et le cavalier.

1. Currus Pharaonis. 2. exercitum ejus. 3. electi principes ejus. Belle gradation.

Que dirons-nous de cette admirable amplification? Projecit in mare. Submersi sunt in mari rubro. Abyssi operuerunt eos. Descenderunt in profundum quasi lapis. Tout cela pour expliquer, dejecit in mare. Vous voyez dans tous ces mots une suite d'images qui se succèdent et se grossissent par degrés. 1. Projecit in mare.2. Submersi sunt in mari rubro. Tous submergés dans la mer rouge. Submersi sunt enchérit sur projecit... In mari rubro est une circonstance qui fixe plus que mari simplement. Heb. in mari Suph. Il semble que Moïse veuille relever la grandeur de la puissance que Dieu a fait paroître dans une mer qui faisoit partie de l'empire égyptien, et qui étoit sous la protection des dieux* d'Egypte. *Béelsephon 3. Electi principes, les plus grands d'entre les princes de Pharaon : c'est-à-dire les plus superbes, et peut-être les plus emportés contre les ordres du Dieu d'Israël : enfin les plus capables de se sauver du naufrage sont submergés commé les moindres soldats. 4. Abyssioperuerunt eos. Quelle image! Ils sont couverts, abîmés, disparus pour toujours. 5. Pour achever cette peinture, il finit par une similitude, qui est comme le gros trait qui figure la chose descenderunt in profundum quasi lapis. Tout fiers qu'ils sont, ils ne font pas plus de résistance, pour remonter, contre le bras de Dieu qui les enfonce, qu'une pierre qui tombe au fond des eaux. Après cela que devoit penser Moïse? que devoit - il dire? C'est une des plus importantes règles de rhétorique et à laquelle Cicéron ne manque jamais, qu'après le récit d'une action surprenante, ou même d'une circonstance extraordinaire, il faut sortir de l'air tranquille et

*. 6.

paisible de la narration pour se répandre dans des mouvemens plus ou moins impétueux, selon la nature du sujet ce qui se fait presque toujours par des apostrophes, des interrogations, des exclamations, figures propres à réveiller et le discours et l'auditeur. C'est ce que Moïse fait dans tout ce cantique d'une manière inimitable.

Dextera tua, Domine, magnificata est in fortitudine: dextera tua, Domine, percussit inimicum; et in multitudine gloriæ tuæ deposuisti adversarios tuos.

Il y a ici plusieurs choses à remarqner.

1. Moïse pouvoit dire : Deus magnificavit fortitudinem suam percutiendo Pharaonem. Mais que cela seroit foible et languissant pour exprimer une si grande action! Il s'élance vers Dieu, et lui dit, par une espèce d'enthou siasme Dextera tua, Domine, magnificata est, etc.

2. Il pouvoit dire: O Domine, magnificasti fortitudinem, etc. Mais cela ne porte point assez d'idée, et n'a rien de sensible: au lieu que dans l'expression de Moïse vous voyez, vous distinguez, pour ainsi dire, la main de Dieu qui s'étend et qui écrase les Egyptiens. D'où je conclus tout à la fois que la véritable éloquence est celle qui persuade : qu'elle ne persuade ordinairement qu'en touchant qu'elle ne touche que par des choses et par des idées palpables: et que, par toutes ces raisons, l'éloquence de l'Ecriture sainte est la plus parfaite de toutes, puisque les choses les plus spirituelles et les plus métaphysiques y sont représentées sous des images vives et sensibles.

3. Dextera tua, Domine, percussit inimicum. Belle répétition, et nécessaire pour mieux faire sentir la puissance du bras de Dieu. Le premier membre, votre droite a fait éclater sa force, n'ayaut désigné l'événement qu'en général et confusément, le prophète croit n'en avoir pas assez dit; et pour marquer la manière de cette action, il répète aussitôt, votre droite a brisé l'ennemi. C'est le génie des grandes passions de répéter ce qui sert à les entretenir. Nous voyons cela dans tous les endroits passionnés des meilleurs auteurs. Et c'est ce qui règne par

ticulièrement dans l'Ecriture, surtout dans les psaumes. 4. In multitudine gloriæ tuæ deposuisti adversarios tuos. L'hébreu porte: In multitudine elationis ( celsitudinis) tuæ destruxisti insurgentes contra te. Il y a de grandes beautés cachées dans le texte original, qui méritent d'être un peu développées.

1. Par ces mots, in multitudine elationis tuæ, l'auteur sacré veut marquer l'action d'un grand seigneur qui se redresse, qui prend un air haut et fier, qui s'élève à proportion de ce qu'un petit inférieur ose s'élever contre lui, et qui se plaît à le mettre d'autant plus bas. Les Egyptiens se comptoient pour quelque chose de grand : ils s'attaquoient à Dieu même; ils demandoient fièrement, Quel est donc ce Seigneur ? Mais à mesure que Exod. 5. 2.` ces insolens s'élevoient selon toute leur étendue, Dieu s'élevoit aussi, et prenoit contre eux toute l'élévation de

:

sa grandeur infinie; toute la hauteur de sa majesté suprême alta à longè cognoscit. Et c'est de là qu'il a ren- Ps. 157. 6. versé ses ennemis si pleins d'eux-mêmes, et les a rabaissés non-seulement contre terre, mais dans les abîmes les plus profonds de la mer.

2. Insurgentes contra TE. Ce n'est pas contre Israël que les Egyptiens se sont déclarés : c'est vous-même qu'ils ont osé attaquer: c'est vous qu'ils ont bravé. Notre querelle étoit la vôtre : c'est à vous qu'ils faisoient la guerre, contra te. Ce tour est délicat et touchant pour intéresser Dieu même dans la cause d'Israël.

:

Vous avez envoyé votre colère elles les a dévorés «< comme une paille. Au souffle de votre fureur les eaux « se sont entassées : l'onde qui couloit s'est tenue élevée «< comme en un monceau les flots de l'abîme se sont «< condensés et durcis au milieu de la mer. L'ennemi « disoit: Je les poursuivrai; je les atteindrai; je partagerai les dépouilles; j'assouvirai mes désirs; ou, je << satisferai ma vengeance; je tirerai mon épée; ma main « les assujettira de nouveau. Vous avez soufflé, et la mer «<les a abîmés. Ils sont tombés au fond des eaux comme «une masse de plomb. »

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10.

1.3, liv. 1.

Moïse revient à sa narration, non pas comme aux versets 4 et 5, par une description toute pure, mais en continuant son apostrophe à Dieu, ce qui passionné davantage le récit : en quoi la conduite de ce cantique me paroît au-dessus de l'éloquence ordinaire. Plus il s'éloigne de la proposition simple qui lui sert d'exorde, plus on voit augmenter la force de ses amplifications.

Misisti iram tuam. Quelle figure! quelle expression! Le prophète donne à la colère divine de l'action et de la vie. Il la transforme en un ministre ardent et zélé, que le juge tranquille envoie du haut de son trône exécuter les arrêts de sa vengeance. Les rois ont besoin, contre leurs ennemis, de cavalerie, de troupes, d'armes, et d'un grand attirail de guerre. A Dieu, sa colère seule lui suffit pour punir des coupables. Vous avez envoyé votre colère. Que de choses renfermées dans un seul mot, qui laisse au lecteur le plaisir de compter lui-même dans son imagination les feux, les éclairs, les foudres, les tempêtes, et tous les autres instrumens de cette colère! On sent mieux la beauté de cette expression qu'on ne peut l'exprimer. On y trouve une certaine profondeur et un je ne sais quoi qui occupe et qui remplit l'esprit. Horace a eu en vue cette figure par son iracunda fulmina. Virgile l'a attrapée dans l'ingénieuse composition de la foudre qu'il décrit au huitième livre de l'Enéide :

Sonitumque, metumque
Miscebant operi, flammisque sequacibus iras.

Qu'a donc fait cette terrible colère? Elle les a dévorés comme une paille. Il n'appartient qu'à l'Ecriture de nous donner de telles images. Tâchons d'approfondir cette pensée. Nous verrons la colère de Pieu qui dévore une armée épouvantable. Hommes, chevaux, chariots, tout cela est broyé, consumé, abîmé : foibles synonymes. Tout cela est dévoré : ce seroit tout dire. Mais la similitude qui vient après achève le portrait: car dans le mot de

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