cices peuvent remplir utilement et agréablement les premières années de leur vie. Et pourquoi refuseroit-on de leur orner l'esprit, de ces connoissances, qui certainement ne sont point au-dessus de leur portée, ni contraires à leur état? L'affectation de science et de bel-esprit ne convient personne, et encore moins aux dames: mais s'ensuit-il qu'elles doivent être, condamnées à une grossière ignorance! L'étude que je conseille ici aux jeunes demoiselles ne les empêchera point, comme je l'ai déjà observé, de s'acquitter exactement de tous leurs devoirs, d'apprendre à travailler utilement des mains, d'entrer déjà dans tous les soins du ménage, de s'instruire de tout ce qui regarde une sage économie, et qui a rapport au gouvernement domestique, connoissances absolument essentielles à leur état, et dont le défaut cause ordinairement la ruine des plus grandes maisons. L'étude dont je parle, loin d'être un obstacle à ces devoirs, les y conduira naturellement, et leur en rendra la pratique plus facile, en leur donnant un esprit plus sérieux, plus exact, plus solide, plus capable d'ordre, d'attention, de travail, en leur faisant aimer davantage leurs maisons, et en leur apprenant à se passer de compagnies. Elles ne feront jamais parade de ce qu'elles auront appris, et ne se feront distinguer des autres que par une plus grande modestie. L'avantage qu'elles tireront de leurs connoissances sera de n'être pas obligées, pour éviter l'ennui et le dégoût d'une vie désoccupée, d'en remplir le vide par le jeu, par les spectacles, par des visites inutiles, par des conversations frivoles; et d'être en état, après qu'elles auront satisfait aux bienséances de leur condition, de se réserver des momens précieux, où, libres et retirées, elles puissent, s'occuper de lectures capables de nourrir agréablement leur esprit, et de remplir leur cœur d'une joie solide et durable, en lui montrant le seul bien qui peut le rendre heureux. LIVRE SECOND. wwwwwwwww DE L'INTELLIGENCE DES LANGUES. I L'INTELLIGENCE des langues sert comme d'introduction à toutes les sciences. Par elle nous parvenons presque sans peine à la connoissance d'une infinité de belles choses qui ont coûté de longs travaux à ceux qui les ont inventées. Par elle tous les siècles et tous les pays nous sont ouverts. Elle nous rend en quelque sorte contemporains de tous les âges et citoyens de tous les royaumes; et elle nous met en état de nous entretenir encore aujourd'hui avec tout ce que l'antiquité a produit de plus savans hommes, qui semblent avoir vécu et travaillé pour nous. Nous trouvons en eux comme autant de maîtres qu'il nous est permis de consulter en tout temps, comme autant d'amis qui sont de toutes les heures, et qui peuvent être de toutes nos parties, dont la conversation, toujours utile et toujours agréable, nous enrichit l'esprit de mille connoissances curieuses, et nous apprend à profiter également des vertus et des vices du genre humain. Sans le secours des langues, tous ces oracles sont muets pour Ad res pulcherrimas ex tenebris ad lucem erutas alieno labore deducimur. Nullo nobis seculo interdictum est in omnia admittimur.... disputare cum Socrate licet, etc. illi nobis nati sunt, nobis vitam præparaverunt....... Illos antistites bonarum artium, quisquis volet, potest habere familiarissimos.... Illi nocte et conveniri et interdiù ab omnibus mortalibus possunt.... Nemo horum quemquam ad se venientem vacuis à se manibus abire patitur. Senec. de brevit. vitæ, cap. 14. Pernoctant nobiscum, peregrinantur, rusticantur. Cic. pro Arch. n. 16. Tot nos præceptoribus, tot exem. plis instruxit antiquitas, ut possit videri nullá sorte nascendi ætas felicior, quàm nostra, cui docendo priores elaboraverunt. Quintil. lib. 12, cap. 11. nous, tous ces trésors nous sont fermés; et faute d'avoir la clef, qui seule peut nous en ouvrir l'entrée, nous demeurons pauvres au milieu de tant de richesses, et ignorans au milieu de toutes les sciences. Les langues qui se doivent enseigner dans les colléges de France se réduisent à trois : la grecque, la latine, la françoise. Je commencerai par la dernière, parce que je crois que c'est par elle que doivent commencer ces études. CHAPITRE PREMIER. DE L'ÉTUDE DE LA LANGUE FRANÇOISE. LES Romains nous ont appris, par l'application qu'ils donnoient à l'étude de leur langue, ce que nous devrions faire pour nous instruire de la nôtre. Chez eux les enfans, dès le berceau, étoient formés à la pureté du langage. Ce soin étoit regardé comme le premier et le plus essentiel, après celui des mœurs. ' Il étoit particulièrement recommandé aux mères mêmes, aux nourrices, aux domestiques. On les avertissoit de veiller, autant qu'il étoit possible, à ce qu'il ne leur échappât jamais d'expression ou de prononciation vicieuse en présence des enfans, 2 de peur que ces premières impressions ne devinssent en eux une seconde nature, qu'il seroit presque impossible de changer dans la suite. 3 On commençoit à la vérité par apprendre le grec aux enfans: mais l'étude du latin suivoit de près; et bientôt * Ante omnia, ne sit vitiosus sermo nutricibus.... Has primùm audiet puer, karum verba effingere imitando conabitur... Non assuescat ergo, ne dum infans quidem est, sermoni qui dediscendus sit. Quintil. lib. 1, cap. 1. › Multa linguæ vitia, nisi primis TRAITÉ DES ÉTUD. TOM. 1. · eximuntur annis, inemendabili in posterum pravitate durantur. Ibid. сар. 2. 3 A sermone græco puerum incipere malo. ... Non longè latina subsequi debent, et citò pariter ire. Ibid. cap. 2. 5 I on faisoit marcher ces deux études d'un pas égal. Elles avoient chacune des maîtres distingués, soit pour la grammaire, soit pour la rhétorique ou pour la philosophie; et s'il y avoit de la préférence pour l'une des deux langues,elle étoit toute pour celle du pays, qui seule étoit en usage dans le maniement des affaires publiques. ' En effet les Romains, surtout dans les temps de la république, auroient cru déshonorer et avilir la nation si, pour traiter avec les étrangers, soit à Rome, soit dans les provinces, ils avoient employé une autre langue que la latine. Plutarque nous fait remarquer, dans la vie de Caton le censeur, que ce Romain, ayant été député par la république vers les Athéniens, crut ne devoir les haranguer qu'en Verrin. 6, latin, quoiqu'il fût très-capable de le faire a en grec; et l'on reprocha à Cicéron d'avoir parlé grec en public chez les Liv. lib. 45, Grecs mêmes. Paul Emile parla pourtant en cette langue au roi Persée qu'il venoit de vaincre: ce qu'il accorda pentêtre à sa qualité, et encore plus à l'état malheureux où il le voyoit. n. 147. 1.8. Il s'en faut bien que nous apportions le même soin pour nous perfectionner dans la langue françoise. Il y a peu de personnes qui la sachent par principes. On croit que l'usage seul suffit pour s'y rendre habile. Il est rare qu'on s'applique à en approfondir le génie et à en étudier toutes les délicatesses. Souvent on en ignore jusqu'aux règles les plus communes: ce qui paroît quelquefois dans les lettres mêmes des plus habiles gens. Un défaut si ordinaire vient sans doute de l'éducation.. Pour le prévenir, il est nécessaire d'employer tous les jours pendant le cours des classes un certain temps à l'étude de notre langue. ■ Illud magná cum perseverantia custodiebant, ne Græcis unquàm, nisi latinè, responsa darent... Quo scilicet latinæ vocis honos per omnes gentes venerabilior diffunderetur. Nec illis deerant studia doctrinæ : sed nullá non in re pallium togæ subjici debere arbitrabantur ; indignum esse existimantes, illecebris et sua vitate litterarum imperii pondus et auctoritatem domari. Val. Max. 1. 2, сар. 2. a Cicéron, dans son Traité de la vieillesse, fait dire à Caton qu'il étoit déjà vieux quand il apprit le grec litteras græcas senex didici. Cepen dant il n'avoit pas cinquante ans quand il fit le voyage dont il s'agit ici. Quatre choses peuvent, ce me semble, contribuer principalement au progrès qu'on en doit attendre: la connoissance des règles, la lecture des livres françois, la traduction, la composition. ARTICLE PREMIER. De la connoissance des règles. Comme les premiers élémens du discours sont communs, jusqu'à un certain point, à toutes les langues, il est naturel de commencer l'instruction des enfans par les règles de la grammaire françoise, dont les principes leur serviront aussi pour l'intelligence du latin et du grec, et paroîtront beaucoup moins difficiles et moins rebutans, puisqu'il ne s'agira presque que de leur faire ranger dans un certain ordre des choses qu'ils savent déjà, quoique confusément. On leur apprendra d'abord les différentes parties qui forment un discours, comme le nom, le verbe, etc.; puis les déclinaisons et les conjugaisons; ensuite les règles les plus communes de la syntaxe. Quand ils seront un peu rompus par l'habitude dans ces premiers élémens, on leur en fera voir l'application dans quelques livres françois, et l'on sera exact à leur demander raison de tous les mots qui s'y rencontreront. Il faut les accoutumer de bonne heure à bien distinguer les points, les virgules, les accens, et les autres notes grammaticales qui rendent l'écriture correcte, et commencer par leur en expliquer la nature et l'usage. Il faut aussi leur faire articuler distinctement toutes les syllabes, surtout les finales. Il est même nécessaire que le maître étudie avec attention les différens défauts de langage ou de prononciation qui sont particuliers à chaque province, et quelquefois même aux villes qui se piquent le plus de politesse, pour les faire éviter aux enfans, ou pour les en corriger. On ne peut dire combien ces premiers soins leur épargneront de peine dans un âge plus avancé. |