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se trouvent réunies toutes les qualités les plus estimables: beauté et force de génie, délicatesse d'esprit, solidité d jugement, finesse de goût, vaste étendue de connoissances. longue expérience des affaires. Là chaque jour se renouvellent des combats entre de fameux athlètes, sous les yeux d savans et judicieux magistrats, et au milieu d'un concours extraordinaire de spectateurs, attirés par l'importance de affaires qui s'y traitent, et encore plus par la réputation de ceux qui y parlent. L'éloquence s'y montre sous toutes ses formes grave et sérieuse dans l'un, enjouée et plus gaie dans l'autre; quelquefois sans préparatif et avec un air négligé, d'autres fois avec toute sa parure et ses ornemens; étendue ou serrée; pleine de douceur ou de force; sublime et majestueuse, ou plus simple et plus familière, selon la diversité des causes. Là nul mot n'est perdu, nulle beauté, nul défaut n'échappe à des auditeurs attentifs et intelligens. Et pendant que d'un côté les juges, la balance à la main, en présence et au nom de la justice souveraine, décident du sort des particuliers, d'un autre côté le public, dans un tribunal non moins inaccessible à la faveur, décide du mérite et de la réputation des avocats, et porte de leurs plaidoyers un jugement qui est sans appel.

Rien, ce me semble, ne relève davantage la gloire du barreau, que lorsqu'au milieu de tous ces exercices si ca pables de piquer l'amour-propre, il y règne dans le corps des avocats un esprit d'équité et de modération, qui rend à chacun la justice qui lui est due, et qui en bannit toute envie et toute jalousie; lorsque les anciens avocats, près de sortir d'une carrière où ils ont été tant de fois couronnés, y voient avec joie entrer un nouvel essaim dejeunes orateurs qui vont succéder à leurs travaux, et soutenir l'honneur d'une profession qui leur est toujours chère et à laquelle ils ne peuvent pas ne point s'intéresser: lorsque ceux-ci de leur côté, bien loin de se laisser éblouir a l'éclat d'une réputation naissante, mettent toujours un grand intervalle entre eux et les anciens, et les respectent sincèrement comme leurs pères et leurs maîtres; enha

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lorsque entre les jeunes règne cette émulation qui étoit entre Hortensius et Cicéron, dont ce dernier nous a laissé sun si beau portrait. 1 J'étois bien éloigné, dit-il, en parlant d'Hortensius, de le regarder comme un ennemi ou Ka un rival dangereux. Je l'aimois et l'estimois comme le témoin et le compagnon de ma gloire. Je sentois quel avantage c'étoit pour moi d'avoir en tête un tel adverMsaire, et quel honneur de pouvoir quelquefois lui disputer S la victoire. Jamais l'un ne trouva l'autre à sa rencontre, ni opposé à ses intérêts. Nous nous faisions un plaisir de nous entr'aider en nous communiquant nos lumières, en s: nous donnant des avis, et en nous soutenant l'un l'autre par une estime mutuelle, qui faisoit que chacun mettoit son ami au-dessus de lui-même.

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Le barreau peut donc être pour les jeunes gens une excellente école, non seulement d'éloquence, mais de 1: vertu, s'ils savent y profiter des bons exemples qu'il leur fournira. Ils sont jeunes et sans expérience, et par conséquent ils doivent peu juger, peu décider, mais écouter et consulter beaucoup. Quelque esprit et quelque talent qu'ils puissent avoir, la modestie doit être leur partage. Cette vertu, qui fait l'ornement de leur âge, en paroissant cacher leur mérite, ne servira qu'à le relever. Mais surtout ils doivent éviter une basse jalousie pour qui la gloire et la réputation d'autrui est un tourment, au lieu 2 qu'elle devroit être le lien de l'amitié et de l'union; ils

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doivent, dis-je, éviter la jalousie comme le vice le plus honteux, le plus indigne d'un homme d'honneur, et le plus ennemi de la société.

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De doct.ch. .4, n. 27.

N. 30.

N. 61.

CHAPITRE SECOND.

DE L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE.

SAINT AUGUSTIN, dans l'admirable traité qui a pour titre de la Doctrine chrétienne, et dont on ne peut trop recommander la lecture aux maîtres de rhétorique, distingue deux choses dans l'orateur chrétien: ce qu'il dit, et comment il le dit; le fond des choses mêmes, et la manière de les traiter, ce qu'il appelle sapienter dicere, eloquenter dicere. Je commencerai par la dernière de ces deux parties, et finiraí par l'autre.

ARTICLE PREMIER.

De la manière dont un prédicateur doit parler.

Saint Augustin, en suivant le plan que Cicéron nous a tracé des devoirs de l'orateur, dit qu'ils consistent à instruire, à plaire, à toucher. Dixit quidam eloquens, et verum dixit, ita dicere debere eloquentem, ut doceat, ut delectet, ut flectat. Il répète la même chose en d'autres termes, en disant que l'orateur chrétien doit parler de telle sorte qu'il soit écouté, intelligenter, libenter, obedienter; c'est-à-dire, qu'on comprenne bien ce qu'il dit, qu'on se plaise à l'entendre, et qu'on se rende à ce qu'il a voulu persuader. Car la prédication a ces trois fins, que la vérité nous soit connue; que la vérité soit écoutée avec plaisir; que la vérité nous touche: ut veritas pateat; ut veritas placeat; ut veritas moveat. Je suivrai ce même plan, et je parcourrai les trois devoirs de l'orateur chrétien.

PREMIER DEVOIR DU PREDICATEUR,

Instruire, et pour cela parler avec clarté.

Comme le prédicateur parle pour instruire, et qu'il est redevable à tous, aux ignorans et aux pauvres, autant et peut-être encore plus qu'aux savans et aux riches, il doit se rendre intelligible à tous, et dans ses discours s'atta¬ cher principalement à la clarté. Il faut que tout y contribue l'ordre, les pensées, l'expression, la prononcia

tion.

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C'est un mauvais goût de certains orateurs', 1 1 que de croire qu'ils ont beaucoup d'esprit quand il en faut pour les entendre. Ils ignorent que tout discours qui a besoin d'interprète est un très-mauvais discours. La souveraine perfection du style d'un prédicateur seroit que, plein de grâces pour les savans, plein de clarté pour les ignorans, il plût également aux uns et aux autres. Mais si l'on ne peut réunir ces deux avantages, S. Augustin veut qu'on sacrifie le premier au second, et qu'on néglige l'ornement et quelquefois même la pureté du langage, si cela est nécessaire pour se faire entendre, parce qu'en effet ce n'est que pour cela qu'on parle. Cette sorte de négligence, qui n'est pas sans esprit et sans art, comme il le remarque après Cicéron, et qui vient d'un homme plus attentif

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de tali genere locutionis ageret, esse in eá quamdam diligentem negligentiam. Hæc tamen sic detrahit ornatum, ut sordes non contrahat. S. Au gust. de doctr. christ. I. 4, n. 24.

Melius est reprehendant nos gram, matici, quàm non intelligant populi. Id. in Psalm. 138,

* Indicat non ingratam negligen tiam de re hominis magis, quàm de verbis, laborantis... Quædam etiam negligentia est diligens. Orat. n. 77 et 78.

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aux choses mêmes qu'aux mots, ne doit pas aller néanmoins jusqu'à rendre le discours bas et rampant, mais seulement plus clair et plus intelligible.

Saint Augustin avoit d'abord écrit contre les manichéens d'un style plus orné et plus sublime, qui faisoit que ceux qui avoient peu de science n'entendoient pas ses écrits, ou ne les entendoient qu'avec beaucoup de difficulté. On lui représenta que, s'il vouloit que ses ouvrages fussent utiles à un plus grand nombre de personnes, il devoit demeurer dans le style simple et ordinaire, qui a cet avantage au-dessus de l'autre, d'être intelligible en même temps aux savans et aux ignorans. Le saint reçut cet avis avec son humilité ordinaire, et il en fit usage dans les livres qu'il composa depuis contre les hérétiques, et dans les discours qu'il prononça devant son peuple. Son exemple doit être une règle pour tous ceux qui instrui

sent.

Comme l'obscurité est le défaut que le prédicateur doit éviter avec le plus de soin, et que ceux qui écoutent n'ont pas la liberté de l'interrompre quand ils trouvent quelque chose d'obscur, saint Augustin veut qu'il lise dans les yeux et dans la contenance de ses auditeurs s'ils l'entendent ou non, et qu'il répète la même chose en lui donnant différens tours, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive qu'il est parvenu à se faire entendre; avantage que ne peuvent avoir ceux qui, servilement attachés à leur mémoire, apprennent leurs sermons mot à mot, et les récitent comme une leçon.

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