Page images
PDF
EPUB

Cyrus et de Scipion, et auquel des deux elle donnoit la préférence dans une action presque toute pareille. D'un côté, me dit-elle, il y a plus de force, et de l'autre plus de prudence.

Quand la leçon est finie, la jeune personne repasse ce qui a été expliqué, et en fait l'extrait, qu'elle montre ensuite au maître. Il corrige ce qu'il y a de défectueux, soit pour les pensées, soit pour l'expression; ajoute ce qui manque au récit, retranche ce qu'il a de superflu; fait remarquer les fautes de langage et d'orthographe. Je ne sache rien qui puisse être plus utile à de jeunes personnes que cette sorte d'exercice. J'en ai vu plusieurs composer leurs extraits avec beaucoup d'exactitude et de justesse. On n'arrive pas tout d'un coup à cette perfection, mais on y vient peu à peu. L'application et le travail sont toujours suivis ici d'un heureux succès.

Un des maîtres qui enseignoit l'histoire aux demoiselles, pour leur apprendre comme il falloit faire ces extraits, leur en donnoit un modèle, que j'ai cru devoir insérer ici. Il y a trois manières de faire ces extraits: l'une qui est plus longue, et qu'il appelle abrégé; l'autre qui est plus succincte, et à qui il donne le nom d'analyse ; enfin la troisième, qui n'est qu'un sommaire, et qui renferme en gros les principaux événemens d'une histoire.

Abrégé d'un morceau de l'histoire de Cyrus, qui se trouve au commencement du quatrième livre de l'Histoire an

cienne.

Cyrus, fils de Cambyse, roi de Perse, et de Mandane, fille d'Astyage, roi des Mèdes, fut élevé selon les lois de sa nation, qui pour lors étoient excellentes. Le bien public étoit le principe et le but de toutes ces lois. On regardoit l'éducation de la jeunesse comme le point le plus essentiel du gouvernement. L'état s'en chargeoit, et l'on envoyoit les enfans aux écoles, moins pour y étudier les sciences que pour y apprendre la justice. Le crime qu'on y punissoit le plus sévèrement, étoit l'ingra

titude; mais on étoit plus attentif à prévenir les fautes par une bonne éducation qu'à les arrêter par le châtiment. Tout y étoit réglé par rapport aux jeunes gens : exercices, repas, punitions. Une vie toujours occupée, jointe à une nourriture frugale, leur procuroit un fonds. de santé capable de soutenir dans la suite les plus dures. fatigues. On étoit dans la classe des enfans jusqu'à seize ou dix-sept ans. De là on passoit dans celle des jeunes gens; ils y étoient tenus de plus court, et y demeuroient dix ans. La troisième étoit pour les hommes faits. Après y être resté vingt-cinq ans, on entroit dans la dernière, d'où l'on tiroit les plus sages pour former le conseil public et les compagnies des juges, comme de la troisième on tiroit les officiers d'armée.

Cyrus, âgé de douze ans, alla avec Mandane chez Astyage son grand-père, qui désiroit ardemment de le voir. Les mœurs des Mèdes étoient toutes différentes de celles des Perses. Cyrus, sans être ébloui du vain éclat de la cour d'Astyage, et sans rien critiquer, sut se maintenir dans les principes qu'il avoit reçus dès son enfance, et se concilier tous les cours.

Dans un repas somptueux que son grand-père donna en sa faveur, et où tout fut prodigué, il regardoit cette magnificence d'un œil fort indifférent. Le roi en paroissant surpris, le jeune prince lui répondit qu'en son pays, pour apaiser la faim, on prenoit un moyen plus aisé et plus court; qu'un peu de pain, d'eau et de cresson leur suffisoit. Il distribua, avec la permission d'Astyage, tous les mets aux différens officiers; mais il oublia exprès Sacas, grand échanson, parce qu'ayant de plus la charge d'introduire dans l'appartement du roi ceux à qui l'on donnoit audience, il n'y laissoit pas entrer Cyrus aussi souvent qu'il l'eût souhaité. Astyage eut de la peine de ce que son petit-fils avoit fait cet affront à un officier qu'il considéroit particulièrement pour son adresse à lui verser à boire. Ne faut-il que cela, mon papa, reprit Cyrus, pour gagner vos bonnes grâces? elles sont à moi. Je me fais fort de vous mieux servir que lui. On l'équipe aussitôt en échanson. Il TRAITÉ DES ÉTUD. TOM. I.

s'avance gravement; et, tenant la coupe, il la présente avec une grâce et une dextérité merveilleuse. Puis se jetant au cou de son grand-père : O Sacas, s'écria-t-il, pauvre Sacas, te voilà perdu ! j'aurai ta charge. Vous avez oublié de faire l'essai, et de goûter le vin, lui dit le roi. Mon papa, répliqua-t-il, ce n'est point un oubli de ma part : j'ai craint d'être empoisonné. Car, dans un autre repas, j'ai remarqué qu'après qu'on eut bu de cette liqueur, la tête tourna à tous les conviés. Eh, quoi ! dit Astyage, la même chose n'arrive-t-elle pas chez votre père? Jamais, répondit Cyrus. Tout ce qui arrive, c'est qu'après avoir bu l'on n'a plus soif.

On ne peut trop admirer l'habileté de l'historien Xénophon qui use de ce détour ingénieux pour donner aux princes une excellente leçon de sobriété.

Lorsque Mandane retourna en Perse, Cyrus demeura encore en Médie, sur les instances que lui en «fit son grand-père, et profita de ce délai pour apprendre à bien monter à cheval, exercice inconnu en Perse jusqu'alors. Il se fit universellement estimer et aimer. Doux, affable, officieux, libéral, il sollicitoit les grâces, et se rendoit volontiers médiateur pour les autres. Il étoit dans sa seizième année lorsqu'il fit son apprentissage de l'art militaire sous Astyage, à l'occasion d'une petite irruption du fils du roi des Babyloniens dans les terres des Mèdes. L'année d'après, Cambyse le rappela pour lui faire achever son temps dans les écoles des Perses. Il partit sur-le-champ, regretté de toute la cour. A son arrivée en Perse, il surprit beaucoup ses anciens compagnons, qui, après un séjour assez long dans une cour voluptueuse, le virent plus sobre et plus retenu que pas un d'eux. De la classe des enfans il passa dans celle des jeunes gens, où il n'eut point d'égal en adresse, en patience, en obéissance; et dix années après il entra dans celle des hommes faits.

Astyage élani niort, Cyaxare, son fils, frère de Mandane et par conséquent oncle de Cyrus, lui succéda. Une guerre considérable qu'il eut à soutenir contre les Babylonien l'engagea à faire venir son neveu avec des troupes auxi

liaires. Cambyse l'envoya en effet à la tête d'une armée de trente mille hommes d'infanterie, commandés par mille officiers choisis dans toute la noblesse. Le jeune Cyrus fit à ces officiers un discours propre à les remplir de l'espérance d'un heureux succès. Il n'oublia pas de leur représenter la justice de la cause qu'ils alloient défendre, et les assura qu'il avoit consulté et invoqué les dieux avant que de s'y engager; ce qu'il fit encore au moment du départ. Il tenoit cette religieuse maxime de son père, qui la lui avoit souvent inculquée, et qui, voulant accompagner son fils jusqu'aux frontières de ses états, lui donna en chemin d'excellentes instructions sur les devoirs d'un générat d'armée. Il lui fit remarquer que ses maîtres, de qui il croyoit avoir tout appris, avoient omis les points les plus essentiels de l'art militaire, et entre autres le grand art de gagner les cœurs de ceux à qui l'on commande, et de se procurer de leur part une obéissance volontaire. Le secret de cet art, selon ce sage politique, consiste à convaincre ses inférieurs que l'on sait mieux qu'eux-mêmes ce qui leur est utile; et ils en sont aisément persuadés, lorsque réellement on est plus habile qu'eux. Or, on le devient en s'appliquant beaucoup à sa profession, en étudiant, en consultant, en ne négligeant rien, et surtout en implorant le secours des dieux.

Cyrus, arrivé près de Cyaxare, s'informa du nombre et de la qualité des troupes de part et d'autre. Les Mèdes et les Perses joints ensemble, n'en ayant pas moitié de ce qu'en avoient les Babyloniens, Cyrus remédia à cette fâcheuse inégalité en changeant les armes des Perses, avec lesquelles ils ne combattoient que de loin, genre de combat où le grand nombre a l'avantage, et leur en donnant de propres à combattre de près. Il établit un ordre admirable dans les troupes, et y jeta l'émulation par les récompenses qu'il proposa. Il ne faisoit aucun cas de l'argent que pour le donner. Sa libéralité, ses manières honnêtes, la bonté qu'il marquoit à tout le monde, lui attachoient également les officiers et les soldats.

Un jour qu'il faisoit la revue de son armée, Cyaxare

l'envoya avertir qu'il étoit arrivé des ambassadeurs du roi des Indes, et le fit prier de venir promptement, revêtu des habits magnifiques qu'il lui envoyoit. Il partit dans l'instant, et se rendit auprès du roi, couvert de poussière et de sueur, comptant l'honorer plus par cette promptitude à exécuter ses ordres qu'il n'auroit fait par un habillement somptueux. Ces ambassadeurs venoient s'informer des motifs de la guerre, et ils étoient chargés d'aller faire la même demande chez les Babyloniens, afin qu'ensuite leur maître embrassât le parti où il verroit plus de raison et plus d'équité: noble et glorieux usage d'une grande puissance! Cyaxare et Cyrus répondirent qu'ils n'avoient donné aucun sujet de plainte à leurs agresseurs, et qu'ils prendroient avec joie pour arbitre le roi des Indiens.

Le roi d'Arménie, vassal des Mèdes, prit cette occasion pour se soustraire à leur obéissance. Cyrus se chargea de le ramener à son devoir. Pour cela, il engagea une partie de chasse sur ses terres avec un nombreux cortége, ce qui lui étoit ordinaire; et il se fit suivre de loin par un gros de troupes. Etant à quelque distance du château où séjournoit la cour d'Arménie, il s'empara d'une hauteur escarpée, fit avancer son monde, et envoya sommer le roi de payer le tribut accoutumé. Celui-ci, déconcerté par cette surprise, se sauva avec peu de suite sur une éminence, où il fut investi et fait prisonnier. Les princesses, en fuyant vers les montagnes, tombèrent dans une embuscade, et furent amenées au camp. Sur ces entrefaites arriva Tigrane, fils aîné du roi, qui revenoit d'un voyage et qui étoit nouvellement marié. Cyrus, en sa présence, interrogea son père sur les articles du traité qu'il avoit fai avec Astyage, et sur l'infraction de ces articles, sur chacu desquels il tiroit de lui un aveu de son infidélité. Puis lui demanda, à différentes reprises, comment il traiteroi quelqu'un qui seroit tombé à son égard dans une faut à peu près semblable. Le roi ayant répondu de manièr à se condamner lui-même à perdre la vie,Tigrane, son fil déchira ses vêtemens de douleur, et les dames qui étoier

« PreviousContinue »