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bien, et qu'encore qu'on découvre d'où elles sont tirées, elles paroissent avoir comme changé de nature en pasant par ses mains. Mais, comme il s'agit ici de donner des préceptes d'éloquence et des règles du bon goût, j'ai cru que je devois citer mes auteurs et produire mes garans, dont le nom seul peut donner du poids à mes réflexions.

Je ne me suis pas fait une loi de traduire toujours littéralement ces passages, et je me contente souvent d'en exprimer le sens dans mes remarques. La nouvelle traduction de Quintilien m'a été d'un grand secours.Je l'ai employée, sans m'y asservir, et j'ai pris la liberté d'y faire quelques changemens, aussi-bien que dans la plupart des autres dont j'ai fait usage. Celle d'Homère, faite par madame Dacier, m'a aussi beaucoup servi. J'ai pourtant quelquefois préféré la traduction que M. Boivin a faite de quelques livres de ce poëte : elle fait désirer que tout le reste soit achevé de la même main. La Manière de bien penser du P. Bouhours m'a fourni de solides réflexions sur ce qui regarde les pensées ce livre est trèspropre à former le goût, et peut beaucoup aider les maîtres qui le liront avec attention et avec quelque précaution. J'ai puisé dans les savans écrits qui ont paru de notre temps sur les livres saints une partie de ce que j'ai dit sur l'éloquence sacrée. En un mot, tout ce qu'il y a de meilleur dans cet ouvrage n'est point de moi : et que m'importe d'où il soit, pourvu qu'il se trouve utile à la jeunesse, ce qui est le seul but que j'ai dû me proposer?

Je n'ai garde de me faire honneur des richesses d'autrui : il y auroit en cela quelque chose de plus que de l'imprudence. Je souhaiterois seulement qu'elles pussent couvrir ma pauvreté, et que cette foule de beautés étrangères qui ornent mon ouvrage fit oublier, ou du moins excuser les défauts qui me sont personnels.

Il pourra venir dans l'esprit de quelques personnes que cet ouvrage, qui est principalement destiné pour l'université, et qui traite des études qui s'y font, auroit dù être composé en latin; et cette pensée paroît fort raisonnable et fort naturelle.

Il auroit peut-être été de mon intérêt de prendre ce parti; et j'aurois pu mieux réussir en écrivant dans une langue à l'étude de laquelle j'ai employé une partie de ma vie, et dont

1 Est benignum, et plenum ingenui pudoris, fateri per quos profeceris. C. Plin. in præfat.

J'ai beaucoup plus d'usage que de la langue françoise. Je ne rougis point de faire cet aveu, afin qu'on soit plus disposé à me pardonner bien des fautes qui me seront échappées dans un genre d'écrire qui est presque nouveau pour moi. Depuis que j'ai achevé les trois premiers livres, qui regardent la grammaire, la poésie et la rhétorique, j'ai lu un ouvrage composé en latin sur le même sujet, qui auroit pu me détourner de faire le mien dans la même langue, ne pouvant pas me flatter d'atteindre à la beauté du style qui y règne. C'est le livre du P. Jouvency, jésuite, qui a long-temps enseigné la rhétorique à Paris avec beauconp de réputation et de succès. Il a pour titre, De ratione discendi et docendi. Ce livre est écrit avec une pureté et une élégance, avec une solidité de jugement et de réflexions, avec un goût de piété, qui ne laissent rien à désirer, sinon que l'ouvrage fût plus long et que les matières y fussent plus approfondies: mais ce n'étoit pas le dessein de l'auteur.

Plusieurs raisons m'ont déterminé à ne point écrire en latin. Premièrement, il me paroît que cela auroit été directement contraire au but que je me suis proposé, qui est d'instruire des jeunes gens qui ne sont pas encore fort habiles, et qui n'ont pas assez de connoissance de la langue latine pour l'entendre aussi facilement que celle de leur pays. J'ai dû, ce me semble, au défaut des autres attraits qui manqueront à cet ouvrage, leur en faire trouver quelqu'un dans la facilité qu'ils auront à le lire; et, n'ayant pu y répandre des fleurs, en écarter au moins les épines.

D'ailleurs j'ai cru devoir ne me pas borner à former des hommes éloquens en latin, mais porter mes vues plus loin avec l'université, en songeant principalement à ceux qui doivent un jour faire usage de l'éloquence et des belles-lettres dans la langue françoise et c'est ce qui m'a déterminé à ajouter à mon ouvrage des exemples tirés des auteurs françois. Enfin il m'a paru avantageux de mettre tous les pères, et les mères même à portée de lire ce traité sur les études, et de connoître par ce moyen ce qu'il est nécessaire qu'on apprenne à leurs enfans.

Mais je dois les avertir qu'ils auroient tort de s'attendre à trouver d'abord dans un maître toute l'étendue des connoissances par lesquelles je marque qu'on doit cultiver l'esprit des jeunes gens, belles-lettres, philosophie, histoire sacrée et profane, géographie, chronologie, et beaucoup d'autres choses

Sap. 7-16.

de ce genre. Où trouve-t-on de tels maîtres? Je serois bien injuste et bien déraisonnable d'exiger d'eux ce que je reconnois n'avoir pas moi-même, et dont j'étois encore bien plus éloigné quand j'entrai dans la profession. Il suffit d'y porter quelque fonds d'esprit, de la docilité, du désir d'apprendre, quelque teinture des principes de toutes ces connoissances. Et mon dessein est d'en répandre assez dans cet ouvrage pour mettre un jeune maître en état d'en donner quelque idée à ses disciples.

Il ne me reste, en finissant cet avant-propos, qu'à prier Dieu, dans la main de qui nous sommes nous et nos discours, de vouloir bénir mes bonnes intentions, et de rendre cet ouvrage utile à la jeunesse, dont l'instruction m'est toujours chère, et me paroît faire encore partie de ma vocation et de mon devoir dans le tranquille loisir que la divine Providence m'a procuré.

OU

DE LA MANIÈRE D'ENSEIGNER

ET D'ÉTUDIER

LES BELLES-LETTRES.

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LIVRE PREMIER.

AVANT-PROPOS.

AVANT que d'entrer dans le détail des différens exercices

propres à former la jeunesse dans les études publiques, ce qui étoit d'abord mon unique but, j'ai été conseillé d'insérer ici quelques courtes reflexions sur ce que l'on doit faire apprendre aux enfans dans les premières années, et même sur les études qui peuvent convenir aux jeunes personnes de l'autre sexe jusqu'à un âge plus avancé. On sent bien que je ne dois traiter que très-superficiellement ce double sujet, étranger à mon premier plan, et qui est est ici comme un hors-d'oeuvre. L'habileté des maîtres et l'attention des pères et des mères sérieusement occupés de l'éducation de leurs enfans suppléeront aisément à ce qui pourra manquer à ce petit traité.

CHAPITRE PREMIER.

Des exercices qui conviennent aux enfans dans l'âge le plus tendre.

Je dois avertir dès le commencement que souvent les avis que je donne fci et dans la suite pour un sexe sont égaTRAITÉ DES ÉTUD. TOM. I.

I

lement utiles à l'autre il sera aisé d'en faire le discernement et l'application.

§. I. A quel âge on peut commencer à faire étudier les enfans.

Un auteur bien sensé, dont je fais grand usage dans mes livres, et qui a donné d'excellentes règles sur l'éducation de la jeunesse (c'est Quintilien), examine une question fort agitée dès son temps, et qui partageoit les sentimens, savoir à quel âge il faut commencer à faire étudier les enfans. Quelques-uns pensoient qu'on ne devoit point les appliquer à l'étude avant l'âge de sept ans, parce qu'avant ce temps ils n'ont ni l'esprit assez ouvert pour profiter des leçons qu'on leur donneroit, ni le corps assez robuste pour soutenir un travail sérieux.

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Quintilien pense d'une manière différente, et il appuie son sentiment de l'autorité de Chrysippe, célèbre philosophe stoïcien, qui avoit traité à fond la matière de l'éducation. Ce philosophe donnoit à la vérité trois ans aux nourrices; mais il vouloit que dès-lors elles s'appliquassent à former les mœurs des enfans, et à réprimer en eux les premières saillies des passions qui commencent déjà à se faire sentir dans cet âge tendre, et qui croissent avec eux insensiblement, si l'on n'a soin de les étouffer dans leur naissance. Or 2, dit Quintilien, si cet âge est susceptible de soins par rapport aux mœurs, pourquoi ne le sera-t-il pas aussi par rapport à l'étude ? Que peuventils faire de mieux depuis qu'ils sont en état de parler? car il faut bien qu'ils fassent quelque chose. Je sais bien (c'est toujours le même auteur qui parle) que, dans tout le temps dont il s'agit, ces enfans ne pourront pas autant avancer qu'ils le feront dans la suite en une seule année.

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