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rain, il est clair que la démocratie convient mieux que la monarchie aux pays stériles, où la terre a besoin de toute l'industrie des hommes. La liberté d'ailleurs est, en ce cas, une espèce de dédommagement de la dureté du travail. Il faut plus de lois pour un peuple agriculteur que pour un peuple qui nourrit des troupeaux; pour celui-ci, que pour un peuple chasseur; pour un peuple qui fait usage de la monnoie, que pour celui qui l'ignore.

Enfin, on doit avoir égard au génie particulier de la nation. La vanité, qui grossit les objets, est un bon ressort pour le gouvernement; l'orgueil, qui les déprise, est un ressort dangereux. Le législateur doit respecter, jusqu'à un certain point, les préjugés, les passions, les abus. Il doit imi er Solon, qui avoit donné aux Athéniens, non les meilleures lois en elles-mêmes, mais les meilleures qu'ils pussent avoir le caractère gai de ces peuples demandoit des lois plus faciles; le caractère dur des Lacédémoniens, des lois plus sévères. Les lois sont un mauvais moyen pour changer les manières et les usages; c'est par les récompenses et l'exemple qu'il faut tâcher d'y parvenir. Il est pourtant vrai, en même temps, que les lois d'un peuple, quand on n'affecte pas d'y choquer grossièrement et directement ses mœurs, doivent influer insensiblement sur elles, soit pour les affermir, soit pour les changer.

Après avoir approfondi de cette manière la nature et l'esprit des lois par rapport aux différentes

espèces de pays et de peuples, l'auteur revient de nouveau à considérer les états les uns par rapport aux autres. D'abord, en les comparant entre eux d'une manière générale, il n'avoit pu les envisager que par rapport au mal qu'ils peuvent se faire; ici, il les envisage par rapport aux secours mutuels qu'ils peuvent se donner : or, ces secours sont principalement fondés sur le commerce. Si l'esprit de commerce produit naturellement un esprit d'intérêt opposé à la sublimité des vertus morales, il rend aussi un peuple naturellement juste, et en éloigne l'oisiveté et le brigandage. Les nations libres, qui vivent sous des gouvernements modérés, doivent s'y livrer plus que les nations esclaves. Jamais une nation ne doit exclure de son commerce une autre nation sans de

grandes raisons. Au reste, la liberté en ce genre n'est pas une faculté absolue accordée aux négociants de faire ce qu'ils veulent, faculté qui leur scroit souvent préjudiciable; elle consiste à ne gêner les négociants qu'en faveur du commerce. Dans la monarchie, la noblesse ne doit point s'y adonner, encore moins le prince. Enfin, il est des nations auxquelles le commerce est désavantageux : ce ne sont pas celles qui n'ont besoin de rien, mais celles qui ont besoin de tout; paradoxe que l'auteur rend sensible par l'exemple de la Pologne, qui manque de tout, excepté de blé, et qui, par le commerce qu'elle en fait, prive les paysans de leur nourriture pour satisfaire au luxe des seigneurs. Montesquieu, à l'occasion des lois

que le commerce exige, fait l'histoire de ces différentes révolutions; et cette partie de son livre n'est ni la moins intéressante, ni la moins curieuse. Il compare l'appauvrissement de l'Espagne, par la découverte de l'Amérique, au sort de ce prince imbécile de la fable près de mourir de faim pour avoir demandé aux dieux que tout ce qu'il toucheroit se convertit en or. L'usage de la monnoie étant une partie considérable de l'objet du commerce et son principal instrument, il a cru devoir, en conséquence, traiter des opérations sur la monnoie, du change, du payement des dettes publiques, du prêt à intérêt, dont il fixe les lois et les limites, et qu'il ne confond nullement avec les excès, si justement condamnés, de l'usure.

La population et le nombre des habitants ont, avec le commerce, un rapport immédiat; et les mariages ayant pour objet la population, Montesquieu approfondit ici cette importante matière. Ce qui favorise le plus la propagation est la continence publique : l'expérience prouve que les conjonctions illicites y contribuent peu, et même y nuisent. On a établi avec justice, pour les mariages, le consentement des pères : cependant on y doit mettre des restrictions; car la loi doit, en général, favoriser les mariages. La loi qui défend le mariage des mères avec les fils est (indépendamment des préceptes de la religion) une trèsbonne loi civile; car, sans parler de plusieurs autres raisons, les contractants étant d'âge très

différent, ces sortes de mariages peuvent rarement avoir la propagation pour objet. La loi qui défend le mariage du' père avec la fille est fondée sur les mêmes motifs : cependant (à ne parler que civilement) elle n'est pas si indispensablement nécessaire que l'autre à l'objet de la population, puisque la vertu d'engendrer finit beaucoup plus tard dans les hommes; aussi l'usage, contraire a-t-il eu lieu chez certains peuples que la lumière du christianisme n'a point éclairés. Comme la nature porte d'elle-même au mariage, c'est un mauvais gouvernement que celui où on aura besoin d'y encourager. La liberté, la sûreté, la modération des impôts, la proscription du luxe, sont les vrais principes et les vrais soutiens de la population cependant on peut, avec succès, faire des lois pour encourager les mariages, quand, malgré la corruption, il reste encore des ressorts dans le peuple qui l'attachent à sa patrie. Rien n'est plus beau que les lois d'Auguste pour favoriser la propagation de l'espèce. Par malheur, il fit ces lois dans la décadence, ou plutôt dans la chute de la république; et les citoyens découragés devoient prévoir qu'ils ne mettroient plus au monde que des esclaves aussi l'exécution de ces lois fut-elle bien foible durant tout le temps des empereurs païens. Constantin enfin les abolit en se faisant chrétien : comme si le christianisme avoit pour but de dépeupler la société, en conseillant à un petit nombre la perfection du cé

libat!

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L'établissement des hôpitaux, selon l'esprit dans lequel il est fait, peut nuire à la population, ou la favoriser. Il peut et il doit même y avoir des hôpitaux dans un état dont la plupart des citoyens n'ont que leur industrie pour ressource, parce que cette industrie peut quelquefois être malheureuse; mais les secours que ces hôpitaux donnent ne doivent être que passagers, pour ne point encourager la mendicité et la fainéantise. Il faut commencer par rendre le peuple riche, et bâtir ensuite des hôpitaux pour les besoins imprévus et pressants. Malheureux les pays où la multitude des hôpitaux et des monastères, qui ne sont que des hôpitaux perpétuels, fait que tout le monde est à son aise, excepté ceux qui tra. vaillent!

Montesquieu n'a encore parlé que des lois humaines. Il passe maintenant à celles de la religion, qui, dans presque tous les états, font un objet si essentiel du gouvernement. Partout il fait l'éloge du christianisme; il en montre les avantages et la grandeur; il cherche à le faire a¡mer; il soutient qu'il n'est pas impossible, comme Bayle l'a prétendu, qu'une société de parfaits chrétiens forme un état subsistant et durable. Mais il s'est cru permis aussi d'examiner ce que les differentes religions (humainement parlant) peuvent avoir de conforme ou de contraire au génie et à la situation des peuples qui les professent. C'est dans ce point de vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit sur cette matière, et qui a été l'objet de tant de

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