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le monde romain en général vers le début du IIIe siècle, au milieu duquel il vit et qu'il connaît admirablement, ainsi que son propre caractère, car jamais écrivain ne s'est peint lui-même, sans le vouloir, comme le fit Tertullien.

Le fils du modeste centurion de Carthage devait jouir d'une aisance qui lui permettait de consacrer tout son temps à la défense et à la prédication de la foi. Malheureusement, nous savons peu de chose de sa vie privée. Il était marié ; à cette époque, la discipline ecclésiastique n'interdisait aux clercs que les secondes noces. Sa femme s'était peut-être convertie en même temps que lui. Ce qui est certain, c'est qu'elle était chrétienne : cela ressort des deux traités qu'il lui adressa (Ad uxorem). Le premier débute en ces termes : « Pour assurer l'un à l'autre nos biens temporels, nous faisons notre testament ne faut-il pas veiller plus encore à nos intérêts spirituels, en nous léguant nos exhortations et nos conseils sur ce qui regarde les intérêts impérissables et l'héritage céleste?» Ne peut-on pas conclure de ces paroles que Tertullien jouissait de l'aisance qui délivre des soucis matériels et qui donne le loisir et l'indépendance nécessaires pour se vouer tout entier à la défense de ses idées.

Il y a dans sa vie une énigme. Il eut l'audace de s'attaquer aux gouverneurs des provinces d'une manière très irrévérencieuse, de railler tout ce que les Romains respectaient, et il le fit au moment où la persécution sévissait à Carthage. Toute la ville le connaissait; il attirait les regards par son extérieur. Ses polémiques ardentes durent lui attirer beaucoup d'ennemis. Chose étonnante ! On ne dit pas que l'intrépide champion du christianisme fut poursuivi ni qu'il fut seulement inquiété. Les raisons de ces faits nous échappent (P. Monceaux, I, p. 183-184). On peut dire que la palme du martyre a manqué à sa gloire. Elle l'eût empêché de mal finir.

Car ce grand homme eut une fin lamentable. Le montanisme venait de se répandre en Afrique et s'infiltrait dans la communauté chrétienne de Carthage. Née en Phrygie, vers 172, cette hérésie ne répudiait aucun dogme, mais prétendait réformer la discipline morale de l'Eglise, suivant les révélations faites aux « nouveaux prophètes » par l'Esprit Saint. Elle trouvait l'Eglise trop indulgente, elle ordonnait les pratiques les plus austères, elle affichait une grande sévérité de mœurs et de la discipline. Tertullien, porté à l'ascétisme, se laissa entraîner par ces visionnaires. « Esprit

exalté, caractère intransigeant, il devait accueillir avec faveur une doctrine faite d'illuminisme et de rigorisme ». (Adh. d'Alès), Théologie de Tertullien, p. 445.) Il cherchait à se persuader d'ailleurs que l'immuable « règle de foi» n'était pas en cause et qu'il pouvait adhérer à la « nouvelle prophétie » sans sortir de la communion des fidèles. A partir de 203, ses écrits sont teintés de rigorisme montaniste. Vers 207, il se déclare ouvertement partisan de la secte qui s'organise à Carthage sous sa direction. Habitué à pousser tout à l'extrême, il fulmina contre l'Eglise, contre son indulgence en matière de jeûne et de pénitence. Il en vint à rompre avec elle vers 213. Le montanisme avait été condamné définitivement par le pape Zéphyrin, vers 210.

Tertullien eut l'illusion de croire qu'il pouvait continuer à se faire le porte-parole des chrétiens : c'est en leur nom qu'il écrivit sa lettre au proconsul Scapula en 212.

Il finit par se brouiller avec les montanistes et fonda une secte nouvelle, celle des Tertullianistes, qui ne disparut que vers 370. Saint Augustin (De haer., 86) nous apprend qu'il réconcilia ses derniers adhérents avec l'Eglise.

Tertullien mourut donc probablement chef de secte, à un âge très avancé, dit S. Jérôme : ferturque vixisse usque ad decrepitam aetatem.

Au moment où nous allons lire et étudier le chef-d'œuvre de Tertullien, son Apologétique, nous n'avons à tenir compte que du chrétien irréprochable, porte-parole de la chrétienté persécutée. qu'il était en l'an 197: homme d'action, armé de toutes pièces par de longues études, chrétien sans peur et sans reproche, âme ardente et généreuse que rien n'effraie, quand il s'agit de défendre les droits de la conscience chrétienne contre la force brutale; polémiste redoutable, qui réduit à néant les sophismes de ses adversaires par une logique irrésistible ou par l'ironie cinglante; écrivain génial, malgré de graves défauts, qui met au service de sa foi toutes les ressources de l'art oratoire, qui renouvelle la langue ou qui la crée pour en faire un instrument aussi souple que vigoureux de sa pensée. Gaston Boissier a dit de Tertullien : « C'était en toute chose une nature de feu... Il avait de plus un très beau génie ; il possédait une grande vigueur de dialectique, de vastes connaissances, une façon de s'exprimer frappante et personnelle. L'Eglise lorsqu'elle eût fait sa conquête, dut être très fière de lui». Une

façon de s'exprimer frappante et personnelle! En effet, Tertullien est de ceux dont le style est si personnel qu'on est tenté de leur prêter toujours des idées personnelles. En étudiant de près son Apologétique, on verra qu'il n'a guère d'original que la forme qu'il donne à sa pensée, les idées sont presque toujours empruntées, (1) ou communes aux écrivains chrétiens; mais le style qui « est de l'homme même » fait vivre l'écrivain (2).

J.-P. WALTZING.

(1) Nous disons « presque toujours », car il y a aussi des idées qui n'appartiennent qu'à Tertullien, comme le témoignage de l'âme. On lira encore avec profit le Tertullien de Mgr FREPPEL, 3e édit., (Paris, Retaux-Bray, 1877). Voyez surtout la belle étude de PAUL MONCEAUX, Hist. litt. de i Afrique chrétienne, t. I, les pages attachantes de GASTON BOISSIER, Fin du paganisme, t. I, p. 199-260, et en dernier lieu l'étude si lumineuse de P. DE LABRIOLLE, Hist. de la litt. latine chrétienne, p. 79-144. Sur la langue de Tertullien, lire le ch. VII de PAUL MONCEAUX. Sur ses idées, lire ADHÉMAR D'ALÈS, La théologie de Tertullien, Paris, Beauchesne, 1905.

(2) Leçon d'ouverture d'un cours de latin sur le texte de l'Apologétique.

Correspondance inédite de Wallius.

Ci-après, nous donnons l'inventaire détaillé et nous publions quelques fragments d'une très curieuse série épistolaire appartenant à la Bibliothèque du Grand Séminaire de Gand. Il s'agit de quatorze lettres autographes inédites du célèbre Père Jacques van de Walle (Wallius) de la Compagnie de Jésus et de six lettres autographes, également inédites, adressées à ce savant religieux par des personnages de marque, tels que l'évêque de Paderborn Ferdinand de Furstenberg, le philologue Nicolas Heinsius (1), le théologien Égide Estrix (2).

Ces pièces, de même que d'autres documents fort importants qui sont conservés en la même Bibliothèque (3), proviennent de la succession du savant professeur Jean-François Van de Velde, dernier président du Collège du Saint-Esprit à l'ancienne Université de Louvain (4). Elles sont contenues en une liasse in-folio, brochée, portant sur une étiquette la mention suivante, de la main de Van de Velde: Epistolæ originales scriptæ a R. P. Jacobo Wallio aut ad Wallium annis 1641-1653.

(1) Sur l'illustre philologue Nicolas Heinsius (1620-1681), sospitator poetarum latinorum, fils du célèbre humaniste gantois Daniel Heinsius, voir notamment : LUCIAN MÜLLER, Geschichte der Klassischen Philologie in den Niederlanden (Leipzig, 1869), pp. 42, 51-54 et 212; J.-E. SANDYS, A history of class. scholarship t. II (Cambridge, 1908), pp. 323-326.

(2) Sur Egide Estrix (1624-1694), provincial de la Compagnie de Jésus, voir Biographie nationale, t. VI, col. 715-716 (Art. de E. Neeffs).

(3) Notamment une lettre autographe inédite d'Erasme (1526) à Jean de Hondt, de Courtrai: une lettre autographe de Juste Lipse à Léon. Lessius; une série de lettres inédites adressées à l'imprimeur Barth. De Grave, de Louvain. Ces différentes pièces ont été signalées par nous dans les Mélanges Emile Picot, Paris, 1913; dans le Musée Belge, 1912, p. 127 ; dans la Revue des Bibliothèques, Paris, 1912. Elles nous ont été communiquées fort obligeamment, de même que celles que nous faisons connaître aujourd'hui, par M. le chanoine F. Claeys-Boùùaert.

(4) Sur J.-F. Van de Velde (1743-1823), voir TH. DE DECKER, Jan Frans Van de Velde, de eximius van Beveren, Saint-Nicolas, 1897, et H. DE JONGH, L'ancienne faculté de théologie de Louvain, Louvain, 1911, pp. 7 et suiv., ainsi que les indications bibliographiques mentionnées dans ce consciencieux ouvrage.

Un des anciens possesseurs de ce recueil songea à le publier, ainsi qu'il ressort des annotations suivantes qui figurent au verso de la lettre 7 Epistolæ emendatiores eruditæ quæ imprimi possent si videbitur iis quorum interest. — Wallianarum epistolarum reliquiæ, a tineis vendicatæ, e tenebris erutæ, in lucem datæ, ne quid tanti viri periret. Suivent d'autres projets de titres analogues.

Rappelons que le Père Jacques van de Walle, qui appartenait à une très ancienne famille des Flandres, naquit à Courtrai, le 14 septembre 1599, et entra le 19 octobre 1617 dans la Compagnie de Jésus; il y fut successivement professeur d'humanités, préfet des études, missionnaire et prédicateur, et mourut à Anvers, le 9 mars 1690 (1).

Ce personnage compte parmi les poètes néo-latins les plus distingués du XVIIe siècle. Ses œuvres poétiques complètes, en neuf livres, dédiées au pape Alexandre VII, parurent pour la première fois, à Anvers, à l' Imprimerie Plantinienne, en 1656. Le succès en fut considérable. Elles furent réimprimées à Anvers en 1657, 1669, 1699; à Lyon en 1688; à Nuremberg en 1697, 1738 et 1765. Elles valurent à l'auteur les témoignages les plus flatteurs des humanistes contemporains, parmi lesquels nous citerons le grand poète Sidronius Hosschius () qui, conviant Wallius à faire paraître ses vers, s'écriait :

Flos et amor vatum, quo Cynthius ipse canente,
Et veniunt faciles ex Helicone Deæ,
Quando erit, ut magnis addat te fama poëtis,
A totâ dignum posteritate legi?

Plus tard, Broekhuisen l'appela vir omnibus poetica artis laudibus florentissimus, clarissimus sidus literatæ Belgicæ (3). A une époque plus récente enfin, les œuvres de Wallius ont

(1) DE BACKER-SOMMERVOGEL, Bibliothèque des Ecrivains de la Compagnie de Jésus, s. v. Voyez aussi les Annales de la Société d'Emulation, Bruges, 2o série, t. I. p. 84: II, pp. 323, 324, 326, 396; III, p. 227. — COUPÉ, Soirées, XVII, 16. HOEUFFT, Parnassus, p. 156. - BAILLET, Jugemens des Savans, IV, 11, 368, 434 et 435.

(2) Début de la 12o élégie du livre II des Elégies de Sidronius Hosschius, pages 56-59 de l'édition d'Alost, 1822 : Ad Jacobum Wallium ut poëmata sua

in lucem edat.

(3) Sext. Aur. Propertii Eleg. libri IV curis J. BROUKHUSII, Amsterdam, 1727, pp. 104, 249. On trouvera d'autres témoignages flatteurs dans Peerlkamp.

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