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les préteurs jugerent après les consuls. Servius Tullius s'étoit dépouillé du jugement des affaires civiles; les consuls ne les jugerent pas non plus, si ce n'est dans des cas très rares (1), que l'on appela pour cette raison extraordinaires (2). Ils se contenterent de nommer les juges et de former les tribunaux qui devoient juger. Il paroit, par le discours d'Appius Claudius dans Denys d'Halicarnasse (3), que, dès l'an de Rome 259, ceci étoit regardé comme une coutume établie chez les Romains; et ce n'est pas la faire remonter bien haut que de la rapporter à Servius Tullius.

Chaque année le préteur formoit une liste (4) ou tableau de ceux qu'il choisissoit pour faire la fonction de juges pendant l'année de sa ma-gistrature. On en prenoit le nombre suffisant pour chaque affaire: cela se pratique à peu près de même en Angleterre. Et, ce qui étoit très favorable à la (5) liberté, c'est que le pré

tion des préteurs, n'eussent eu les jugements civils. Voyez Tite-Live, décade I, liv. II, p. 19; Denys d'Halicarnasse, 1. X, p. 627; et même livre, p. 645. -(1) Souvent les tribuns jugerent seuls ; rien ne les rendit plus odieux. Denys d'Halicarnasse, liv. XI, p. 709.(2) Judicia extraordinaria. Voyez les Institutes, liv. IV. - (3) Liv. VI, p. 360.-(4) Album judicium.-(5) « Nos ancêtres n'ont pas voulu, dit Cicéron, pro Cluentio, qu'un homme dont les parties ne seroient pas convenues, pût être juge "non seulement de la réputation d'un citoyen, mais • même de la moindre affaire pécuniaire.

teur prenoit les juges du consentement (1) des parties. Le grand nombre de récusations que l'on peut faire aujourd'hui en Angleterre revient à peu près à cet usage.

Ces juges ne décidoient que des questions de fait (2): par exemple, si une somme avoit été payée, ou non; si une action avoit été commise, ou non. Mais pour les questions de droit (3), comme elles demandoient une certaine capacité, elles étoient portées au tribunal des centumvirs (4).

Les rois se réserverent le jugement des affaires criminelles, et les consuls leur succéderent en cela. Ce fut en conséquence de cette autorité que le consul Brutus fit mourir ses enfants et tous ceux qui avoient conjuré pour les Tarquins. Ce pouvoir étoit exorbitant. Les consuls ayant déja la puissance militaire, ils en portoient l'exercice même dans les affaires de la ville; et leurs procédés, dépouillés des

(1) Voyez dans les fragments de la loi Servilienne, de la Cornélienne, et autres, de quelle maniere ces lois donnoient des juges dans les crimes qu'elles se proposoient de punir. Souvent ils etoient pris par le choix, quelquefois par le sort, ou enfin par le sort mělé avec le choix. - (2) Séneque, de benef., liv. III, ch. VII, in fine.—(3) Voyez Quintilien, 1. IV, p. 54, in-fol. édit. de Paris, an. 1541.-(4) Leg. II, S. 24, ff. de orig. jur. Des magistrats appelés décemvirs présidoient au jugement, le tout sous la direction d'un préteur.

formes de la justice, étoient des actions violentes plutôt que des jugements.

Cela fit faire la loi Valérienne, qui permit d'appeler au peuple de toutes les ordonnances des consuls qui mettroient en péril la vie d'un citoyen. Les consuls ne purent plus prononcer une peine capitale contre un citoyen romain que par la volonté du peuple (1).

On voit, dans la premiere conjuration pour le retour des Tarquins, que le consul Brutus juge les coupables; dans la seconde, on assemble le sénat et les comices pour juger (2).

Les lois qu'on appela sacrées donnerent aux plébéiens des tribuns, qui formerent un corps qui eut d'abord des prétentions immenses. On ne sait quelle fut plus grande, ou dans les plébéiens la lâche hardiesse de demander, ou dans le sénat la condescendance et la facilité d'accorder. La loi Valérienne avoit permis les appels au peuple, c'est-à-dire au peuple composé de sénateurs, de patriciens et de plébéiens. Les plébéiens établirent que ce seroit devant eux que les appellations seroient portées. Bientôt on mit en question si les plébéiens pourroient juger un patricien : cela fut le su jet d'une dispute que l'affaire de Coriolan fit naître, et qui finit avec cette affaire. Coriolan,

(1) Quoniam de capite civis romani, injussu populi romani, non erat permissum consulibus jus dicere. Voyez Pomponius, leg. II, §. 16, ff. de orig. jur.-(2) Denys d'Halicarnasse, liv. V, p. 322.

accusé par les tribuns devant le peuple, soutenoit, contre l'esprit de la loi Valérienne, qu'étant patricien il ne pouvoit être jugé que par les consuls; les plébéiens, contre l'esprit de la même loi, prétendirent qu'il ne devoit être jugé que par eux seuls ; et ils le jugerent. La loi des douze tables modifia ceci. Elle ordonna qu'on ne pourroit décider de la vie d'un citoyen que dans les grands états du peuple (1). Ainsi le corps des plébéiens, ou, ce qui est la même chose, les comices par tribus ne jugerent plus que les crimes dont la peine n'étoit qu'une amende pécuniaire. Il falloit une loi pour infliger une peine capitale; pour condamner à une peine pécuniaire, il ne falloit qu'un plébiscite.

Cette disposition de la loi des douze tables fut très sage. Elle forma une conciliation admirable entre le corps des plébéiens et le sénat; car, comme la compétence des uns et des autres dépendit de la grandeur de la peine et de la nature du crime, il fallut qu'ils se concertassent ensemble.

La loi Valérienne ôta tout ce qui restoit à Rome du gouvernement qui avoit du rapport à celui des rois grecs des temps héroïques. Les consuls se trouverent sans pouvoir pour la punition des crimes. Quoique tous les crimes

(1) Les comices par centuries. Aussi Manlius Capitolinus fut-il jugé dans ces comices. Tite-Live, décade I, liv. VI, p. 68.

eux,

soient publics, il faut pourtant distinguer ceux qui intéressent plus les citoyens entre de ceux qui intéressent plus l'état dans le rapport qu'il a avec un citoyen. Les premiers sont appelés privés; les seconds sont les crimes publics. Le peuple jugea lui-même les crimes publics; et, à l'égard des privés, il nomma pour chaque crime, par une commission particuliere, un questeur pour en faire la poursuite. C'étoit souvent un des magistrats, quelquefois un homme privé, que le peuple choisissoit : on l'appeloit questeur du parricide. Il en est fait mention dans la loi des douze tables (1).

Le questeur nommoit ce qu'on appeloit le juge de la question, qui tiroit au sort les juges, formoit le tribunal, et présidoit sous lui au jugement (2).

Il est bon de faire remarquer ici la part que prenoit le sénat dans la nomination du questeur, afin que l'on voie comment les puissances étoient à cet égard balancées. Quelquefois le sénat faisoit élire un dictateur pour faire la fonction du questeur (3); quelquefois il or

(1) Dit Pomponius, dans la loi II, au digeste de orig. jur.-(2) Voyez un fragment d'Ulpien, qui en rapporte un autre de la loi Cornélienne; on le trouve dans la Collation des lois mosaïques et romaines, tit. I, de sicariis et homicidiis.—(3) Cela avoit sur-tout lieu dans les crimes commis en Italie, où le sénat avoit une principale inspection. Voy. Tite-Live, décade I, liv. IX, sur les conjurations de Capoue.

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