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mouvoit par les spectacles: celui du corps san glant de Lucrece fit finir la royauté ; le débiteur qui parut sur la place couvert de plaies fit changer la forme de la république ; la vue de Virginie fit chasser les décemvirs. Pour faire condamner Manlius, il fallut ôter au peuple la vue du capitole; la robe sanglante de César remit Rome dans la servitude.

CHAPITRE XVI.

De la puissance législative dans la république romaine.

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On n'avoit point de droit à se disputer sous les décemvirs; mais, quand la liberté revint, on vit les jalousies renaître : tant qu'il resta quelques privileges aux patriciens, les plébéiens les leur ôterent.

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Il y auroit eu peu de mal si les plébéiens s'étoient contentés de priver les patriciens de leurs prérogatives, et s'ils ne les avoient offensés dans leur qualité même de citoyen. Lorsque le peuple étoit assemblé par curies ou par centuries, il étoit composé de sénateurs, de patriciens, et de plébéiens. Dans les disputes, les plébéiens gagnerent ce point (1), que seuls, sans les patriciens et sans le sénat, ils pourroient faire des lois qu'on appela plébiscites; et les comices où on les fit s'appelerent comices par tribus. Ainsi il y eut des cas ly

(1) Denys d'Halicarnasse, liv. XI, p. 725.

où les patriciens (1) n'eurent point de part a la puissance législative (2), où ils furent soumis à la puissance législative d'un autre corps de l'état ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie, choqua les principes mêmes de la démocratie. Il sembloit qu'une puissance aussi exorbitante auroit dù anéantir l'autorité du sénat: mais Rome avoit des institutions admirables. Elle en avoit deux sur-tout: par l'une, la puissance législative du peuple étoit réglée; par l'autre, elle étoit bornée.

Les censeurs, et avant eux les consuls (3), formoient et créoient, pour ainsi dire, tous les cinq ans le corps du peuple; ils exerçoient la législation sur le corps même qui avoit la puissance législative. « Tibérius Gracchus, cen« seur, dit Cicéron, transféra les affranchis « dans les tribus de la ville, non par la force de « son éloquence, mais par une parole et par

(1) Par les lois sacrées, les plébéiens purent faire des plébiscites, seuls, et sans que les patriciens fussent admis dans leur assemblée. Denys d'Halicarnasse, liv. VI, p. 410 ; et liv, VII, p. 430.—(2) Par la loi faite après l'expulsion des décemvirs, les patriciens furent soumis aux plébiscites, quoiqu'ils n'eussent pu y donner leur voix. Tite-Live, liv. III; et Denys d'Halicarnasse, liv. XI, p. 725. Et cette loi fut confirmée par celle de Publius Philo, dictateur, l'an de Rome 416. Tite-Live, liv. VIII.—(3) L'an 312 de Rome, les consuls faisoient encore le cens, comme il paroit par Denys d'Halicarnasse, liv. XL

« un geste; et, s'il ne l'eût pas fait, cette ré→ publique, qu'aujourd'hui nous soutenons à peine, nous ne l'aurions plus.

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D'un autre côté le senat avoit le pouvoir d'ôter, pour ainsi dire, la république des mains du peuple par la création d'un dictateur, devant lequel le souverain baissoit la tête, et les lois les plus populaires rèstoient dans le silence (1).

CHAPITRE XVII.

De la puissance exécutrice dans la même république.

Si le peuple fut jaloux de sa puissance législative, il le fut moins de sa puissance exécutrice: il la laissa presque tout entiere au sénat et aux consuls, et il ne se réserva guere que le droit d'élire les magistrats et de confirmer les actes du sénat et des généraux.

Rome, dont la passion étoit de commander, dont l'ambition étoit de tout soumettre, qui avoit toujours usurpé, qui usurpoit encore avoit continuellement de grandes affaires; ses ennemis conjuroient contre elle, ou elle conjuroit contre ses ennemis.

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Obligée de se conduire d'un côté avec un courage héroïque, et de l'autre avec une sagesse consommée, l'état des choses demandoit que le sénat eût la direction des affaires. Le

(t) Comme celles qui permettoient d'appeler au penple des ordonnances de tous les magistrats.

peuple disputoit au sénat toutes les branches de la puissance législative, parcequ'il étoit jaloux de sa liberté; il ne lui disputoit point les branches de la puissance exécutrice, parcequ'il étoit jaloux de sa gloire.

La part que le sénat prenoit à la puissance exécutrice étoit si grande, que Polybe (1) dit que les étrangers pensoient tous que Rome étoit une aristocratie. Le sénat disposoit des deniers publics et donnoit les revenus à ferme; il étoit l'arbitre des affaires des alliés; il décidoit de la guerre et de la paix, et dirigeoit à cet égard les consuls; il fixoit le nombre des troupes romaines et des troupes alliées; distribuoit les provinces et les armées aux consuls ou aux préteurs, et, l'an du commandement expiré, il pouvoit leur donner un successeur; il décernoit les triomphes; il recevoit des ambassades, et en envoyoit; il nommoit les rois, les récompensoit, les punissoit, les jugeoit, leur donnoit ou leur faisoit perdre le titre d'alliés du peuple romain.

Les consuls faisoient la levée des troupes qu'ils devoient mener à la guerre ; ils commandoient les armées de terre ou de mer;disposoient des alliés; ils avoient dans les provinces toute la puissance de la république ; ils donnoient la paix aux peuples vaincus, leur en imposoient les conditions, ou les renvoyoient au sénat. Dans les premiers temps, lorsque le peuple

(1) Liv. VI.

KSPR. DES LOIS. 2.

prenoit quelque part aux affaires de la guerre et de la paix, il exerçoit plutôt sa puissance législative que sa puissance exécutrice : il ne faisoit guere que confirmer ce que les rois, et après eux les consuls ou le sénat, avoient fait. Bien loin que le peuple fût l'arbitre de la guerre, nous voyons que les consuls ou le sénat la faisoient souvent malgré l'opposition de ses tribuns. Mais, dans l'ivresse des prospérités, il augmenta sa puissance exécutrice. Ainsi il (1) créa lui-même les tribuns des légions, que les généraux avoient nommés jusqu'alors; et, quelque temps avant la premiere guerre punique, il régla qu'il auroit seul le droit de déclarer la guerre (2).

CHAPITRE XVIII.

De la puissance de juger dans le gouvernement de

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Rome.

A puissance de juger fut donnée au peuple, au sénat, aux magistrats, à de certains juges. Il faut voir comment elle fut distribuée. Je commence par les affaires civiles.

Les consuls (3) jugerent après les rois, comme

(1) L'an de Rome 444. Tite-Live, premiere décade, liv. IX. La guerre contre Persée paroissant périlleuse, un sénatus-consulte ordonna que cette loi seroit suspendue, et le peuple y consentit. Tite-Live, cinquieme décade, liv. II.—(2) Il l'arracha du sénat, dit Freinshemius, deuxieme décade, liv. VI. (3) On ne peut douter que les consuls, avant la créa

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