Page images
PDF
EPUB

dans le duché de Rohan, où elle a lieu pour les rotures. C'est sans doute une loi pastorale venue de quelque petit peuple breton, ou portée par quelque peuple germain. On sait par César et Tacite que ces derniers cultivoient peu les terres.

CHAPITRE XXII.

D'une loi civile des peuples germains.

J'EXPLIQUERAI ici comment ce texte particulier de la loi salique, que l'on appelle ordinairement la loi salique, tient aux institutions d'un peuple qui ne cultivoit point les terres, ou du moins qui les cultivoit peu.

La loi salique (1) veut que lorsqu'un homme laisse des enfants, les mâles succedent à la terre salique au préjudice des filles.

Pour savoir ce que c'étoit que les terres saliques, il faut chercher ce que c'étoit que les propriétés ou l'usage des terres chez les Francs, avant qu'ils fussent sortis de la Germanie.

M. Echard a très bien prouvé que le mot salique vient du mot sala, qui signifie maison; et qu'ainsi la terre salique étoit la terre de la maison. J'irai plus loin, et j'examinerai ce que c'étoit que la maison et la terre de la

maison chez les Germains.

<< Ils n'habitent point-de-villes, dit Tacite (2),

(1) Tit. LXII. —(2) Nullas Germanorum populis urbes habitari satis notum est, ne pati quidem inter

« et ils ne peuvent souffrir que leurs maisons << se touchent les unes les autres; chacun laisse « autour de sa maison un petit terrain ou es<< pace qui est clos et fermé.» Tacite parloit exactement; car plusieurs lois des codes (1) barbares ont des dispositions différentes contre ceux qui renversoient cette enceinte, et ceux qui pénétroient dans la maison même.

Nous savons, par Tacite et César, que les terres que les Germains cultivoient ne leur étoient données que pour un an, après quoi elles redevenoient publiques. Ils n'avoient de patrimoine que la maison, et un morceau de terre dans l'enceinte autour de la maison (2). C'est ce patrimoine particulier qui appartenoit aux mâles. En effet, pourquoi auroit-il appartenu aux filles? elles passoient dans une autre maison.

La terre salique étoit donc cette enceinte qui dépendoit de la maison du Germain ; c'étoit la seule propriété qu'il eût. Les Francs, après la conquête, acquirent de nouvelles propriétés, et on continua à les appeler des terres saliques.

Lorsque les Francs vivoient dans la Germa

se junctas sedes. Colant discreti ac diversi, ut fons, ut campus, ut nemus placuit. Vicos locant, non in nostrum morem connexis et cohærentibus ædificiis: suam quisque domum spatio circumdat. De moribus Germ.(1) La loi des Allemands, chap. X ; et la loi des Bavarois, tit. X, §. 1 et 2.—(2) Cette enceinte s'appelle curtis dans les chartres.

nie, leurs biens étoient des esclaves, des troupeaux, des chevaux, des armes, etc. La maison et la petite portion de terre qui y étoit jointe étoient naturellement données aux enfants mâles qui devoient y habiter. Mais, lorsqu'après la conquête les Francs eurent acquis de grandes terres, on trouva dur que les filles et leurs enfants ne pussent y avoir de part. Il s'introduisit un usage qui permettoit au pere de rappeler sa fille et les enfants de sa fille. On fit taire la loi; et il falloit bien que ces sortes de rappels fussent communs, puisqu'on en fit des formules (1).

Parmi toutes ces formules, j'en trouve une singuliere (2). Un aïeul rappelle ses petits-enfants pour succéder avec ses fils et avec ses filles. Que devenoit donc la loi salique ? Il falloit que dans ces temps - là même elle ne fût plus observée, ou que l'usage continuel de rappeler les filles eût fait regarder leur capacité de succéder comme le cas le plus ordinaire..

La loi salique n ayant point pour objet une certaine préférence d'un sexe sur un autre, elle avoit encore moins celui d'une perpétuité de famille, de nom ou de transmission de terre : tout cela n'entroit point dans la tête des Ger

(1) Voyez Marculfe, liv. II, form. 10 et 12; l'appendice de Marculfe, form. 49; et les formules anciennes, appelées de Sirmond, form. 22.—(2) Form. 55, dans le recueil de Lindembrock.

mains. C'étoit une loi purement économique, qui donnoit la maison, et la terre dépendante de la maison, aux mâles qui devoient l'habiter, et à qui par conséquent elle convenoit le mieux.

Il n'y a qu'à transcrire ici le titre des aleux de la loi salique, ce texte si fameux dont tant de gens ont parlé, et que si peu de gens ont lu.

1°. « Si un homme meurt sans enfants, son « pere ou sa mere lui succéderont. 2°. S'il n'a « ni pere ni mere, son frere ou sa sœur lui suc« céderont. 3°. S'il n'a ni frere ni sœur, la sœur <«< de sa mere lui succédera. 4°. Si sa mere n'a point de sœur, la sœur de son pere lui succé<< dera. 5°. Si son pere n'a point de sœur, le plus proche parent par måle lui succédera. 6°. Au«cune portion (1) de la terre salique ne pas<< sera aux femelles; mais elle appartiendra aux mâles, c'est-à-dire que les enfants mâles sue« céderont à leur pere. »

«

[ocr errors]

Il est clair que les cinq premiers articles concernent la succession de celui qui meurt sans enfants; et le sixieme, la succession de celui qui à des enfants.

Lorsqu'un homme mouroit sans enfants, la loi vouloit qu'un des deux sexes n'eût de préfé

(1) De terra verò salica in mulierem nulla portio hæreditatis transit; sed hoc virilis sexus acquirit, hoc est, filii in ipsa hæreditate succedunt. Tit. LXII,

rence sur l'autre que dans de certains cas. Dans les deux premiers degrés de succession, les avantages des mâles et des femelles étoient les mêmes; dans le troisieme et le quatrieme, les femmes avoient la préférence; et les mâles l'avoient dans le cinquieme.

Je trouve les semences de ces bizarreries dans Tacite. « Les enfants (1) des sœurs, dit«< il, sont chéris de leur oncle comme de leur << propre pere. Il y a des gens qui regardent ce << lien comme plus étroit et même plus saint; «< ils le préferent quand ils reçoivent des ôta

"ges. » C'est pour cela que nos premiers historiens (2) nous parlent tant de l'amour des rois francs pour leur sœur et pour les enfants de leur sœur. Que si les enfants des sœurs étoient regardés dans la maison comme les enfants mêmes, il étoit naturel que les enfants regardassent leur tante comme leur propre mere. La sœur de la mere étoit préférée à la sœur pere; cela s'explique par d'autres textes de

du

(1) Sororum filiis idem apud avunculum qui apud patrem honor. Quidam sanctiorem arctioremque hunc nexum sanguinis arbitrantur, et in accipiendis obsidibus magis exigunt, tanquam ii et animum firmiùs et domum latiùs teneant. De moribus Germ.-(2) Voyez dans Grégoire de Tours, 1. VIII, c. XVIII et XX, 1. IX, c. XVI et XX, les fureurs de Gontran sur les mauvais traitements faits à Ingunde, sa niece, par Leuvigilde; et comme Childebert, son frere, fit la guerre pour la venger.

« PreviousContinue »