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Je crois qu'on n'auroit point tous ces avantages en Europe, si l'on y laissoit la terre inculte; il n'y viendroit guere que des forêts, des chênes, et autres arbres stériles.

CHAPITRE X.

Da nombre des hommes, dans le rapport avec la maniere dont ils se procurent la subsistance.

Qu

UAND les nations ne cultivent pas les terres, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s'y trouve. Comme le produit d'un terrain inculte est au produit d'un terrain cultivé, de même le nombre des sauvages dans un pays est au nombre des laboureurs dans un autre et quand le peuple qui cultive les terres cultive aussi les arts, cela suit des proportions qui demanderoient bien des détails.

Ils ne peuvent guere former une grande nation. S'ils sont pasteurs, ils ont besoin d'un grand pays pour qu'ils puissent subsister en certain nombre: s'ils sont chasseurs, ils sont encore en plus petit nombre, et forment pour vivre une plus petite nation.

Leur pays est ordinairement plein de forêts; et, comme les hommes n'y ont point donné de cours aux eaux, il est rempli de marécages, où chaque troupe se cantonne et forme une petite nation.

IL

CHAPITRE XI.

Des peuples sauvages, et des peuples barbares.

Ly a cette différence entre les peuples sauvages et les peuples barbares, que les premiers sont de petites nations dispersées qui, par quelques raisons particulieres, ne peuvent pas se réunir; au lieu que les barbares sont ordinairement de petites nations qui peuvent se réunir. Les premiers sont ordinairement des peuples chasseurs; les seconds, des peuples pasteurs. Cela se voit bien dans le nord de l'Asie. Les peuples de la Sibérie ne sauroient vivre en corps, parcequ'ils ne pourroient se nourrir; les Tartares peuvent vivre en corps pendant quelque temps, parceque leurs troupeaux peuvent être rassemblés pendant quelque temps. Toutes les hordes peuvent donc se réunir; et cela se fait lorsqu'un chef en a soumis beaucoup d'autres; après quoi il faut qu'elles fassent de deux choses l'une, qu'elles se séparent, ou qu'elles aillent faire quelque grande conquête dans quelque empire du midi.

CHAPITRE XII.

Du droit des gens chez les peuples qui ne cultivent point les terres.

CES peuples, ne vivant pas dans un terrain limité et circonscrit, auront entre eux bien des sujets de querelle; ils se disputeront la

terre inculte, comme parmi nous les citoyens se disputent les héritages. Ainsi ils trouveront de fréquentes occasions de guerre pour leurs chasses, pour leurs pêches, pour la nourriture de leurs bestiaux, pour l'enlèvement de leurs esclaves; et, n'ayant point de territoire, ils auront autant de choses à régler par le droit des gens qu'ils en auront peu à décider par le droit civil.

CHAPITRE XIII.

Des lois civiles chez les peuples qui ne cultivent point les terres.

C'EST EST le partage des terres qui grossit principalement le code civil. Chez les nations où l'on n'aura pas fait ce partage, il y aura très

peu de lois civiles.

On peut appeler les institutions de ces peuples des mœurs plutôt que des lois.

Chez de pareilles nations, les vieillards qui se souviennent des choses passées ont une grande autorité; on n'y peut être distingué par les biens, mais par la main et par les conseils.

Ces peuples errent et se dispersent dans les pâturages ou dans les forêts. Le mariage n'y sera pas aussi assuré que parmi nous, où il est fixé par la demeure, et où la femme tient à une maison; ils peuvent donc plus aisément changer de femmes, en avoir plusieurs, et quelquefois se mêler indifféremment comme les bêtes.

Les peuples pasteurs ne peuvent se séparer de leurs troupeaux, qui font leur subsistance; ils ne sauroient non plus se séparer de leurs femmes, qui en ont soin. Tout cela doit donc marcher ensemble; d'autant plus que, vivant ordinairement dans de grandes plaines où il y a peu de lieux forts d'assiette, leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, deviendroient la proie de leurs ennemis.

Leurs lois régleront le partage du butin, et auront, comme nos lois saliques, une attention particuliere sur les vols.

CHAPITRE XIV.

De l'état politique des peuples qui ne cultivent point les terres.

Ces peuples jouissent d'une grande liberté,

car, comme ils ne cultivent point les terres, ils n'y sont point attachés; ils sont errants, vagabonds; et si un chef vouloit leur ôter leur liberté, ils l'iroient d'abord chercher chez un autre, ou se retireroient dans les bois pour y vivre avec leur famille. Chez.ces peuples la liberté de l'homme est si grande, qu'elle entraîne nécessairement la liberté du citoyen.

CHAPITRE XV.

Des peuples qui connoissent l'usage de la monnoie. ARISTIPPE, ayant fait naufrage, nagea et aborda au rivage prochain; il vit qu'on avoit

tracé sur le sable des figures de géométrie : il se sentit ému de joie, jugeant qu'il étoit arrivé chez un peuple grec, et non pas chez un peu

ple barbare.

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Soyez seul, et arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu ; si vous voyez une piece de monnoie, comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée.

La culture des terres demande l'usage de la monnoie. Cette culture suppose beaucoup d'arts et de connoissances; et l'on voit toujours marcher d'un pas égal les arts, les connoissances, et les besoins. Tout cela conduit à l'établissement d'un signe de valeurs.

Les torrents et les incendies (1) nous ont fait découvrir que les terres contenoient des métaux. Quand ils en ont été une fois séparés, il a été aisé de les employer.

CHAPITRE XVI.

Des lois civiles chez les peuples qui ne connoissent point l'usage de la monnoie.

QUAND un peuple n'a pas l'usage de la mon

noie, on ne connoît guere chez lui que les injustices qui viennent de la violence; et les gens foibles, en s'unissant, se défendent contre la violence. Il n'y a guere là que des arrange`ments politiques. Mais chez un peuple où la

(1) C'est ainsi que Diodore nous dit que les bergers trouverent l'or des Pyrénées.

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