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Les nations simples, et qui s'attachent ellesmêmes au travail, ont ordinairement plus de douceur pour leurs esclaves que celles qui y ont renoncé. Les premiers Romains vivoient, travailloient et mangeoient avec leurs esclaves: ils avoient pour eux beaucoup de douceur et d'équité : la plus grande peine qu'ils leur infligeassent étoit de les faire passer devant leurs voisins avec un morceau de bois fourchu sur le dos. Les mœurs suffisoient pour maintenir la fidélité des esclaves; il ne falloit point de lois.

Mais, lorsque les Romains se furent agrandis, que leurs esclaves ne furent plus les compagnons de leur travail, mais les instruments de leur luxe et de leur orgueil, comme il n'y avoit point de mœurs, on eut besoin de lois. Il en fallut même de terribles pour établir la sûreté de ces maîtres cruels qui vivoient au milieu de leurs esclaves comme au milieu de leurs ennemis.

On fit le sénatus-consulte Sillanien, et d'autres lois (1) qui établirent que lorsqu'un maître seroit tué, tous les esclaves qui étoient sous le même toit ou dans un lieu assez près de la maison pour qu'on pût entendre la voix d'un homme, seroient sans distinction condamnés à la mort. Ceux qui dans ce cas réfugioient un esclave pour le sauver étoient punis comme meurtriers (2). Celui-là même à qui

(1) Voyez tout le titre de senat. consult. Sillan. au ff. (2) Leg. Si quis, §. 12, au ff. de senat. consult. Sillan.

son maitre auroit ordonné (1) de le tuer, et qui lui auroit obéi, auroit été coupable; celui qui ne l'auroit point empêché de se tuer lui-même auroit été puni (2). Si un maître avoit été tué dans un voyage, on faisoit mourir (3) ceux qui étoient restés avec lui, et ceux qui s'étoient enfuis. Toutes ces lois avoient lieu contre ceux mêmes dont l'innocence étoit prouvée; elles avoient pour objet de donner aux esclaves pour leur maître un respect prodigieux. Elles n'étoient pas dépendantes du gouvernement civil, mais d'un vice ou d'une imperfection du gouvernement civil. Elles ne dérivoient point de l'équité des lois civiles, puisqu'elles étoient contraires aux principes des lois civiles. Elles étoient proprement fondées sur le principe de la guerre, à cela près que c'étoit dans le sein de l'état qu'étoient les ennemis. Le sénatusconsulte Sillanien dérivoit du droit des gens, qui veut qu'une société, même imparfaite, se

conserve.

C'est un malheur du gouvernement lorsque la magistrature se voit contrainte de faire ainsi des lois cruelles. C'est parcequ'on a rendu l'obéissance difficile, que l'on est obligé d'aggraver la peine de la désobéissance ou de soup

(1) Quand Antoine commanda à Eros de le tuer, ce n'étoit point lui commander de le tuer, mais de se tuer lui-même; puisque, s'il lui eût obéi, il auroit été puni comme meurtrier de son maître.— (2) Leg. I, §. 22, ff. de senat. consult. Sillan.(3) Leg. 1, §. 31, ff. ibid. lib. XXIX, tit. V.

conner la fidélité. Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible. C'est parceque les esclaves ne purent avoir chez les Romains de confiance dans la loi, que la loi ne put avoir de confiance en eux.

CHAPITRE XVII.

Réglements à faire entre le maître et les esclaves.

LE

E magistrat doit veiller à ce que l'esclave ait sa nourriture et son vêtement: cela doit être réglé par la loi.

Les lois doivent avoir attention qu'ils soient soignés dans leurs maladies et dans leur vieillesse. Claude (1) ordonna que les esclaves qui auroient été abandonnés par leurs maîtres étant malades seroient libres s'ils échappoient. Cette loi assuroit leur liberté : il auroit encore fallu assurer leur vie.

Quand la loi permet au maître d'ôter la vie à son esclave, c'est un droit qu'il doit exercer comme juge, et non pas comme maître: il faut que la loi ordonne des formalités qui ôtent le soupçon d'une action violente.

Lorsqu'à Rome il ne fut plus permis aux peres de faire mourir leurs enfants, les magistrats infligerent (2) la peine que le pere vouloit prescrire. Un usage pareil entre le maître et

(1) Xiphilin, in Claudio.—(2) Voyez la loi III, au Code, de patria potestate, qui est de l'empereur Alexandre.

les esclaves seroit raisonnable dans les pays où les maîtres ont droit de vie et de mort.

que

La loi de Moïse étoit bien rude. « Si quel« qu'un frappe son esclave et qu'il meure sous << sa main, il sera puni; mais s'il survit un jour << ou deux, il ne le sera pas, parceque c'est son << argent. » Quel peuple que celui où il falloit la loi civile se relâchât de la loi naturelle ! Par une loi des Grecs (1), les esclaves trop rudėment traités par leurs maîtres pouvoient demander d'être vendus à un autre. Dans les derniers temps, il y eut à Rome une pareille Joi (2). Un maître irrité contre son esclave, et un esclave irrité contre son maître, doivent être séparés.

Quand un citoyen maltraite l'esclave d'un autre, il faut que celui-ci puisse aller devant le juge. Les (3) lois de Platon et de la plupart des peuples ôtent aux esclaves la défense naturelle; il faut donc leur donner la défense civile.

A Lacédémone les esclaves ne pouvoient avoir aucune justice contre les insultes ni contre les injures. L'excès de leur malheur étoit tel qu'ils n'étoient pas seulement esclaves d'un citoyen, mais encore du public; ils appartenoient à tous et à un seul. A Rome, dans le tort fait à un esclave, on ne considéroit que (4)

(1) Plutarque, de la superstition. — (2) Voyez la constitution d'Antonin Pie, Institut. liv. I, tit. VII.

(3) Liv. IX. -(4) Ce fut encore souvent l'esprit des lois des peuples qui sortirent de la Germanie, comme on le peut voir dans leurs codes.

l'intérêt du maître; on confondoit sous l'action de la loi Aquilienne la blessure faite à une bête et celle faite à un esclave; on n'avoit attention qu'à la diminution de leur prix. A Athenes (1) on punissoit sévèrement, quelquefois même de mort, celui qui avoit maltraité l'esclave d'un autre. La loi d'Athenes, avec raison, ne vouloit point ajouter la perte de la sûreté à celle de la liberté.

ON

CHAPITRE XVIII.

Des affranchissements.

N sent bien que quand dans le gouvernement républicain on a beaucoup d'esclaves il faut en affranchir beaucoup. Le mal est que si on a trop d'esclaves, ils ne peuvent être contenus; si l'on a trop d'affranchis, ils ne peuvent pas vivre, et ils deviennent à charge à la république; outre que celle-ci peut être également en danger de la part d'un trop grand nombre d'affranchis, et de la part d'un trop grand nombre d'esclaves. Il faut donc que les lois aient l'œil sur ces deux inconvénients.

Les diverses lois et les sénatus - consultes qu'on fit à Rome pour et contre les esclaves, tantôt pour gêner, tantôt pour faciliter les affranchissements, font bien voir l'embarras

(1) Démosthene, orat. contra Mediam, p. 610, édition de Francfort de l'an 1604.

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