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nes (1` les citoyens en quatre classes. Ceux qui retiroient de leurs biens cinq cents mesu res de fruits liquides ou secs payoient au public un talent; ceux qui en retiroient trois cents mesures devoient un demi-talent; ceux qui avoient deux cents mesures payoient dix mines, ou la sixieme partie d'un talent; ceux de la quatrieme classe ne donnoient rien. La taxe étoit juste, quoiqu'elle ne fût point proportionnelle: si elle ne suivoit pas la proportion des biens, elle suivoit la proportion des. besoins. On jugea que chacun avoit un nécessaire physique gal, que ce nécessaire physique ne devoit point être taxé; que l'utile venoit, ensuite, et qu'il devoit être taxé, mais moins que le superfin; que la grandeur de la taxe sur le superflu empèchoit le superflu.

Dans la taxe sur les terres, on fait des rôles où l'on met les diverses classes des fonds. Mais il est très difficile de connoître ces différences, et encore plus de trouver des gens qui ne soient point intéressés à les méconnoître. Il y a donc là deux sortes d'injustices; l'injustice de l'homme, et l'injustice de la chose. Mais si en général la taxe n'est point excessive, si on laisse au peuple un nécessaire abondant, ces injustices particulieres ne seront rien. Que si au contraire on ne laisse au peuple que ce qu'il lui faut a la rigueur pour vivre, la moin

(1) Pollux, liv. VIII, chap. X, art. 130.

dre disproportion sera de la plus grande conséquence.

Que quelques citoyens ne paient pas assez, le mal n'est pas grand; leur aisance revient toujours au public: que quelques particuliers paient trop, leur ruine se tourne contre le public. Si l'état proportionne sa fortune à celle des particuliers, l'aisance des particuliers fera bientôt monter sa fortune. Tout dépend du moment: l'état commencera-t-il par appauvrir les sujets pour s'enrichir? ou attendra-t-il que des sujets à leur aise l'enrichissent ? Aura-t-il le premier avantage ou le second? Commencera-t-il par être riche, ou finira-t-il par l'être?

Les droits sur les marchandises sont ceux que les peuples sentent le moins, parcequ'on ne leur fait pas une demande formelle. Ils peuvent être si sagement ménagés, que le peuple ignorera presque qu'il les paie. Pour cela, il est d'une grande conséquence que ce soit celui qui vend la marchandise qui paie le droit. Il sait bien qu'il ne paie pas pour lui; et l'acheteur, qui dans le fond le paie, le confond avec Je prix. Quelques auteurs ont dit que Néron avoit ôté le droit du vingt-cinquieme des esclaves qui se vendoient (1); il n'avoit pourtant fait qu'ordonner que ce seroit le vendeur

(1) Vectigal quintæ et vicesimæ venalium mancipiorum remissum specie magis quàm vi; quia cùm venditor pendere juberetur, in partem pretii emptoribus accrescebat. Tacite, Annales, liv. XIII.

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qui le paieroit, au lieu de l acheteur: ce régiement, qui laissoit tout l'impôt, parut l'ôter.

Il y a deux royaumes en Europe où l'on a mis des impôts très forts sur les boissons: dans; l'un, le brasseur seul paie le droit; dans l'autre, il est levé indifféremment sur tous les. sujets qui consomment. Dans le premier, personne ne sent la rigueur de l'impôt; dans le second, il est regardé comme onéreux: dans celui-là, le citoyen ne sent que la liberté qu'il a de ne pas payer; dans celui-ci, il ne sent que la nécessité qui l'y oblige.

D'ailleurs, pour que le citoyen paie, il faut des recherches perpétuelles dans sa maison. Rien n'est plus contraire à la liberté ; et ceux qui établissent ces sortes d'impôts n'ont pas le bonheur d'avoir à cet égard rencontré la meilleure sorte d'administration.

CHAPITRE VIII.

Comment on conserve l'illusion.

Pour que le prix de la chose et le droit puissent se confondre dans la tête de celui qui paie, il faut qu'il y ait quelque rapport entre la marchandise et l'impôt; et que, sur une denrée de peu de valeur, on e mette pas un droit excessif. Il y a des pays où le droit excede de dix-sept fois la valeur de la marchandise. Pour lors le prince ôte l'illusion à ses sujets; ils voient qu'ils sont conduits d'une maniere

qui n'est pas raisonnable, et qui leur fait sentir leur servitude au dernier point.

D'ailleurs, pour que le prince puisse lever un droit si disproportionné à la valeur de la chose, il faut qu'il vende tui-même la marchandise, et que le peuple ne puisse l'aller acheter ailleurs; ce qui est sujet à mille inconvénients.

La fraude étant dans ce cas très lucrative, la peine naturelle, celle que la raison demande, qui est la confiscation de la marchandise, devient incapable de l'arrêter; d'autant plus que cette marchandise est, pour l'ordinaire, d'un prix très vii. Il faut donc avoir recours à des peines extravagantes et pareilles à celles que l'on inflige pour les plus grands crimes. Toute la proportion des peines est ôtée. Des gens qu'on ne sauroit regarder comme des hommes méchants sont punis comme des scélérats; ce qui est la chose du monde la plus contraire à l'esprit du gouvernement modéré.

J'ajoute que plus on met le peuple en occasion de frauder le traitant, plus on enrichit celui-ci et on appauvrit celui-là. Pour arrêter la fraude, il faut donner au traitant des moyens devexations extraordinaires ; et tout est perdu. CHAPITRE IX.

D'une mauvaise sorte d'impôts.

Nous parlerons en passant d'un impôt établi dans quelques états sur les diverses clauses

des contrats civils. Il faut, pour se défendre du traitant, de grandes connoissances, ces choses étant sujettes à des discussions subtiles. Pour lors le traitant, interprete des réglements du prince, exerce un pouvoir arbitraire sur les fortunes. L'expérience a fait voir qu'un impôt sur le papier sur lequel le contrat doit s'écrire vaudroit beaucoup mieux.

CHAPITRE X.

Que la grandeur des tributs dépend de la nature du gouvernement.

LES tributs oivent être très légers dans le gouvernement despotique. Sans cela, qui estce qui voudroit prendre la peine d'y cultiver les terres? et de plus, comment payer de gros tributs dans un gouvernement qui ne supplée par rien à ce que le sujet a donné?

Dans le pouvoir étonnant du prince et l'étrange foiblesse du peuple, il faut qu'il ne puisse y avoir d'équivoque sur rien. Les tributs doivent être si faciles à percevoir et si clairement étabiis, qu'ils ne puissent être augmentés ni diminués par ceux qui les levent: une portion dans les fruits de la terre, une taxe par tête, un tribut de tant pour cent sur les marchandises, sont les seuls convenables.

Il est bon, dans le gouvernement despoti→ que, que les marchands aient une sauvegarde personnelle, et que l'usage les fasse respecter; sans cela ils seroient trop foibles dans les dis

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