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qui contient un attentat contre l'empire ou contre la vie de l'empereur.

CHAPITRE X.

Continuation du même sujet,

UNE loi d'Angleterre, passée sous Henri VIII, déclaroit coupables de haute trahison tous ceux qui prédiroient la mort du roi. Cette loi étoit bien vague: le despotisme est si terrible qu'il se tourne même contre ceux qui l'exercent. Dans la derniere maladie de ce roi, les médecins n'oserent jamais dire qu'il fût en danger, et ils agirent sans doute en consé→ quence (1).

CHAPITRE XI.

Des pensées.

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UN Marsias songea qu'il coupoit la gorge Denys (2). Celui-ci le fit mourir, disant qu'il n'y auroit pas songé la nuit s'il n'y eût pensé le jour. C'étoit une grande tyrannie car, quand même il y auroit pensé, il n'avoit pas attenté (3). Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures.

(1) Voyez l'histoire de la réformation, par M. Burnet.—(2) Plutarque, Vie de Denys.—(3) Il faut la pensée soit jointe à quelque sorte d'action.

que

CHAPITRE XII.

Des paroles indiscretes.

RIEN ne rend encore le crime de lese-majesté plus arbitraire que quand des paroles indiscretes en deviennent la matiere. Les discours sont si sujets à interprétation, il y a tant de différence entre l'indiscrétion et la malice, et il y en a si peu dans les expressions qu'elles emploient, que la loi ne peut guere soumettre les paroles à une peine capitale, à moins qu'elle ne déclare expressément celles qu'elle y soumet (1).

Les paroles ne forment point un corps de délit ; elles ne restent que dans l'idée. La plupart du temps elles ne signifient point par ellesmêmes, mais par le ton dont on les dit. Souvent, en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens; ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois le silence exprime plus que tous les discours. Il n'y a rien de si équivoque que tout cela: comment donc en faire un crime de lesemajesté? Par-tout où cette loi est établie, non seulement la liberté n'est plus, mais son ombre même.

(1) Si non tale sit delictum, in quod vel scriptura legis descendit, vel ad exemplum legis vindicandum est, dit Modestinus, dans la loi VII, §. 3, in fine, au ff. ad leg. Jul. maj.

Dans le manifeste de la czarine Anne, donné contre la famille d'Olgourouki (1), un de ces princes est condamné à mort pour avoir proféré des paroles indécentes qui avoient du rapport à sa personne; un autre, pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l'empire, et offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses.

Je ne prétends point diminuer l'indignation que l'on doit avoir contre ceux qui veulent flétrir la gloire de leur prince; mais je dirai bien que, si l'on veut modérer le despotisme, une simple punition correctionnelle conviendra mieux dans ces occasions qu'une accusation de lese-majesté, toujours terrible à l'innocence même (2).

Les actions ne sont pas de tous les jours; bien des gens peuvent les remarquer une fausse accusation sur des faits peut être aisément éclaircie. Les paroles qui sont jointes à une action prennent la nature de cette action. Ainsi un homme qui va dans la place publique exhorter les sujets à la révolte devient coupable de lese-majesté, parceque les paroles sont jointes à l'action, et y participent. Ce ne sont point les paroles que l'on punit, mais une action commise dans laquelle on emploie les paroles. Elles ne deviennent des crimes que

(1) En 1740.—(2) Nec lubricum linguæ ad pœnam facilè trahendum est. Modestin., dans la loi VII, §. 3, au ff. ad leg. Jul. maj.

lorsqu'elles préparent, qu'elles accompagnent, ou qu'elles suivent, une action criminelle. On renverse tout si l'on fait des paroles un crime capital, au lieu de les regarder comme le signe d'un crime capital.

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«

Les empereurs Théodose, Arcadius et Honorius, écrivirent à Ruffin, préfet du prétoire: Si quelqu'un parle mal de notre personne ou « de notre gouvernement, nous ne voulons point le punir (1); s'il a parlé par légèreté, <«< il faut le mépriser; si c'est par folie, il faut « le plaindre; si c'est une injure, il faut lui « pardonner. Ainsi, laissant les choses dans « leur entier, vous nous en donnerez connois<<< sance, afin que nous jugions des paroles par « les personnes, et que nous pesions bien si << nous devons les soumettre au jugement, ou « les négliger. »

CHAPITRE XIII.

Des écrits.

Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles; mais, lorsqu'ils ne préparent pas au crime de lese-majesté, ils ne sont point une matiere du crime de lesemajesté.

(1) Si id ex levitate processerit, contemnendum est; si ex insania, miseratione dignissimum; si ab injuria, remittendum. Leg. unica, cod. si quis imperat. maled.

Auguste et Tibere y attacherent pourtant la peine de ce crime (1); Auguste, à l'occasion de certains écrits faits contre des hommes et des femmes illustres; Tibere, à cause de ceux qu'il crut faits contre lui. Rien ne tut plus fatal à la liberté romaine. Crémutius Cordus fut accusé parceque dans ses annales il avoit appelé Cassius le dernier des Romains (2).

Les écrits satyriques ne sont guere connus dans 1s états despotiques, où l'abattement d'un côté, et l'ignorance de l'autre, ne donnent ni le talent ni la volonté d'en faire. Dans la démocratie on ne les empêche pas, par la raison même qui, dans le gouvernement d'un seul, les fait défendre. Comme ils sont ordinairement composés contre des gens puissa ts, ils flattent dans la déinocratie la mali nité du peuple qui gouverne. Dans la monarchie, on les défend; mais on en fait plutôt un sujet de police que de crime : ils peuvent amuser a malignité générale, consoler les mécontents, diminuer l'envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, et le faire rire de ses souffrances.

L'aristocratie est le gouvernement qui proscrit le plus les ouvrages satyriques. Les magistrats y sont de petits souverains, qui ne sont pas assez grands pour mépriser les in

(1) Tacite, Annales, liv. I. Cela continua sous les regnes suivants. Voyez la loi premiere, au code de famos. libellis.-(2) Tacite, Annales, liv. IV.

ESPR. DES LOIS. 2.

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