» s'écrie Achate le premier; Italie! Italie! répètent » mes compagnons, en la saluant par des clameurs de joie1. Alors mon père Anchise couronne de » fleurs un large cratère, et le remplit d'un vin pur; puis, debout sur la poupe, il invoque les immor»tels Dieux de la terre et de l'onde, arbitres des > tempêtes, accordez-nous une route facile, et gonflez nos voiles d'un souffle favorable.» A ces » mots le vent redouble au gré de nos désirs; déjà le port se rapproche et s'élargit devant nous; et » sur une hauteur apparaît à nos yeux le temple de » Minerve. Les Troyens entrent dans le port; et le poëte ajoute: « Là, pour premier présage, s'of» frent à mes regards quatre coursiers blancs. » comme la neige qui paissaient au loin dans la » prairie. Anchise alors: O contrée hospitalière » pour les Troyens, la guerre, voilà ce que tu annonces; pour la guerre on dresse les coursiers; » c'est de la guerre qu'ils nous menacent; ces fiers » quadrupedes apprennent eux-mêmes à s'atte» ler au char, à porter d'accord le joug qui les en» chaîne et le frein qui les dompte; cette harmo>nie est un augure de paix.» Alors nous adressons >> notre hommage à la déesse aux armes retentis Nous partions; et déjà par mille cris de joie » santes, à Pallas, qui la première nous reçut triom phants de joie. Réunis devant ses autels, nous >> couvrons nos têtes du voile phrygien; et fidèles >> au plus important des ordres d'Hélénus, nous >> brûlons un encens pur en l'honneur de Junon, » protectrice d'Argos. » Telle est la solennité qui conviendrait au moment où les Troyens descendent sur les rivages de l'Italie. Quel étonnement n'éprouvons-nous pas en ne voyant, à la place du généreux enthousiasme d'un peuple choisi par les dieux, que les soins vulgaires d'un équipage empressé de se procurer du feu et de chercher de l'eau! Il est difficile d'excuser cette sécheresse de détails dans une circonstance si grande. On peut objecter que Virgile a réservé les ornements nécessaires que nous lui demandons, pour le moment où Énée, averti par l'accomplissement de l'une des prédictions d'Anchise, reconnaît et salue la terre promise à ses destinées. Nous verrons si cette scène pourra répondre à notre attente; mais quand le poëte la satisferait entièrement, il manquerait toujours ici quelques signes éclatants des transports du peuple troyen à l'aspect de l'Italie: Voici ce que son propre génie et la fidèle observation des mœurs ont suggéré au Tasse pour une situation pareille à celle que Virgile n'a que légèrement ébauchée : A peine le soleil sur le trône des airs De ses premiers rayons frappe ces lieux déserts, Le port que sous la foudre ont cherché leurs vaisseaux, Les orages, les vents, et les ennuis passés. 1 M. Baour-Lormian a senti en poëte le prix des répéti tions que le Tasse a employées avec tant de bonheur, pour exprimer la surprise, l'admiration, l'empressement tumultueux, et l'enthousiasme ardent des chrétiens à l'aspect de la ville sainte : Ce Ecco apparir Gerusalem si vede, Ecco da mille voci unitamente Gerusalemme salutar si sente. passage est bien au-dessus du faible tableau de Virgile que nous avons rapporté plus hant. Un profond repentir, une sainte tristesse Dans l'âme des chrétiens succède à l'allégresse: Des yeux pleins de respect vers les remparts sacrés, Je ne sais pas si cette belle traduction, et particulièrement les quatre derniers vers, égalent la simplicité du Tasse qui finit sa strophe par des traits à la manière énergique et pittoresque du Dante. Osano appena d'innalzar la vista Dove poi rivesti le membra sue. 2 Voici le texte : Sommessi accenti, e tacite parole, Rotti singulti, e flebili sospiri Della gente, ch' in un s'allegra, e duole, Fan che per l'aria un mormorio s'aggiri, etc. Un homme de lettres a remarqué avec raison que la seule harmonie de ces vers, dit à l'âme tout ce que pourrait lui dire la musique de Pergolèse. Tous ces grands chevaliers priant avec ferveur Nous retrouvons ici l'école d'Homère, cet art de mettre en scène toute une armée, de forcer les passions, les mœurs et les caractères à se révéler de la manière la plus dramatique; nous n'avons plus rien à demander au peintre sur les Croisés; nous les connaissons par l'expression naïve et forte des sentiments qu'ils manifestent d'abord avec tant d'ardeur et une si touchante unanimité 1. On Habilé à préparer les situations, le Tasse a soin de nous dire un peu auparavant, que les chrétiens ne peuvent goûter le repos, tant ils sont impatients de voir briller l'aurore qui doit |