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vanité : l'orgueil d'un Espagnol le portera à ne pas travailler; la vanité d'un François le portera à savoir travailler mieux que les autres.

Toute nation paresseuse est grave; car ceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent.

Examinez toutes les nations, et vous verrez que, dans la plupart, la gravité, l'orgueil et la paresse marchent du même pas.

Les peuples d'Achim (1) sont fiers et paresseux : ceux qui n'ont point d'esclaves en louent un, ne fût-ce que pour faire cent pas, et porter deux pintes de riz; ils se croiroient déshonorés s'ils les portoient eux-mêmes.

Il y a plusieurs endroits de la terre où l'on se laisse croître les ongles, pour marquer que l'on ne travaille point.

:

Les femmes des Indes (2) croient qu'il est honteux pour elles d'apprendre à lire c'est l'affaire, disent-elles, des esclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Dans une caste, elles ne filent point; dans une autre, elles ne font que des paniers et des nattes elles ne doivent pas même piler le riz; dans d'autres, il ne faut pas qu'elles aillent querir de l'eau. L'orgueil y a établi ses règles, et il les fait suivre. Il n'est pas nécessaire de dire que les qualités morales ont des effets différens, selon

(1) Voyez Dampierre, tome III.

(2) Lettres édif. douzième recueil, page 80.

qu'elles sont unies à d'autres: ainsi, l'orgueil, joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, produisit chez les Romains les effets que

l'on sait.

CHAPITRE

X,

Du caractère des Espagnols, et de celui des Chinois. LES divers caractères des nations sont mêlés de vertus et de vices, de bonnes et de mauvaises qualités. Les heureux mêlanges sont ceux dont il résulte de grands biens, et souvent on ne les soupçonneroit pas; il y en a dont il résulte de grands maux, et qu'on ne soupçonneroit pas non plus.

La bonne-foi des Espagnols a été fameuse dans tous les temps. Justin (*) nous parle de leur fidélité à garder les dépôts: ils ont souvent souffert la mort pour les tenir secrets. Cette fidélité qu'ils avoient autrefois, ils l'ont encore aujourd'hui. Toutes les nations qui commercent à Cadix, confient leur fortune aux Espagnols; elles ne s'en sont jamais repenties. Mais cette qualité admirable, jointe à leur paresse, forme un mêlange dont il résulte des effets qui leur sont pernicieux : les peuples de l'Europe font sous leurs yeux tout le commerce de leur monarchie.

(*) Liv. XLIII.

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Le caractère des Chinois forme un autre, mêlange, qui est en contraste avec le caractère des Espagnols. Leur vie précaire (1) fait qu'ils ont une activité prodigieuse, et un desir si excessif du gain, qu'aucune nation commerçante ne peut se fier à eux (2). Cette infidélité reconnue leur a conservé le commerce du Japon; aucuns négocians d'Europe n'ont osé entreprendre de le faire sous leur nom, quelque facilité qu'il y eût eu à l'entreprendre par leurs provinces maritimes du nord.

CHAPITRE XL

Réflexions.

JE n'ai point dit ceci pour diminuer rien de

la distance infinie qu'il y a entre les vices et les vertus à Dieu ne plaise! J'ai seulement voulu faire comprendre que tous les vices politiques ne sont pas des vices moraux, et que tous les vices moraux ne sont pas des vices politiques; et c'est ce que ne doivent point ignorer ceux qui font des loix qui choquent l'esprit général.

(1) Par la nature du climat et du terrein,
(2) Le P. du Halde, tome II.

CHAPITRE XII.

Des manières et des mœurs dans l'état despotique.

C'EST une maxime capitale, qu'il ne faut jamais changer les mœurs et les manières dans l'état despotique; rien ne seroit plus promptement suivi d'une révolution. C'est que, dans ces états, il n'y a point de loix, pour ainsi dire; il n'y a que des mœurs et des manières; et si vous renversez cela, vous renversez

tout.

Les loix sont établies, les moeurs sont inspirées ; celles-ci tiennent plus à l'esprit général, celles-là tiennent plus à une institution particulière: or, il est aussi dangereux, et plus, de renverser l'esprit général, que de changer une institution particulière.

On se communique moins dans les pays où chacun, et comme supérieur et comme inférieur, exerce et souffre un pouvoir arbitraire, que dans ceux où la liberté règne dans toutes les conditions. On y change donc moins de manières et de moeurs; les manières plus fixes approchent plus des loix: ainsi, il faut qu'un prince ou un législateur y choque moins les mœurs et les manières que dans aucun pays du monde.

Les femmes y sont ordinairement enfermées,

pays où elles vivent avec les hommes, l'envie qu'elles ont de plaire, et le desir que l'on a de leur plaire aussi, font que l'on change continuellement de manières. Les deux sexes se gâtent, ils perdent l'un et l'autre leur qualité distinctive et essentielle; il se met un arbitraire dans ce qui étoit absolu, et les manières changent tous les jours.

CHAPITRE X II I.

Des manières chez les Chinois.

MAIS C'est à la Chine que les manières sont indestructibles. Outre que les femmes y sont absolument séparées des hommes, on enseigne dans les écoles les manières comme les mœurs. On connoît un lettré (*) à la façon aisée dont il fait la révérence. Ces choses, une fois don

nées en préceptes et par de graves docteurs, s'y fixent comme des principes de morale, et ne changent plus.

(*) Dit le P. du Halde.

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