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pour raison des conventions et des contrats, il falloit aller à la justice laye, les parties pouvoient volontairement procéder devant les tribunaux clercs, qui, n'étant pas en droit d'obliger la justice laye à faire exécuter la sentence, contraignoient d'y obéir par voie d'excommunication (*). Dans ces circonstances, lorsque, dans les tribunaux laïcs, on voulut changer de pratique, on prit celle des clercs, parce qu'on la savoit; et on ne prit pas celle du droit romain, parce qu'on ne la savoit point: car, en fait de pratique, on ne sait que ce que l'on pratique.

CHAPITRE XLI.

Flux et reflux de la jurisdiction ecclésiastique et de la jurisdiction laye.

LA puissance civile étant entre les mains

d'une infinité de seigneurs, il avoit été aisé à la jurisdiction ecclésiastique de se donner tous les jours plus d'étendue: mais, comme la jurisdiction ecclésiastique énerva la jurisdiction des seigneurs, et contribua par-là à donner des forces à la jurisdiction royale, la jurisdiction royale restreignit peu-à-peu la jurisdiction ecclésiastique, et celle-ci recula devant la première. Le parlement, qui avoit pris dans sa forme de procéder tout ce qu'il y avoit de bon

(*) Beaum. ch. XI, p. 60.

et d'utile dans celle des tribunaux des clercs, ne vit bientôt plus que ses abus ;' et la jurisdic tion royale se fortifiant tous les jours, elle fut toujours plus en état de corriger ces mêmes abus. En effet, ils étoient intolérables; et sans en faire l'énumération, je renverrai à Beaumanoir (*), à Boutillier, aux ordonnances de nos rois. Je ne parlerai que de ceux qui intéressoient plus directement la fortune publique. Nous connoissons ces abus par les arrêts qui les réformèrent. L'épaisse ignorance les avoit introduits, une espèce de clarté parut, et ils ne furent plus. On peut juger, par le silence du clergé, qu'il alla lui-même au-devant de la correction, ce qui, vu la nature de l'esprit humain, mérite des louanges. Tout homme qui mouroit sans donner une partie de ses biens à l'église, ce qui s'appelloit mourir déconfés, étoit privé de la communion et de la sépulture. Si l'on mouroit sans faire de testament, il falloit que les parens obtinssent de l'évêque qu'il nommât, concurremment avec eux, des arbitres, pour fixer ce que le défunt auroit dû donner en cas qu'il eût fait un testament. On ne pouvoit pas coucher ensemble la première nuit des noces, ni même les deux suivantes, sans en avoir acheté la permission, c'étoit bien ces

(*) Voyez Boutillier, somme rurale, tit. 9, quelles personnes ne peuvent faire demande en cour laye; et Beaum, ch. XI, p. 56; et les réglemens de PhilippeAuguste à ce sujet ; et l'établissement de Philippe-Auguste fait entre les clercs, le roi et les barons.

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trois nuits-là qu'il falloit choisir; car pour les autres on n'auroit pas donné beaucoup d'argent. Le parlement corrigea tout cela on trouve dans le glossaire (1) du droit françois de Ragueau, l'arrêt qu'il rendit contre l'évêque d'Amiens (2).

Je reviens au commencement de mon chapitre. Lorsque, dans un siècle, ou dans un gouvernement, on voit les divers corps de l'état chercher à augmenter leur autorité, et à prendre les uns sur les autres de certains avantages, on se tromperoit souvent si l'on regardoit leurs entreprises comme une marque certaine de leur corruption. Par un malheur attaché à la condition humaine, les grands hommes modérés sont rares; et, comme il est toujours plus aisé de suivre sa force que de l'arrêter, peut-être, dans la classe des gens supérieurs, est-il plus facile de trouver des gens extrêmement ver tueux, que des hommes extrêmement sages.

L'ame goûte tant de délices à dominer les autres ames; ceux même qui aiment le bien s'aiment si fort eux-mêmes, qu'il n'y a personne qui ne soit assez malheureux pour avoir encore à se défier de ses bonnes intentions : et en vérité, nos actions tiennent à tant de choses, qu'il est mille fois plus aisé de faire le bien, que de le bien faire.

(1) Au mot exécuteurs testamentaires. (2) Du 19 mars 1409.

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CHAPITRE XLII.

Renaissance du droit romain, et ce qui en résulta. Changemens dans les tribunaux.

LE digeste de Justinien ayant été retrouvé

vers l'an 1137, le droit romain sembla prendre une seconde naissance. On établit des écoles en Italie où on l'enseignoit: on avoit déja le code Justinien et les novelles. J'ai déja dit que ce droit y prit une telle faveur, qu'il fit éclipser la loi des Lombards.

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Des docteurs Italiens portèrent le droit de Justinien en France, où l'on n'avoit connu (1) que le code Théodosien, parce que ce ne fut (2) qu'après l'établissement des barbares dans les Gaules, que les loix de Justinien furent faites, Ce droit reçut quelques oppositions; mais il se maintint, malgré les excommunications des papes, qui protégeoient leurs canons (3). S. Louis chercha à l'accréditer, par les traduc

(1) On suivoit en Italie le code de Justinien : c'est pour cela que le pape Jean VIII, dans sa constitution, donnée après le synode de Troyes, parle de ce code, non pas parce qu'il étoit connu en France, mais parce qu'il le connoissoit lui-même ; et sa constitution étoit générale.

(2) Le code de cet empereur fut publié vers l'an 530. (3) Décrétales, liv. V, tit. de privilegiis, cap. super specula.

tions qu'il fit faire des ouvrages de Justinien, que nous avons encore manuscrites dans nos bibliothèques; et j'ai déja dit qu'on en fit un grand usage dans les établissemens. Philippe-leBel (1) fit enseigner les loix de Justinien, seulement comme raison écrite, dans les pays de la France qui se gouvernoient par les coutumes; et elles furent adoptées comme loi, danș les pays où le droit romain étoit la loi.

J'ai dit ci-dessus que la manière de procéder par le combat judiciaire demandoit, dans ceux qui jugeoient, très-peu de suffisance; on décidoit les affaires dans chaque lieu, selon l'usage de chaque lieu, et suivant quelques coutumes simples, qui se recevoient par tradition. Il y avoit, du temps de Beaumanoir (2), deux différentes manières de rendre la justice. Dans des lieux, on jugeoit par pairs (3); dans d'autres on jugeoit par baillis: quand on suivoit la première forme, les pairs jugeoient selon l'usage de leur jurisdiction (4); dans la seconde, c'étoient des prud'hommes ou vieillards qui indi

(1) Par une chartre de l'an 1312, en faveur de l'université d'Orléans, rapportée par Dutillet.

(2) Coutume de Beauvoisis, ch. I, de l'office des baillis. (3) Dans la commune, les bourgeois étoient jugés par d'autres bourgeois, comme les hommes de fief se jugeoient entre eux. Voyez la Thaumassière, ch. XIX.

(4) Aussi toutes les requêtes commençoient-elles par ces mots : « Sire juge, il est d'usage qu'en votre juris» diction, &c. », comme il paroît par la formule rapportée dans Boutillier, somme rurale, liv. I, tit. 21.

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