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CHAPITRE XXXVII.

Comment les établissemens de S. Louis tombèrent dans l'oubli.

CE fut le destin des établissemens, qu'ils naquirent, vieillirent et moururent en très-peu de temps.

Je ferai là-dessus quelques réflexions. Le code que nous avons sous le nom d'établissemens de S. Louis, n'a jamais été fait pour servir de loi à tout le royaume, quoique cela soit dit dans la préface de ce code. Cette compilation est un code général, qui statue sur toutes les affaires civiles, les dispositions des biens par testament ou entre vifs, les dots et les avantages des femmes, les profits et les prérogatives des fiefs, les affaires de police, &c. Or, dans un temps où chaque ville, bourg ou village avoit sa coutume, donner un corps général de loix civiles, c'étoit vouloir renverser dans un moment toutes les loix particulières sous lesquelles on vivoit dans chaque lieu du royaume. Faire une coutume générale de toutes les coutumes particulières, seroit une chose inconsidérée même dans ce temps-ci, où les princes ne trouvent par-tout que de l'obéissance. Car s'il est vrai qu'il ne faut pas changer, lorsque les inconvéniens égalent les avantages, encore moins le faut-il lorsque les avantages sont petits

et les inconvéniens immenses. Or, si l'on fait attention à l'état où étoit pour lors le royaume," où chacun s'enivroit de l'idée de sa souveraineté et de sa puissance, on voit bien qu'entreprendre de changer par-tout les loix et les usages reçus, c'étoit une chose qui ne pouvoit venir dans l'esprit de ceux qui gouvernoient. Ce que je viens de dire prouve encore que ce code des établissemens ne fut pas confirmé en parlement par les barons et gens de loi du royaume, comme il est dit dans un manuscrit de l'hôtel-de-ville d'Amiens, cité par M. Ducange (*). On voit dans les autres manuscrits, que ce code fut donné par S. Louis en l'année 1270, avant qu'il partît pour Tunis: ce fait n'est pas plus vrai; car S. Louis est parti en 1269, comme l'a remarqué M. Ducange; d'où il conclut que ce code auroit été publié en son absence. Mais je dis que cela ne peut pas être : comment S. Louis auroit-il pris le temps de son absence pour faire une chose qui auroit été une semence de troubles, et qui eût pu produire, non pas des changemens, mais des révolutions? Une pareille entreprise avoit besoin, plus qu'une autre, d'être suivie de près, et n'étoit point l'ouvrage d'une régence foible, et même composée de seigneurs qui avoient intérêt que la chose ne réussît pas. C'étoit Matthieu, abbé de S. Denis; Simon de Clermont, comte de Nelle; et en cas de mort, Philippe,

(*) Préface sur les établissemens.

évêque d'Evreux; et Jean, comte de Ponthieu. On a vu ci-dessus (1), que le comte de Ponthieu s'opposa dans sa seigneurie à l'exécution d'un nouvel ordre judiciaire.

Je dis, en troisième lieu, qu'il y a grande apparence que le code que nous avons est une chose différente des établissemens de S. Louis, sur l'ordre judiciaire. Ce code cite les établissemens; il est donc un ouvrage sur les établissemens, et non pas les établissemens. De plus, Beaumanoir, qui parle souvent des établissemens de S. Louis, ne cite que des établissemens particu liers de ce prince, et non pas cette compilation des établissemens. Défontaines (2), qui écrivoit sous ce prince, nous parle des deux premières fois que l'on exécuta ses établissemens sur l'ordre judiciaire, comme d'une chose reculée. Les établissemens de S. Louis étoient donc antérieurs à la compilation dont je parle, qui, à la rigueur, et en adoptant les prologues erronés mis par quelques ignorans à la tête de cet ouvrage, n'auroit paru que la dernière année de la vie de S. Louis, ou même après la mort de ce prince.

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CHAPITRE XXXVIII

Continuation du même sujet.

QU'EST-CE

U'EST-CE donc que cette compilation que nous avons sous le nom d'établissemens de S. Louis? Qu'est-ce que ce code obscur, confus et ambigu, où l'on mêle sans cesse la jurisprudence françoise avec la loi romaine; où l'on parle comme un législateur, et où l'on voit un jurisconsulte; où l'on trouve un corps entier de jurisprudence sur tous les cas, sur tous les points du droit civil?. Il faut se transporter dans ces temps-là.

S. Louis, voyant les abus de la jurisprudence de son temps, chercha à en dégoûter les peuples; il fit plusieurs réglemens pour les tribunaux de ses domaines, et pour ceux de ses bafons; et il eut un tel succès, que Beaumanoir (*), qui écrivoit très-peu de temps après la mort de če prince, nous dit que la manière de juger, établie par S. Louis, étoit pratiquée dans un grand nombre de cours des seigneurs.

Ainsi ce prince remplit son objet, quoique ses réglemens pour les tribunaux des seigneurs n'eussent pas été faits pour être une loi générale du royaume, mais comme un exemple que chacun pourroit suivre, et que chacun même

(*) Ch. LXI, p. 309.

auroit intérêt de suivre. Il ôta le mal, en faisant sentir le meilleur. Quand on vit dans ses tribunaux, quand on vit dans ceux des seigneurs, une manière de procéder plus naturelle, plus raisonnable, plus conforme à la morale, à la religion, à la tranquillité publique, à la sûreté de la personne et des biens, on la prit, et on abandonna l'autre.

Inviter, quand il ne faut pas contraindre; conduire, quand il ne faut pas commander, c'est l'habileté suprême. La raison a un empire naturel; elle a même un empire tyrannique: on lui résiste, mais cette résistance est son triomphe; encore un peu de temps, et l'on sera forcé de revenir à elle.

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S. Louis, pour dégoûter de la jurisprudence françoise, fit traduire les livres du droit romain, afin qu'ils fussent connus des hommes de loi de ces temps-là. Défontaines, qui est le premier (*) auteur de pratique que nous ayons, fit un grand usage de ces loix romaines: son ouvrage est, en quelque façon, un résultat de l'ancienne jurisprudence françoise, des loix ou établissemens de S. Louis, et de la loi romaine. Beaumanoir fit peu d'usage de la loi romaine; mais il concilia l'ancienne jurisprudence françoise avec les réglemens de S. Louis.

C'est dans l'esprit de ces deux ouvrages, et sur-tout de celui de Défontaines, que quelque

(*) Il dit lui-même dans ce prologue: Nus lui en prit

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