Page images
PDF
EPUB

chez un peuple grec, et non pas chez un peuple barbare.

Soyez seul, et arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu; si vous voyez une pièce de monnoie, comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée.

La culture des terres demande l'usage de la monnoie. Cette culture suppose beaucoup d'arts et de connoissances; et l'on voit toujours marcher d'un pas égal les arts, les connoissances et les besoins. Tout cela conduit à l'établissement d'un signe de valeurs.

Les torrens et les incendies (*) nous ont fait découvrir que les terres contenoient des métaux. Quand ils en ont été une fois séparés, il a été aisé de les employer.

CHAPITRE XV I.

Des loix civiles chez les peuples qui ne connoissent point l'usage de la monnoie.

QUAND

UAND un peuple n'a pas l'usage de la monnoie, on ne connoît guère chez lui que les injustices qui viennent de la violence; et gens foibles, en s'unissant, se défendent contre la violence. Il n'y a guère là que des arrangemens politiques. Mais chez un peuple

les

(*) C'est ainsi que Diodore nous dit que les bergers trouvèrent l'or des Pyrénées.

où la monnoie est établie, on est sujet aux injustices qui viennent de la ruse; et ces injustices peuvent être exercées de mille façons. On y est donc forcé d'avoir de bonnes loix civiles; elles naissent avec les nouveaux moyens et les diverses manières d'être méchant.

Dans les pays où il n'y a point de monnoie, le ravisseur n'enlève que des choses; et les choses ne se ressemblent jamais. Dans les pays où il y a de la monnoie, le ravisseur enlève des signes, et les signes se ressemblent toujours. Dans les premiers pays rien ne peut être caché, parce que le ravisseur porte toujours avec lui des preuves de sa conviction: cela n'est pas de même dans les

autres.

CHAPITRE XV I I.

Des loix politiques chez les peuples qui n'ont point l'usage de la monnoie.

CE qui assure le plus la liberté des peuples qui ne cultivent point les terres, c'est que la monnoie leur est inconnue. Les fruits de la chasse, de la pêche, ou des troupeaux, ne peuvent s'assembler en assez grande quantité, ni se garder assez, pour qu'un homme se trouve en état de corrompre tous les autres:

au lieu que, lorsque l'on a des signes de richesses, on peut faire un amas de ces signes, et les distribuer à qui l'on veut.

Chez les peuples qui n'ont point de monnoie, chacun a peu de besoins, et les satisfait aisément et également. L'égalité est donc forcée; aussi leurs chefs ne sont-ils point despotiques.

CHAPITRE XVII I.

Force de la superstition.

SI ce que les relations nous disent est vrai,

la constitution d'un peuple de la Louisianne nommé les Natchés, déroge à ceci. Leur chef (*) dispose des biens de tous ses sujets, et les fait travailler à sa fantaisie: ils ne peuvent lui refuser leur tête; il est comme le grand-seigneur. Lorsque l'héritier présomptif vient à naître, on lui donne tous les enfans à la mammelle, pour le servir pendant sa vie. Vous diriez que c'est le grand Sésostris. Ce chef est traité dans sa cabane avec les cérémonies qu'on feroit à un empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la superstition sont supérieurs à tous les autres préjugés, et ses raisons à toutes les autres raisons. Ainsi, quoique les peuples sauvages ne connoissent point naturellement le despotisme, ce peuple-ci le connoît.

(*) Lettres édifiantes, vingtième recueil.

Ils adorent le soleil, et si leur chef n'avoit pas imaginé qu'il étoit le frère du soleil, ils n'auroient trouvé en lui qu'un misérable comme

eux.

CHAPITRE XI X.

De la liberté des Arabes et de la servitude des Tartares.

Es

LES Arabes et les Tartares sont des peuples pasteurs. Les Arabes se trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, et sont libres; au lieu que les Tartares (peuple le plus singulier de la terre) se trouvent dans l'esclavage politique (1). J'ai déjà (2) donné quelques raisons de ce dernier fait: en voici de nouvelles.

Ils n'ont point de villes, ils n'ont point de forêts, ils ont peu de marais, leurs rivières sont presque toujours glacées, ils habitent une immense plaine, ils ont des pâturages et des troupeaux, et par conséquent des biens: mais ils n'ont aucune espèce de retraite ni de défense. Si-tôt qu'un kan est vaincu, on lui coupe la tête (3); on traite de la même manière ses

(1) Lorsqu'on proclame un kan, tout le peuple s'écrie que sa parole lui serve de glaive.

(2) Liv. XVII, chap. V.

(3) Ainsi, il ne faut pas être étonné si Mirivéis, s'étant rendu maître d'Ispahan, fit tuer tous les princes du sang.

enfans, et tous ses sujets appartiennent au vainqueur. On ne les condamne pas à un esclavage civil; ils seroient à charge à une nation simple, qui n'a point de terres à cultiver, et n'a besoin d'aucun service domestique. Ils augmentent donc la nation. Mais au lieu de l'esclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire.

En effet, dans un pays où les diverses hordes se font continuellement la guerre et se conquièrent sans cesse les unes les autres ; dans un pays où, par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue est toujours détruit, la nation en général ne peut guère être libre: car il n'y en a pas une seule partie qui ne doive avoir été un très-grand nombre de fois subjuguée.

Les peuples vaincus peuvent conserver quelque liberté, lorsque, par la force de leur situation, ils sont en état de faire des traités, après leur défaite. Mais les Tartares, toujours. sans défense, vaincus une fois, n'ont jamais pu faire des conditions.

J'ai dit au chapitre II, que les habitans des plaines cultivées n'étoient guère libres des circonstances font que les Tartares, habitant une terre inculte, sont dans le même cas.

*

« PreviousContinue »