Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XVIII.

Comment la preuve par le combat s'étendit.

ON

N pourroit conclure de la lettre d'Agobard à Louis-le-Débonnaire, que la preuve par le combat n'étoit point en usage chez les Francs, puisqu'après avoir remontré à ce prince les abus de la loi de Gondebaud, il (1) demande qu'on juge en Bourgogne les affaires par la loi des Francs. Mais, comme on sait d'ailleurs que, dans ce temps-là, le combat judiciaire étoit en usage en France, on a été dans l'embarras. Cela s'explique par ce que j'ai dit : la loi des Francs saliens n'admettoit point cette preuve, et celle des Francs ripuaires (2) la

recevoit.

Mais, malgré les clameurs des ecclésiastiques, l'usage du combat judiciaire s'étendit tous les jours en France; et je vais prouver tout-à-l'heure que ce furent eux-mêmes qui y donnèrent lieu en grande partie.

C'est la loi des Lombards qui nous fournit cette preuve. << Il s'étoit introduit depuis long» temps une détestable coutume ( est-il dit » dans le préambule de la constitution de

(1) Si placeret domino nostro ut eos transferret ad legem

Francorum.

↳ Othon II); (1) c'est que, si la chartre de quel» que héritage étoit attaquée de faux, celui qui » la présentoit faisoit serment sur les évangiles » qu'elle étoit vraie; et sans aucun jugement » préalable, il se rendoit propriétaire de l'héri »tage: ainsi les parjures étoient sûrs d'acqué»rir». Lorsque l'empereur Othon 1 se fit cou ronner à Rome (2), le pape Jean XII tenant un concile, tous les seigneurs (3) d'Italie s'écrièrent qu'il falloit que l'empereur fît une loi pour corriger cet indigne abus. Le pape et l'empereur jugèrent qu'il falloit renvoyer l'affaire au concile qui devoit se tenir peu de temps après à Ravenne (4). Là les seigneurs firent les mêmes demandes, et redoublèrent leurs cris; mais, sous prétexte de l'absence de quelques personnes, on renvoya encore une fois cette affaire. Lorsque Othon II, et Conrad (5) roi de Bourgogne, arrivèrent en Italie, ils eurent à Véronne (6) un colloque (7) avec les seigneurs

(1) Loi des Lombards, liv. II, tit. 55, ch. XXXIV. (2) L'an 962.

(3) Ab Italia proceribus est proclamatum, ut imperator sanctus, mutatâ lege facinus indignum destrueret. Loi des Lombards, liv. II, tit. 55, ch. XXXIV.

(4) Il fut tenu en l'an 967, en présence du pape Jean XIII, et de l'empereur Othon I.

(5) Oncle de Othon II, fils de Rodolphe, et roi de la Bourgogne transjurane.

(6) L'an 988.

(7) Cùm in hoc ab omnibus imperiales aures pulsarentur, Loi des Lombards, liv. II, tit. 55, ch. XXXIV.

d'Italie; et, sur leurs instances réitérées, l'empereur, du consentement de tous, fit une loi qui portoit que, quand il y auroit quelque contestation sur des héritages, et qu'une des parties voudroit se servir d'une chartre, et que l'autre soutiendroit qu'elle étoit fausse, l'affaire se décideroit par le combat; que la même règle s'observeroit lorsqu'il s'agiroit de matière de fief; que les églises seroient sujettes à la même loi, et qu'elles combattroient par leurs champions. On voit que la noblesse demanda la preuve par le combat, à cause de l'inconvénient de la preuve introduite dans les églises ; que, malgré les cris de cette noblesse, malgré l'abus qui crioit lui-même, et malgré l'autorité de Othon, qui arriva en Italie pour parler et agir en maître, le clergé tint ferme dans deux conciles; que le concours de la noblesse et des princes ayant forcé les ecclésiastiques à céder, l'usage du combat judiciaire dut être regardé comme un privilège de la noblesse, comme un rempart contre l'injustice, et une assurance de sa propriété; et que, dès ce moment, cette pratique dut s'étendre. Et cela se fit dans un temps où les empereurs étoient grands et les papes petits, dans un temps où les Othons vinrent rétablir en Italie la dignité de l'empire.

Je ferai une réflexion qui confirmera ce que j'ai dit ci-dessus, que l'établissement des preuves négatives entraînoit après lui la jurisprudence du combat. L'abus dont on se plaignoit

on objectoit que sa chartre étoit fausse, se défendoit par une preuve négative, en déclarant sur les évangiles qu'elle ne l'étoit pas. Que fiton pour corriger l'abus d'une loi qui avoit été tronquée? on rétablit l'usage du combat.

Je me suis pressé de parler de la constitution de Othon II, afin de donner une idée claire des démêlés de ces temps-là entre le clergé et les laïques. Il y avoit eu auparavant une constitution (1) de Lothaire I, qui, sur les mêmes. plaintes et les mêmes démêlés, voulant assurer la propriété des biens, avoit ordonné que le notaire jureroit que sa chartre n'étoit pas fausse; et que, s'il étoit mort, on feroit jurer les témoins qui l'avoient signée : mais le mal restoit, toujours, il falloit en venir au remède dont je viens de parler.

Je trouve qu'avant ce temps-là, dans des assemblées générales tenues par Charlemagne, la nation lui représenta (2) que dans l'état des choses, il étoit très-difficile que l'accusateur ou l'accusé ne se parjurassent, et qu'il valoit mieux rétablir le combat judiciaire; ce qu'il fit.

L'usage du combat judiciaire s'étendit chez les Bourguignons, et celui du serment y fut borné. Théodoric, roi d'Italie, abolit le combat singulier chez les Ostrogoths (3): les loix de

(1) Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. 55, §. 33Dans l'exemplaire dont s'est servi M. Muratori, elle est aftribuée à l'empereur Guy.

(2) Ibid. §. 23.

(3) Voyez Cassiodore, liv. III, lett. 23 et 24*

Chaindasuinde et de Récessuinde semblent en avoir voulu ôter jusqu'à l'idée. Mais ces loix furent si peu reçues dans la Narbonnoise, que le combat y étoit regardé comme une prérogative des Goths (1).

Les Lombards, qui conquirent l'Italie après la destruction des Ostrogoths par les Grecs, y rapportèrent l'usage du combat: mais leurs premières loix le restreignirent (2). Charlemagne (3), Louis-le-Débonnaire, les Othons firent diverses constitutions générales qu'on trouve insérées dans les loix des Lombards, et ajoutées aux loix saliques, qui étendirent le duel, d'abord dans les affaires criminelles, et ensuite dans les civiles. On ne savoit comment faire. La preuve négative par le serment avoit des inconvéniens; celle par le combat en avoit aussi on changeoit, suivant qu'on étoit plus frappé des uns ou des autres.

.

D'un côté, les ecclésiastiques se plaisoient à voir, que dans toutes les affaires séculières,

(1) In palatio quoque Bera comes Barcinonensis, cùm impeteretur à quodam vocato Sunila et infidelitatis argueretur, cùm eodem secundùm legem propriam, utpotè quià uterque Gothus erat, equestri prælio congressus est et victus. L'auteur incertain de la vie de Louis-le-Débonnaire.

(2) Voyez la loi des Lombards, le liv. I, tit. 4, et tit. 9, §. 23; et liv. II, tit. 35, §. 4 et 5; et tit. 55, §. 1, 2 et 3 : les réglemens de Rotharis; et au §. 15, celui de Luitprand.

« PreviousContinue »