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CHAPITRE XI.

Autres causes de la chûte des codes des loix des barbares, du droit romain et des capitulaires. LORSQUE les nations Germaines conqui rent l'empire romain, elles y trouvèrent l'usage de l'écriture; et, à l'imitation des Romains elles rédigèrent leurs usages (*) par écrit, et en firent des codes. Les règnes malheureux qui suivirent celui de Charlemagne, les invasions des Normands, les gueres intestines, replongèrent les nations victorieuses dans les ténèbres dont elles étoient sorties; on ne sut plus lire ni écrire. Cela fit oublier en France et en Allemagne les loix barbares écrites, le droit romain et les capitulaires. L'usage de l'écriture se conserva mieux en Italie, où régnoient les papes et les empereurs grecs, et où il y avoit des villes florissantes, et presque le seul commerce qui se fît pour lors. Ce voisinage de l'Italie fit que le droit romain se conserva mieux dans les contrées de la Gaule autrefois soumises aux Goths et aux Bourguignons,

(*) Cela est marqué expressément dans quelques prologues de ces codes. On voit même, dans les loix des Saxons et des Frisons, des dispositions différentes, selon les divers districts. On ajouta à ces usages quelques disa positions particulières, que les circonstances exigèrent; relles furent les loix dures contre les Saxons.

d'autant plus que ce droit y étoit une loi territoriale et une espèce de privilège. Il y a apparence que c'est l'ignorance de l'écriture qui fit tomber en Espagne les loix wisigothes; et par la chûte de tant de loix, il se forma par-tout des coutumes.

Les loix personnelles tombèrent. Les compositions, et ce que l'on appelloit freda (1) se réglèrent plus par la coutume que par le texte de ces loix. Ainsi, comme dans l'établissement de la monarchie on avoit passé, des usages des Germains, à des loix écrites; on revint, quelques siècles après, des loix écrites à des usages non écrits.

CHAPITRE X I I.

Des coutumes locales: révolution des loix des peuples barbares, et du droit romain.

ON voit par plusieurs monumens, qu'il y avoit déja des coutumes locales dans la première et la seconde races. On y parle de la coutume du lieu (2), de l'usage ancien (3), de la coutume (4), des loix (5) et des coutumes. Des

(1) J'en parlerai ailleurs.

(2) Préface des formules de Marculfe.

(3) Loi des Lombards, liv. II, tit. 58, §. 3.
(4) Ibid. tit. 41, §. 6.

auteurs ont cru que ce qu'on nommoit des coutumes étoient les loix des peuples barbares, et que ce que l'on appelloit la loi étoit le droit Romain. Je prouve que cela ne peut être. Le roi Pepin (*) ordonna que par-tout où il n'y auroit point de loi, on suivroit la coutume; mais que la coutume ne seroit pas préférée à la loi. Or, dire que le droit romain eut la préférence sur les codes des loix des barbares, c'est renverser tous les monumens anciens, et sur-tout ces codes des loix des barbares qui disent perpétuellement le contraire.

Bien loin que les loix des peuples barbares fussent ces coutumes, ce furent ces loix mêmes, qui, comme loix personnelles, les introduisirent. La loi salique, par exemple, étoit une loi personnelle; mais, dans des lieux généralement ou presque généralement habités par des Francs saliens, la loi salique, toute personnelle qu'elle étoit, devenoit, par rapport à ces Francs saliens, une loi territoriale, et elle n'étoit personnelle que pour les Francs qui habitoient ailleurs. Or, si dans un lieu où la loi salique étoit territoriale, il étoit arrivé que plusieurs Bourguignons, Allemands ou Romains même, eussent eu souvent des affaires, elles auroient été décidées par les loix de ces peuples; et un grand nombre de jugemens conformes à quelques-unes de ces loix, auroit dû introduire dans le pays de nouveaux usages.

(*) Loi des Lombards, liv. II, tit. 41, §. 6.

Et cela explique bien la constitution de Pepin. Il étoit naturel que ces usages pussent affecter les Francs même du lieu, dans les cas qui n'étoient point décidés par la loi salique; mais il ne l'étoit pas qu'ils pussent prévaloir sur la loi salique.

Ainsi, il y avoit dans chaque lieu une loi dominante et des usages reçus, qui servoient de supplément à la loi dominante, lorsqu'ils ne la choquoient pas.

Il pouvoit même arriver qu'ils servissent de supplément à une loi qui n'étoit point territoriale: et pour suivre le même exemple, si, dans un lieu où la loi salique étoit territoriale, un Bourguignon étoit jugé par la loi des Bourgnons, et que le cas ne se trouvât pas dans le texte de cette loi, il ne faut pas douter que l'on ne jugeât suivant la coutume du lieu.

Du temps du roi Pepin, les coutumes qui s'étoient formées, avoient moins de force que les loix; mais bientôt les coutumes détruisirent les loix et comme les nouveaux réglemens sont toujours des remèdes qui indiquent un mal présent; on peut croire que, du temps de Pepin, on commençoit déja à préférer les coutumes aux loix.

Ce que j'ai dit explique comment le droit Romain commença dès les premiers temps à devenir une loi territoriale, comme on le voit dans l'édit de Pistes; et comment la loi gothe ne laissa pas d'y être encore en usage, comme

il paroît par le synode de Troies (*) dont j'ai parlé. La loi romaine étoit devenue la loi personnelle générale, et la loi gothe la loi personnelle particulière; et par conséquent la loi romaine étoit la loi territoriale. Mais comment l'ignorance fit-elle tomber par-tout les loix personnelles des peuples barbares, tandis que le droit romain subsista, comme une loi territoriale, dans les provinces wisigothes et bourguignones? Je réponds, que la loi romaine même eut à-peu-près le sort des autres loix personnelles: sans cela, nous aurions encore le code Théodosien dans les provinces où la loi romaine étoit loi territoriale, au lieu que nous y avons les loix de Justinien. Il ne resta presque à ces provinces que le nom de pays de droit romain ou de droit écrit; que cet amour que les peuples ont pour leur loi, sur-tout quand ils la regardent comme un privilège, et quelques dispositions du droit romain retenues pour lors dans la mémoire des hommes: mais c'en fut assez pour produire cet effet, que, quand la compilation de Justinien parut, elle fut reçue dans les provinces du domaine des Goths et des Bourguignons comme loi écrite; au lieu que, dans l'ancien domaine des Francs, elle ne le fut que comme raison écrite.

(*) Voyez ci-devant le ch. V.

CHAPITRE

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