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qui est toujours dans cet état dans lequel il force ou il est forcé, ne peut pas se plaindre d'un traité qu'on lui a fait faire par violence. C'est comme s'il se plaignoit de son état naturel: c'est comme s'il vouloit être prince à l'égard des autres princes, et que les autres princes fussent citoyens à son égard: c'est-ଠdire, choquer la nature des choses.

CHAPITRE XX I.

Qu'il ne faut pas décider par les loix politiques, les choses qui appartiennent au droit des gens.

LES loix politiques demandent que tout

homme soit soumis aux tribunaux criminels et civils du pays où il est, et à l'animadversion du

souverain.

Le droit des gens a voulu que les princes s'envoyassent des ambassadeurs : et la raison, tirée de la nature de la chose, n'a pas permis que ces ambassadeurs dépendissent du souverain chez qui ils sont envoyés, ni de ses tribunaux. Ils sont la parole du prince qui les envoie, et cette parole doit être libre: aucun obstacle ne doit les empêcher d'agir : ils peuvent sou vent déplaire, parce qu'ils parlent pour un homme indépendant: on pourroit leur imputer des crimes, s'ils pouvoient être punis pour des crimes; on pourroit leur supposer des dettes,

s'ils pouvoient être arrêtés pour des dettes. Un *prince qui a une fierté naturelle, parleroit par la bouche d'un homme qui auroit tout à craindre. Il faut donc suivre, à l'égard des ambassadeurs, les raisons tirées du droit des gens, et non pas celles qui dérivent du droit politique. Que s'ils abusent de leur être représentatif, on le fait cesser, en les renvoyant chez eux: on peut même les accuser devant leur maître qui devient par-là leur juge ou leur complice.

CHAPITRE XX I I.

Malheureux sort de l'ynca ATHU ALP A.

LES principes que nous venons d'établir, furent cruellement violés par les Espagnols. L'ynca (*) Athualpa ne pouvoit être jugé que par le droit des gens: ils le jugèrent par des loix politiques et civiles ; ils l'accusèrent d'avoir fait mourir quelques-uns de ses sujets, d'avoir eu plusieurs femmes, &c. Et le comble de la stupidité fut, qu'ils ne le condamnèrent pas par les loix politiques et civiles de son pays, mais par les loix politiques et civilés du leur.

(*) Voyez l'ynca Garcilasso de la Vega, p. 108.

CHAPITRE XXIII.

Que lorsque, par quelque circonstance, la loi politique détruit l'état, il faut décider par la loi politique qui le conserve, qui devient quelquefois un droit des gens.

Qu

UAND la loi politique, qui a établi dans l'état un certain ordre de succession, devient destructrice du corps politique pour lequel elle a été faite, il ne faut pas douter qu'une autre loi politique ne puisse changer cet ordre; et bien loin que cette même loi soit opposée à la première, elle y sera dans le fond entiérement conforme, puisqu'elles dépendront toutes deux de ce principé: LE SALUT DU PEUPLE EST LA SUPRÊME LOLO rog or toylarlak (

J'ai dit qu'un grand état (*) devenu accessoire d'un autre, s'affoiblissoit, et même affoiblissoit le principal. On sait que l'état à intérêt d'avoir son chef chez lui, que les revenus publics soient bien administrés, que sa monnoie ne sorte point pour enrichir un autre pays. Il est important que celui qui doit gouverner ne soit point imbu de maximes étrangères; elles conviennent moins que celles qui sont déja établies:

(*) Voyez ci-dessus, liv. V, ch. XIV; liv. VIII, ch. XVI, XVII, XVIII, XIX et XX; liv. IX, ch. IV, V, VI et VII; et liv. X, ch. IX et X.

d'ailleurs les hommes tiennent prodigieusement à leurs loix et à leurs coutumes; elles font la félicité de chaque nation; il est rare qu'on les change sans de grandes secousses et une grande effusion de sang, comme les histoires de tous les pays le font voir.

Il suit de-là que, si un grand état a pour héritier le possesseur d'un grand état, le premier peut fort bien l'exclure, parce qu'il est utile à tous les deux états que l'ordre de la succession soit changé. Ainsi la loi de Russie, faite au commencement du règne d'Elisabeth exclut-elle très-prudemment tout héritier qui posséderoit une autre monarchie; ainsi la loi de Portugal rejette-t-elle tout étranger qui seroit appellé à la couronne par le droit du

sang.

Que si une nation peut exclure, elle a à plus forte raison le droit de faire renoncer. Si elle craint qu'un certain mariage n'ait des suites qui puissent lui faire perdre son indépendance ou la jetter dans un partage, elle pourra fort bien faire renoncer les contractans et ceux qui naîtront d'eux, à tous les droits qu'ils auroient sur elle; et celui qui renonce, et ceux contre qui on renonce, pourront d'autant moins se plaindre, que l'état auroit pu faire une loi pour les exclure.

CHAPITRE XXI V.

Que les réglemens de police sont d'un autre ordre que les autres loix civiles.

Il y a des criminels que le magistrat punit,

il y en a d'autres qu'il corrige; les premiers sont soumis à la puissance de la loi, les autres à son autorité; ceux-là sont retranchés de la société, on oblige ceux-ci de vivre selon les règles de la société.

Dans l'exercice de la police, c'est plutôt le magistrat qui punit, que la loi: dans les jugemens des crimes, c'est plutôt la loi qui punit que le magistrat. Les matières de police sont des choses de chaque instant, et où il ne s'agit ordinairement que de peu : il ne faut donc guère de formalités. Les actions de la police sont promptes, et elle s'exerce sur des choses qui reviennent tous les jours: les grandes punitions n'y sont donc pas propres. Elle s'occupe perpétuellement de détails: les grands exemples ne sont donc point faits pour elle. Elle à plutôt des réglemens que des loix. Les gens qui relèvent d'elle sont sans cesse sous les yeux du magistrat; c'est donc la faute du magistrat s'ils tombent dans des excès. Ainsi il ne faut pas confondre les grandes violations des loix avec la violation de la simple police: ces choses sont d'un ordre différent.

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