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circonstances, permis ou défendus par une loi

civile.

le

Il n'est point d'un usage nécessaire que beau-frère et la belle-sœur habitent dans la même maison. Le mariage n'est donc pas défendu entre eux pour conserver la pudicité dans la maison, et la loi qui le défend ou le permet, n'est point la loi de la nature, mais une loi civile, qui se règle sur les circonstances, et dépend des usages de chaque pays : ce sont des cas où les loix dépendent des mœurs et des manières.

Les loix civiles défendent les mariages, lorsque, par les usages reçus dans un certan pays, ils se trouvent être dans les mêmes circonstances que ceux qui sont défendus par les loix de la nature; et elles les permettent lorsque les mariages ne se trouvent point dans ce cas. La défense des loix de la nature est invariable, parce qu'elle dépend d'une chose invariable; le père, la mère et les enfans habitant nécessairement dans la maison. Mais les défenses des loix civiles sont accidentelles, parce qu'elles dépendent d'une circonstance accidentelle, les cousinsgermains et autres habitant accidentellement dans la maison.

Cela explique comment les loix de Moïse, celles des Egyptiens (*) et de plusieurs autres peuples, permettent le mariage entre le beau

(*) Voyez la loi VIII, au cod. de incestis et inutilibus nuptiis.

frère

frère et la belle - sœur pendant que ces mêmes mariages sont défendus chez d'autres

nations.

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Aux Indes, on a une raison bien naturelle d'admettre ces sortes de mariages. L'oncle y est regardé comme père, et il est obligé d'entretenir et d'établir ses neveux, comme si c'étoient ses propres enfans: ceci vient du caractère de ce peuple, qui est bon et plein d'humanité. Cette loi ou cet usage en a produit un autre si un mari a perdu sa femme, il ne manque pas d'en épouser la soeur (*); et cela est très naturel; car la nouvelle épouse devient la mère des enfans de sa sœur, et il n'y a point d'injuste marâtre.

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CHAPITRE X V.

Qu'il ne faut point régler par les principes du droit politique, les choses qui dépendent des principes du droit civil.

COMME les hommes ont renoncé à leur indépendance naturelle, pour vivre sous des loix politiques, ils ont renoncé à la communauté naturelle des biens pour vivre sous des loix civiles.

Ces premières loix leur acquièrent la liberté; les secondes, la propriété. Il ne faut pas décider

(*) Lett es édifiantes, quatorzième recueil, p. 403

par les loix de la liberté, qui, comme nous avons dit, n'est que l'empire de la cité; ce qui ne doit être décidé que par les loix qui concernent la propriété. C'est un paralogisme de dire que le bien particulier doit céder au bien public: cela n'a lieu que dans les cas où il s'agit de l'empire de la cité, c'est-à-dire, de la liberté du citoyen: cela n'a pas lieu dans ceux où il est question de la propriété des biens, parce que le bien public est toujours que chacun conserve invariablement la propriété que lui donnent les loix civiles.

-Cicéron soutenoit que les loix agraires étoient funestes, parce que la cité n'étoit établie que pour que chacun conservât ses biens.

Posons donc pour maxime que, lorsqu'il s'agit du bien public, le bien public n'est jamais que l'on prive un particulier de son bien, ou même qu'on lui en retranche la moindre partie par une loi ou un réglement politique. Dans ce cas, il faut suivre à la rigueur la loi civile, qui est le palladium de la propriété.

Ainsi, lorsque le public a besoin du fonds d'un particulier, il ne faut jamais agir par la rigueur de la loi politique: mais c'est-là que doit triompher la loi civile, qui, avec des yeux de mère, regarde chaque particulier comme toute la cité même.

Si le magistrat politique veut faire quelque édifice public, quelque nouveau chemin, il faut qu'il indemnise; le public est, à cet égard, comme un particulier qui traite avec un parti

culier. C'est bien assez qu'il puisse contraindre un citoyen de lui vendre son héritage, et qu'il lui ôte ce grand privilège qu'il tient de la loi civile, de ne pouvoir être forcé d'aliéner son bien.

Après que les peuples qui détruisirent les Romains eurent abusé de leurs conquêtes même, l'esprit de liberté les rappella à celui d'équité; les droits les plus barbares, ils les exercèrent avec modération: et si l'on en doutoit, il n'y auroit qu'à lire l'admirable ouvrage de Beaumanoir, qui écrivoit sur la jurisprudence dans le douzième siècle.

On raccommodoit de son temps les grands chemins, comme on fait aujourd'hui. Il dit que, quand un grand chemin ne pouvoit être rétabli, on en faisoit un autre le plus près de l'ancien qu'il étoit possible; mais qu'on dédommageoit les propriétaires (*) aux frais de ceux qui tiroient quelque avantage du chemin. On se déterminoit pour lors par la loi civile; on s'est déterminé de nos jours par la loi politique.

(*) Le seigneur nommoit des prud'hommes pour faire la levée sur le paysan; les gentilshommes étoient con traints à la contribution par le comte, l'homme d'église par l'évêque. Beaumanoir, ch. XXII,

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CHAPITRE XV I.

Qu'il ne faut point décider par les règles du droit civil, quand il s'agit de décider par celles du droit politique.

ON verra le fond de toutes les questions, si l'on ne confond point les règles qui dérivent de la propriété de la cité, avec celles qui naissent de la liberté de la cité.

Le domaine d'un état est-il aliénable, ou ne l'est-il pas ? Cette question doit être décidée par la loi politique, et non pas par la loi civile. Elle ne doit pas être décidée par la loi civile, parce qu'il est aussi nécessaire qu'il y ait un domaine pour faire subsister l'état, qu'il est nécessaire qu'il y ait dans l'état des loix civiles qui règlent la disposition des biens.

Si donc on aliène le domaine, l'état sera forcé de faire un nouveau fonds pour un autre domaine. Mais cet expédient renverse encore le gouvernement politique; parce que, par la nature de la chose, à chaque domaine qu'on établira, le sujet paiera toujours plus, et le souverain retirera toujours moins; en un mot, le domaine est nécessaire, et l'aliénation ne l'est pas.

L'ordre de succession est fondé, dans les monarchies, sur le bien de l'état, qui demande que cet ordre soit fixé, pour éviter les malheurs

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