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découvrir le crime de sa belle-mère, qu'il en avoit eu pour le crime même; il ose à peine, dans sa surprise, accusé, jugé, condamné proscrit et couvert d'infamie, faire quelques réflexions sur le sang abominable dont Phèdre est sortie : il abandonne ce qu'il a de plus cher, et l'objet le plus tendre, tout ce qui parle à son cœur, tout ce qui peut l'indigner, pour aller se livrer à la vengeance des dieux qu'il n'a point méritée. Ce sont les accens de la nature qui causent ce plaisir; c'est la plus douce de toutes les voix.

CHAPITRE V.

Cas où l'on peut juger par les principes du droit civil, en modifiant les principes du droit naturel.

UNE loi d'Athènes obligeoit (1) les enfans de nourrir leurs pères tombés dans l'indigence; elle exceptoit ceux qui étoient nés (2) d'une courtisane, ceux dont le père avoit exposé la pudicité par un trafic infame, ceux à qui (3) il n'avoit point donné de métier pour gagner

leur vie.

(1) Sous peine d'infamie; une autre, sous peine de prison.

(2) Plutarque, vie de Solon.

(3) Plutarque, vie de Solon; et Gallien, in exhort, ad Art. cap. VIII.

La loi considéroit que, dans le premier cas, le père se trouvant incertain, il avoit rendu précaire son obligation naturelle; que, dans le second, il avoit flétri la vie qu'il avoit donnée, et que le plus grand mal qu'il pût faire à ses enfans, il l'avoit fait, en les privant de leur caractère; que, dans le troisième, il leur avoit rendu insupportable une vie qu'ils trouvoient tant de difficulté à soutenir : la loi n'envisageoit plus le père et le fils que comme deux citoyens, ne statuoit plus que sur des vues politiques et civiles; elle considéroit que, dans une bonne république, il faut sur-tout des mœurs. Je crois bien que la loi de Solon étoit bonne dans les deux premiers cas, soit celui où la nature laisse ignorer au fils quel est son père, soit celui où elle semble même lui ordonner de le méconnoître : mais on ne sauroit l'approuver dans le troisième, où le père n'avoit violé qu'un réglement civil.

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CHAPITRE VI.

Que l'ordre des successions dépend des principes du droit politique ou civil, et non pas des principes du droit naturel.

LA loi Voconienne ne permettoit point d'instituer une femme héritière, pas même sa fille unique. Il n'y eut jamais, dit S. Augustin (1) une loi plus injuste. Une formule de Marculfe (2) traite d'impie la coutume qui prive les filles de la succession de leurs pères. Justinien (3) appelle barbare le droit de succéder des mâles, au préjudice des filles. Ces idées sont venues de ce que l'on a regardé le droit que les enfans ont de succéder à leurs pères, comme une conséquence de la loi naturelle; ce qui n'est pas,

La loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfans, mais elle n'oblige pas de les faire héritiers. Le partage des biens, les loix sur ce partage, les successions après la mort de celui qui a eu ce partage; tout cela ne peut avoir été réglé que par la société, et par conséquent par des loix politiques ou civiles.

Il est vrai que l'ordre politique ou civil demande souvent que les enfans succèdent aux pères, mais il ne l'exige pas toujours.

(1) De civitate Dei, liv. III,

(2) Liv. II, ch. XII.

(3) Novelle 21.

Les loix de nos fiefs ont pu avoir des raisons pour que l'aîné des mâles, ou les plus proches parens par mâles, eussent tout, et que les filles n'eussent rien: et les loix des Lombards (1) ont pu en avoir pour que les sœurs, les enfans naturels, les autres parens, et, à leur défaut, le fisc, concourussent avec les filles.

Il fut réglé dans quelques dynasties de la Chine, que les frères de l'Empereur lui succéderoient, et que ses enfans ne lui succéde roient pas. Si l'on vouloit que le prince eût une certaine expérience, si l'on craignoit les minorités, s'il falloit prévenir que des eunuques ne plaçassent successivement des enfans sur le trône, on put très-bien établir un pareil ordre de succession: et quand quelques (2) écrivains ont traité ces frères d'usurpateurs, ils ont jugé sur des idées prises des loix de ces pays-ci.

Selon la coutume de Numidie (3), Delsace, frère de Gela, succéda au royaume, non pas Massinisse, son fils. Et encore aujourd'hui (4), chez les Arabes de Barbarie, où chaque village a un chef, on choisit, selon cette ancienne coutume, l'oncle, ou quelque autre parent, pour succéder.

Il y a des monarchies purement électives; et, dès qu'il est clair que l'ordre des successions doit dériver des loix politiques ou civiles, c'est

(1) Liv. II, tit. 14, §. 6, 7 et 8.

(2) Le P. du Halde, sur la seconde dynastie. (3) Tite-Live, décade 3, liv. IX.

à elles à décider dans quels cas la raison veut que cette succession soit déférée aux enfans, et dans quels cas il faut la donner à d'autres.

Dans les pays où la polygamie est établie, le prince a beaucoup d'enfans; le nombre en est plus grand dans des pays que dans d'autres. Il y a des (1) états où l'entretien des enfans du roi seroit impossible au peuple; on a pu y établir que les enfans du roi ne lui succéderoient pas, mais ceux de sa sœur.

Un nombre prodigieux d'enfans exposeroit l'état à d'affreuses guerres civiles. L'ordre de succession qui donne la couronne aux enfans de sa sœur, dont le nombre n'est pas plus grand que ne seroit celui des enfans d'un prince qui n'auroit qu'une seule femme, prévient ces inconvéniens.

Il y a des nations chez lesquelles des raisons d'état, ou quelque maxime de religion, ont demandé qu'une certaine famille fût toujours régnante telle est aux Indes (2) la jalousie de sa caste, et la crainte de n'en point descendre: on y, a pensé que, pour avoir toujours des princes du sang royal, il falloit prendre les enfans de la soeur aînée du roi..

(1) Voyez le recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome IV, part. I, p. 114 et M. Smith, voyage de Guinée, part. II, p. 150, sur le royaume de Juida.

(1) Voyez les lettres édifiantes, quatorzième recueil; et les voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome III, part. II, p. 644.

Maxime

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