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CHAPITRE XI I.

Des loix pénales.

Il faut éviter les loix pénales en fait de religion. Elles impriment de la crainte, il est vrai: mais comme la religion a ses loix pénales aussi qui inspirent de la crainte, l'une est effacée par l'autre. Entre ces deux craintes différentes, les ames deviennent atroces.

La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que lorsqu'elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien, quand on nous l'ôte, et qu'on ne nous ôte rien lorsqu'on nous la laisse.

Ce n'est donc pas en remplissant l'ame de ce grand objet, en l'approchant du moment où il lui doit être d'une plus grande importance, que l'on parvient à l'en détacher: il est plus sûr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l'espérance de la fortune; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d'autres passions agissent sur nos ames, et que celles que la religion inspire sont dans le silence. Règle générale: en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que

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Le caractère de l'esprit humain a paru dans l'ordre même des peines qu'on a employées. Que l'on se rappelle les persécutions du Japon (*); on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'elles n'effarouchent; qui sont plus difficiles à surmonter, parce qu'elles paroissent moins difficiles.

En un mot, l'histoire nous apprend assez que les loix pénales n'ont jamais eu d'effet que comme destruction.

CHAPITRE XI I I.

Très-humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne et de Portugal.

UNE Juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne

au dernier auto-da-fé, donna occasion à ce petit ouvrage; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

L'auteur déclare que, quoiqu'il soit Juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime assez, pour ôter aux princes qui ne sont pas chrétiens un prétexte plausible pour la persé

cuter.

(*) Voyez le recueil des voyages qui ont servi à l'etablissement de la compagnie des Indes, tome V, part. I, p. 192.

« Vous vous plaignez, dit-il aux inquisi»teurs, de ce que l'empereur du Japon fait » brûler à petit feu tous les chrétiens qui sont » dans ses états; mais il vous répondra : nous » vous traitons vous qui ne croyez pas

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» comme nous comme vous traitez vous» mêmes ceux qui ne croient pas comme vous: » vous ne pouvez vous plaindre que de votre » foiblesse, qui vous empêche de nous exter» miner, et qui fait que nous vous exterminons.

» Mais il faut avouer que vous êtes bien plus » cruels que cet empereur. Vous nous faites. >> mourir, nous qui ne croyons que ce que » vous croyez, parce que nous ne croyons pas » tout ce que vous croyez. Nous suivons une <»religion que vous savez vous-mêmes avoir » été autrefois chérie de Dieu: nous pensons » que Dieu l'aime encore, et vous pensez qu'il »ne l'aime plus ; et parce que vous jugez ainsi, » vous faites passer par le fer et par le feu ceux » qui sont dans cette erreur si pardonnable, » de croire que Dieu (*) aime encore ce qu'il a >> aimé.

» Si vous êtes cruels à notre égard, vous » l'êtes bien plus à l'égard de nos enfans; vous » les faites brûler, parce qu'ils suivent les ins>pirations que leur ont données ceux que la » loi naturelle et les loix de tous les peuples

(*) C'est la source de l'aveuglement des Juifs, de ne pas sentir que l'économie de l'évangile est dans l'ordre des desseins de Dieu; et qu'ainsi elle est une suite de son

» leur apprennent à respecter comme des >> Dieux.

»Vous vous privez de l'avantage que vous a » donné sur les Mahométans la manière dont » leur religion s'est établie. Quand ils se vantent > du nombre de leurs fidèles, vous leur dites » que la force les leur a acquis, et qu'ils ont » étendu leur religion par le fer: pourquoi » donc établissez-vous la vôtre par le feu ?

» Quand vous voulez nous faire venir à » vous, nous vous objectons une source dont » vous vous faites gloire de descendre. Vous » nous répondez que votre religion est nou» velle, mais qu'elle est divine; et vous le » prouvez, parce qu'elle s'est accrue par la » persécution des païens et par le sang de vos martyrs mais aujourd'hui vous prenez le » rôle des Diocletiens et vous nous faites

» prendre le vôtre.

Nous vous conjurons, non pas par le Dieu puissant que nous servons, vous et nous, » mais par le christ que vous nous dites avoir » pris la condition humaine pour vous propo»ser des exemples que vous puissiez suivre ; » nous vous conjurons d'agir avec nous comme »il agiroit lui-même s'il étoit encore sur la » terre. Vous voulez que nous soyons chrétiens, ;» et vous ne voulez pas l'être.

» Mais si vous ne voulez pas être chrétiens, » soyez au moins des hommes: traitez-nous » comme vous feriez, si, n'ayant que ces » foibles lueurs de justice que la nature nous

>> donne

≫ donne, vous n'aviez point une religion pour » vous conduire et une révélation pour vous » éclairer.

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» Si le ciel vous a assez aimés pour vous » faire voir la vérité, il vous a fait une grande >> grace: mais est-ce aux enfans qui ont l'héri> tage de leur père, de haïr ceux qui ne l'ont » pas eu?.

>> Que si vous avez cette vérité, ne nous la >> cachez pas par la manière dont vous nous » la proposez. Le caractère de la vérité, c'est » son triomphe sur les cœurs et les esprits, et » non pas cette impuissance que vous avouez » lorsque vous voulez la faire recevoir par des » supplices.

» Si vous êtes raisonnables, vous ne devez » pas nous faire mourir, parce que nous ne » voulons pas vous tromper. Si votre christ » est le fils de Dieu, nous espérons qu'il nous >> récompensera de n'avoir pas voulu profaner » ses mystères; et nous croyons que le Dieu » que nous servons vous et nous " » punira pas de ce que nous avons souffert la » mort pour une religion qu'il nous a autrefois » donnée, parce que nous croyons qu'il nous » l'a encore donnée.

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ne nous

» Vous vivez dans un siècle où la lumière > naturelle est plus vive qu'elle n'a jamais été » où la philosophie a éclairé les esprits, où la » morale de votre évangile a été plus connue, » où les droits respectifs des hommes les uns » sur les autres, l'empire qu'une conscience a

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