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Le soin que les hommes doivent avoir de rendre un culte à la divinité, est bien différent de la magnificence de ce culte.

<< Ne lui offrons point nos trésors, si nous » ne voulons lui faire voir l'estime que nous » faisons des choses qu'elle veut que nous mé>> prisions >>.

«Que doivent penser les dieux des dons des » impies, dit admirablement Platon, puisqu'un homme de bien rougiroit de recevoir » des présens d'un mal-honnête homme » ?

Il ne faut pas que la religion, sous prétexte de dons, exige des peuples ce que les nécessités de l'état leur ont laissé; et, comme dit Platon (*), des hommes chastes et pieux doivent offrir des dons qui leur ressemblent.

Il ne faudroit pas non plus que la religion. encourageât les dépenses des funérailles. Qu'y a-t-il de plus naturel, que d'ôter la différence des fortunes dans une chose et dans les momens qui égalisent toutes les fortunes?

(*) Des loix, liv. III.

J

CHAPITRE VII I.

Du pontificat.

LORSQUE la religion a beaucoup de ministres, il est naturel qu'ils aient un chef, et que le pontificat y soit établi. Dans la monarchie, où l'on ne sauroit trop séparer les ordres de l'état, et où l'on ne doit point assembler sur une même tête toutes les puissances, il est bon que le pontificat soit séparé de l'empire. La même nécessité ne se rencontre pas dans le gouvernement despotique, dont la nature est de réunir sur une même tête tous les pouvoirs. Mais dans ce cas, il pourroit arriver que le prince regarderoit la religion comme ses loix même, et comme des effets de sa volonté. Pour prévenir cet inconvénient, il faut qu'il y ait des monumens de la religion; par exemple, des livres sacrés qui la fixent et qui l'établissent. Le roi de Perse est le chef de la religion; mais l'alcoran règle la religion: l'empereur de la Chine est le souverain pontife; mais il y a des livres qui sont entre les mains de tout le monde auxquels il doit lui-même se conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie.

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De la tolérance en fait de religion.

Νους
Nous sommes ici politiques, et non pas

théologiens et, pour les théologiens même,
il y a bien de la différence entre tolérer une re-
ligion et l'approuver.

Lorsque les loix d'un état ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C'est un principe, que toute religion qui est réprimée, devient elle-même réprimante: car si-tôt que, par quelque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie.

Il est donc utile que les loix exigent de ces diverses religions, non-seulement qu'elles ne troublent pas l'état, mais aussi qu'elles ne se. troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux loix, en se contentant de ne pas agiter le corps de l'état; il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce soit.

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CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

COMME il n'y a guère que les religions in

tolérantes qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres, ne songe guère à sa propagation; ce sera une très-bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement (*) d'une autre.

Voici donc le principe fondamental des loix politiques en fait de religion. Quand on est maître de recevoir dans un état une nouvelle religion, ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer.

(*) Je ne parle point dans tout ce chapitre de la religion chrétienne, parce que, comme je l'ai dit ailleurs, la religión chrétienne est le premier bien. Voyez la fin du chapitre I du livre précédent, et la défense de l'esprit des loix, seconde partie.

CHAPITRE XI

Du changement de religion.

UN prince qui entreprend dans son état de

détruire ou de changer la religion dominante, s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de risque de voir une révolution, que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jamais dans ces sortes d'états une chose nouvelle. La révolution vient de ce qu'un état ne change pas de religion, de moeurs et de manières dans un instant, et aussi vite que le prince publie, l'ordonnance qui établit une religion nouvelle.

De plus, la religion ancienne est liée avec la constitution de l'état, et la nouvelle n'y tient point: celle-là s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus: les citoyens se dégoûtent de leurs loix ; ils prennent du mépris pour le gouvernement déjà établi; on substitue des soupçons contre les deux religions, à une ferme croyance pour une; en un mot, on donne à l'état, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens, et de mauvais fidèles.

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