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CHAPITRE XX II.

Combien il est dangereux que la religion inspire de l'horreur pour des choses indifférentes.

UN

N certain honneur, que des préjugés de religion établissent aux Indes fait que les

diverses castes ont horreur les unes des autres. Cet honneur est uniquement fondé sur la religion; ces distinctions de famille ne forment pas des distinctions civiles: il y a tel Indien qui se croiroit déshonoré, s'il mangeoit avec

son roi.

Ces sortes de distinctions sont liées à une certaine aversion pour les autres hommes, bien différente des sentimens que doivent faire naître les différences des rangs, qui, parmi nous, contiennent l'amour pour les inférieurs.

Les loix de la religion éviteront d'inspirer d'autre mépris que celui du vice, et sur-tout d'éloigner les hommes de l'amour et de la pitié pour les hommes.

La religion mahométane et la religion indienne, ont, dans leur sein, un nombre infini de peuples: les Indiens haïssent les Mahométans, parce qu'ils mangent de la vache; les Mahométans détestent les Indiens, parce qu'ils mangent du cochon.

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CHAPITRE XX II I.

QUAND

Des fêtes.

UAND une religion ordonne la cessation du travail, elle doit avoir égard aux besoins des hommes, plus qu'à la grandeur de l'être qu'elle honore.

C'étoit à Athènes (1) un grand inconvénient que le trop grand nombre de fêtes. Chez ce peuple dominateur, devant qui toutes les villes de la Grèce venoient porter leurs différends, on ne pouvoit suffire aux affaires.

Lorsque Constantin établit que l'on chomeroit le dimanche, il fit cette ordonnance pour les villes (2), et non pour les peuples de la campagne : il sentoit que dans les villes étoient les travaux utiles, et dans les campagnes les travaux nécessaires.

Par la même raison, dans les pays qui se maintiennent par le commerce, le nombre des fêtes doit être relatif à ce commerce même. Les pays protestans et les pays catholiques sont situés (3) de manière que l'on a plus

(1) Xénophon, de la république d'Athènes.

(2) Leg. 3, cod. de feriis. Cette loi n'étoit faite sans doute que pour les païens.

(3) Les catholiques sont plus vers le midi, et les proestans vers le nord.

besoin de travail dans les premiers que dans les seconds la suppression des fêtes convenoit donc plus aux pays protestans qu'aux pays catholiques.

Dampierre (*) remarque que les divertissemens des peuples varient beaucoup selon les climats. Comme les climats chauds produisent quantité de fruits délicats, les Barbares, qui trouvent d'abord le nécessaire, emploient plus de temps à se divertir : les Indiens des pays froids n'ont pas tant de loisir; il faut qu'ils pêchent et chassent continuellement il y a donc chez eux moins de danses, de musique et de festins; et une religion qui s'établiroit chez ces peuples, devroit avoir égard à cela dans l'institution des fêtes.

:

CHAPITRE XXI V.

IL

Des loix de religion locales.

L y a beaucoup de loix locales dans les diverses religions. Et quand Montésuma s'obstinoit tant à dire que la religion des Espagnols étoit bonne pour leur pays, et celle du Mexique pour le sien, il ne disoit pas une absurdité; parce qu'en effet les législateurs n'ont pu s'empêcher d'avoir égard à ce que la nature avoit établi avant eux.

(*) Nouveaux voyages autour du monde, tome II.

L'opinion de la métempsycose est faite pour le climat des Indes. L'excessive chaleur brûle (1) toutes les campagnes; on n'y peut nourrir que très-peu de bétail; on est toujours en danger d'en manquer pour le labourage; les boeufs ne s'y multiplient (2) que médiocrement; ils sont sujets à beaucoup de maladies: une loi de religion qui les conserve, est donc très-convenable à la police du pays.

Pendant que les prairies sont brûlées, le riz et les légumes y croissent heureusement, par les eaux qu'on y peut employer: une loi de religion qui ne permet que cette nourriture, est donc très-utile aux hommes dans ces climats.

La chair (3) des bestiaux n'y a pas de goût; et le lait et le beurre qu'ils en tirent, fait une partie de leur subsistance: la loi qui défend de manger et de tuer des vaches, n'est donc pas déraisonnable aux Indes.

Athènes avoit dans son sein une multitude innombrable de peuple; son territoire étoit stérile: ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offroient aux dieux de certains petits présens, les honoroient (4) plus que ceux qui immoloient des boeufs.

(1) Voyage de Bernier, tome II, p. 137.
(2) Lettres édifiantes, douzième recueil, p. 95.
(3) Voyage de Bernier, tome II, p. 137.
(4) Euripide dans Athénée, liv. II, p. 40.

CHAPITRE XX V.

Inconvénient du transport d'une religion d'un pays à un autre.

IL suit de-là, qu'il y a très-souvent beaucoup d'inconvéniens à transporter une religion (1) d'un pays dans un autre.

« Le cochon, dit (2) M. de Boulainvilliers » doit être très-rare en Arabie, où il n'y a » presque point de bois, et presque rien de » propre à la nourriture de ces animaux; » d'ailleurs, la salure des eaux et des alimens, » rend le peuple très-susceptible des maladies » de la peau ». La loi locale qui le défend, ne sauroit être bonne pour d'autre (3) pays, où le cochon est une nourriture presque universelle, et en quelque façon nécessaire.

Je ferai ici une réflexion, Sanctorius a observé que la chair de cochon que l'on mange şe transpire (4) peu; et que même cette nourriture empêche beaucoup la transpiration des autres alimens: il a trouvé que la diminution alloit à un tiers; on sait d'ailleurs que le défaut

(1) On ne parle point ici de la religion chrétienne, parce que, comme on a dit au liv. XXIV, ch. I, à la fin, la religion chrétienne est le premier bien. (2) Vie de Mahomet.

(3). Comme à la Chine.

(4) Médec. Statiq. sect. 3, aphor. 22.

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