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nant une certaine quantité de bétail, et toute la famille recevoit la satisfaction: chose trèsutile, dit Tacite, (1) parce que les inimitiés sont plus dangereuses chez un peuple libre. Je crois bien que les ministres de la religion, qui avoient tant de crédit parmi eux, entroient dans ces réconciliations.

Chez les Malais (2), où la réconciliation n'est pas établie, celui qui a tué quelqu'un, sûr d'être assassiné par les parens ou les amis du mort, s'abandonne à sa fureur, blesse et tue tout ce qu'il rencontre.

CHAPITRE XVIII.

Comment les loix de la religion ont l'effet des loix civiles.

LES

Es premiers Grecs étoient des petits peuples souvent dispersés, pirates sur la mer, injustes sur la terre, sans politique et sans loix, Les belles actions d'Hercule et de Thésée font voir l'état où se trouvoit ce peuple naissant. Que pouvoit faire la religion, que ce qu'elle donner de l'horreur du meurtre ? Elle

fit pour

(1) De moribus German.

(2) Recueil des voyages qui ont servi a l'établissement de la compagnie des Indes, tome VII, p. 303. Voyez aussi les mémoires du comte du Forbin, et ce qu'il dit sur les

établit qu'un homme, tué par violence (1), étoit d'abord en colère contre le meurtrier, qu'il lui inspiroit du trouble et de la terreur, et vouloit qu'il lui cédât les lieux qu'il avoit fréquentés; on ne pouvoit toucher le criminel, ni converser avec lui, sans être souillé (2) ou intestable; la présence du meurtrier devoit être épargnée à la ville, et il falloit l'expier (3).

CHAPITRE XI X.

Que c'est moins la vérité ou la fausseté d'un dogme, qui le rend utile ou pernicieux aux hommes dans l'état civil, que l'usage ou l'abus que l'on en fait.

Les dogmes les plus vrais et les plus saints, peuvent avoir de très-mauvaises conséquences, lorsqu'on ne les lie pas avec les principes de la société; et au contraire les dogmes les plus faux en peuvent avoir d'admirables, lorsqu'on sait qu'ils se rapportent aux mêmes principes.

La religion de Confucius nie l'immortalité de l'ame; et la secte de Zénon ne la croyoit pas. Qui le diroit? ces deux sectes ont tiré de leurs mauvais principes des conséquences, non pas justes, mais admirables pour la société.

La religion des Tao et des Foë croit l'immor

(1) Platon, des Loix, liv. IX.

(2) Voyez la trag. d'Edipe à Colonne.

(3) Platon, des Loix, liv. IX.

talité

talité de l'ame: mais de ce dogme si saint, ils ont tiré des conséquences affreuses (1).

Presque par tout le monde, et dans tous les temps, l'opinion de l'immortalité de l'ame mal prise, a engagé les femmes, les esclaves, les sujets, les amis, à se tuer, pour aller servir dans l'autre monde l'objet de leur respect ou de leur amour. Cela étoit ainsi dans les Indes occidentales; cela étoit ainsi chez les Danois (2);" et cela est encore aujourd'hui au Japon (3), à Macassar (4), et dans plusieurs autres endroits de la terre.

. Ces coutumes émanent moins directement du dogme de l'immortalité de l'ame, que de celui de la résurrection des corps; d'où l'on a tiré cette conséquence, qu'après la mort un même individu auroit les mêmes besoins, les

(1) Un philosophe Chinois argumente ainsi contre la doctrine de Foë. « Il est dit dans un livre de cette secte, » que notre corps est notre domicile, et l'ame l'hôtesse » immortelle qui y loge: mais si le corps de nos parens » n'est qu'un logement, il est naturel de le regarder avec » le même mépris qu'on a pour un amas de boue et de » terre. N'est-ce pas vouloir arracher du cœur la vertu » de l'amour des parens? Cela porte de même à né"gliger les soins du corps, et à lui refuser la compassion » et l'affection si nécessaires pour sa conservation : ainsi les disciples de Foë se tuent à milliers ». Ouvrage d'un philosophe Chinois, dans le recueil du P. du Halde, tome III, p. 52.

"

(2) Voyez Thomas Bartholin, antiquités Danoises. (3) Relation du Japon, dans le recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes. (4) Mémoires de Forbin,

mêmes sentimens, les mêmes passions. Dans ce point de vue, le dogme de l'immortalité de l'ame affecte prodigieusement les homme's parce que l'idée d'un simple changement de demeure est plus à la portée de notre esprit, et flatte plus notre coeur, que l'idée d'une modification nouvelle.

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Ce n'est pas assez pour une religion d'établir un dogme; il faut encore qu'elle le dirige. C'est ce qu'a fait admirablement bien la religion chrétienne à l'égard des dogmes dont nous parlons: elle nous fait espérer un état que nous croyons, non pas un état que nous sentions ou que nous connoissions: tout, jusqu'à la ré-, surrection des corps, nous mène à des idées spirituelles.

LE

CHAPITRE X X.

Continuation du même sujet.

Les livres (*) sacrés des anciens Perses,

disoient : « Si vous voulez être saint, instruisez » vos enfans, parce que toutes les bonnes ac

tions qu'ils feront vous seront imputées ». Ils conseilloient de se marier de bonne heure ; parce que les enfans seroient comme un pont au jour du jugement, et que ceux qui n'auroient pas d'enfans ne pourroient pas passer. Ces dogmes étoient faux, mais ils étoient très-utiles.

(*) M. Hyde.

CHAPITRE XX I.

De la métempsycose.

LE. dogme de l'immortalité de l'ame se divise en trois branches, celui de l'immortalité pure, celui du simple changement de demeure, celui de la métempsycose; c'est-à-dire, le systême des Chrétiens, le systême des Scythes, le systême des Indiens. Je viens de parler des deux premiers; et je dirai du troisième que, comme il a été bien et mal dirigé, il a aux Indes de bons et de mauvais effets. Comme il donne aux hommes une certaine horreur pour verser le sang, il y a aux Indes très-peu de meurtres; et, quoiqu'on n'y punisse guère de mort, tout le monde y est tranquille.

D'un autre côté, les femmes s'y brûlent à la mort de leurs maris: il n'y a que les innocens qui y souffrent une mort violente.

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