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il y a de la grandeur, le mépris des plaisirs et de la douleur.

Elle seule savoit faire les citoyens ; elle seule faisoit les grands hommes; elle seule faisoit les grands empereurs.

Faites pour un moment abstraction des vérités révélées; cherchez dans toute la nature, et vous n'y trouverez pas de plus grand objet que les Antonins; Julien même, Julien (un suffrage ainsi arraché ne me rendra point complice de son apostasie), non, il n'y a point eu après lui de prince plus digne de gouverner les hommes.

Pendant que les stociens regardoient comme une chose vaine les richesses, les grandeurs humaines, la douleur, les chagrins, les plaisirs, ils n'étoient occupés qu'à travailler au bonheur des hommes, à exercer les devoirs de la société il sembloit qu'ils regardassent cet esprit sacré qu'ils croyoient être en eux-mêmes, comme une espèce de providence favorable qui veilloit sur le genre humain.

Nés pour la société, ils croyoient tous que leur destin étoit de travailler pour elle, d'autant moins à charge, que leurs récompenses étoient toutes dans eux-mêmes; qu'heureux par leur philosophie seule, il sembloit que le seul bonheur des autres pût augmenter le leur.

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Les hommes étant faits pour se conserver pour se nourrir, pour se vêtir, et faire toutes les actions de la société, la religion ne doit pas leur donner une vie trop contemplative (*).

Les Mahométans deviennent spéculatifs par habitude; ils prient cinq fois le jour, et chaque fois il faut qu'ils fassent un acte par lequel ils jettent derrière leur dos tout ce qui appartient à ce monde : cela les forme à la spéculation. Ajoutez à cela cette indifférence pour toutes choses, que donne le dogme d'un destin rigide.

Si, d'ailleurs, d'autres causes concourent à leur inspirer le détachement, comme si lá dureté du gouvernement, si les loix concernant la propriété des terres, donnent un esprit précaire; tout est perdu.

La religion des Guèbres rendit autrefois le royaume de Perse florissant; elle corrigea les mauvais effets du despotisme: la religion mahométane détruit aujourd'hui ce même empire.

(*) C'est l'inconvénient de la doctrine de Foë et de Laockium.

CHAPITRE X I I.

Des pénitences.

IL est bon que les pénitences soient jointes

avec l'idée de travail, non avec l'idée d'oisiveté; avec l'idée d'un bien, non avec l'idée de l'extraordinaire; avec l'idée de frugalité, non avec l'idée d'avarice,

CHAPITRE XIII.

Des crimes inexpiables.

IL paroît, par un passage des livres des pon

tifes, rapporté par Cicéron (1), qu'il y avoit chez les Romains des crimes (2) inexpiables; et c'est là-dessus que Zozime fonde le récit si propre à envenimer les motifs de la conversion de Constantin ; et Julien cette raillerie amère qu'il fait de cette même conversion dans ses Césars.

La religion païenne qui ne défendoit que quelques crimes grossiers, qui arrêtoit la main et abandonnoit le cœur, pouvoit avoir des crimes

(1) Liv. II, des Loix.

(2) Sacrum commissum, quod neque expiari poterit, impiè commissum est; quod expiari poterit publici sacerdotes expianto.

inexpiables: mais une religion qui enveloppe toutes les passions; qui n'est pas plus jalouse des actions que des desirs et des pensées ; qui ne nous tient point attachés par quelques chaînes, mais par un nombre innombrable de fils; qui laisse derrière elle la justice humaine, et con mence une autre justice; qui est faite pour mener sans cesse du repentir à l'amour, et de l'amour au repentir; qui met entre le juge et le criminel un grand médiateur, entre le juste et le médiateur un grand juge; une telle religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais quoiqu'elle donne des craintes et des espérances à tous, elle fait assez sentir que, s'il n'y a point de crime qui, par sa nature, soit inexpiable, toute une vie peut l'être; qu'il seroit très-dangereux de tourmenter sans cesse la miséricorde par de nouveaux crimes et de nouvelles expiations; qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais quittes envers le seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, de combler la mesure, et d'aller jusqu'au terme où la bonté paternelle finit.

CHAPITRE XI V.

Comment la force de la religion s'applique à celle des loix civiles.

COMME la religion et les loix civiles doivent tendre principalement à rendre les hommes bons citoyens, on voit que, lorsqu'une des deux s'écartera de ce but, l'autre y doit tendre davantage : moins la religion sera réprimante, plus les loix civiles doivent réprimer..

Ainsi, au Japon, la religion dominante n'ayant presque point de dogmes et ne proposant point de paradis ni d'enfer, les loix, pour y suppléer, ont été faites avec une sévérité, et exécutées avec une ponctualité extraordinaires.

Lorsque la religion établit le dogme de la nécessité des actions humaines, les peines des loix doivent être plus sévères et la police plus vigilante, pour que les hommes, qui, sans cela, s'abandonneroient eux-mêmes, soient déterminés par ces motifs: mais si la religion établit le dogme de la liberté, c'est autre chose.

De la paresse de l'ame, naît le dogme de la prédestination mahométane; et du dogme de cette prédestination, naît la paresse de l'ame. On a dit: cela est dans les décrets de Dieu, il faut donc rester en repos. Dans un cas pareil, on doit exciter, par les loix, les hommes

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