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CHAPITRE VII,

Du consentement des pères au mariage. LE consentement des pères est fondé sur leur puissance, c'est-à-dire, sur leur droit de propriété; il est encore fondé sur leur amour, sur leur raison, et sur l'incertitude de celle de leurs enfans, que l'âge tient dans l'état d'ignorance, et les passions dans l'état d'ivresse.

Dans les petites républiques ou institutions singulières dont nous avons parlé, il peut y avoir des loix qui donnent aux magistrats une inspection sur les mariages des enfans des citoyens, que la nature avoit déjà donnée aux pères. L'amour du bien public y peut être tel qu'il égale ou surpasse tout autre amour. Ainsi Platon vouloit que les magistrats réglassent les mariages: ainsi les magistrats Lacédémoniens les dirigeoient-ils,

Mais, dans les institutions ordinaires, c'est aux pères à marier leurs enfans; leur prudence à cet égard sera toujours au-dessus de toute autre prudence. La nature donne aux pères un desir de procurer à leurs enfans des successeurs, qu'ils sentent à peine pour eux-mêmes dans les divers degrés de progéniture, ils se voient avancer insensiblement vers l'avenir. Mais que seroit-ce, si la vexation et l'avarice alloient au

point d'usurper l'autorité des pères ? Ecoutons Thomas Gage (*) sur la conduite des Espagnols dans les Indes.

« Pour augmenter le nombre des gens qui » paient le tribut, il faut que tous les Indiens » qui ont quinze ans se marient ; et même on a réglé le temps du mariage des Indiens à » quatorze ans pour les mâles, et à treize pour » les filles. On se fonde sur un canon qui dit, » que la malice peut suppléer à l'âge ». Il vit faire un de ces dénombremens: c'étoit, dit-il, une chose honteuse. Ainsi, dans l'action du monde qui doit être la plus libre, les Indiens sont encore esclaves.

CHAPITRE VIII.

Continuation du même sujet.

sans

EN N Angleterre, les filles abusent souvent de la loi pour se marier à leur fantaisie consulter leurs parens. Je ne sais pas si cet usage n'y pourroit pas être plus toléré qu'ailleurs, par la raison que les loix n'y ayant point établi un célibat monastique, les filles n'y ont d'état à prendre que celui du mariage, et ne peuvent s'y refuser. En France, au contraire, où le monachisme est établi, les filles ont tou

jours la ressource du célibat ; et la loi qui leur ordonne d'attendre le consentement des pères, y pourroit être plus convenable. Dans cette idée, l'usage d'Italie et d'Espagne seroit le moins raisonnable : le monachisme y est établi, et l'on peut s'y marier sans le consentement des pères.

CHAPITRE IX.

Des filles.

,

Les filles, que l'on ne conduit que par le mariage aux plaisirs et à la liberté, qui ont un esprit qui n'ose penser, un cœur qui n'ose sentir, des yeux qui n'osent voir, des oreilles qui n'osent entendre, qui ne se présentent que pour se montrer stupides, condamnées sans relâche à des bagatelles et à des préceptes, sont assez portées au mariage: ce sont les garçons qu'il faut encourager.

CHAPITRE

CHAPITRE X.

Ce qui détermine au mariage.

PAR-TOUT où il se trouve une place où deux personnes peuvent vivre com modément, il se fait un mariage. La nature y porte assez lorsqu'elle n'est point arrêtée par la difficulté

de la subsistance.

Les peuples naissans se multiplient et croissent beaucoup. Ce seroit chez eux une grande incommodité de vivre dans le célibat: ce n'en est point une d'avoir beaucoup d'enfans. Le contraire arrive lorsque la nation est formée.

CHAPITRE XI.

De la dureté du gouvernement.

ES gens qui n'ont absolument rien, comme les mendians, ont beaucoup d'enfans. C'est qu'ils sont dans le cas des peuples naissans: il n'en coûte rien au père pour donner son art à ses enfans, qui même sont en naissant des instrumens de cet art. Ces gens, dans un pays riche ou superstitieux, se multiplient, parce qu'ils n'ont pas les charges de la société, mais sont

eux-mêmes les charges de la société. Mais les gens qui ne sont pauvres que parce qu'ils vivent dans un gouvernement dur, qui regardent leur champ moins comme le fondement de leur subsistance que comme un prétexte à la vexation; ces gens-là, dis-je, font peu d'enfans: ils n'ont pas même leur nourriture; comment pourroient-ils songer à la partager? Ils ne peuvent se soigner dans leurs maladies; comment pourroient-ils élever des créatures qui sont dans une maladie continuelle, qui est l'enfance?

C'est la facilité de parler, et l'impuissance d'examiner, qui ont fait dire que plus les sujets étoient pauvres, plus les familles étoient nombreuses; que plus on étoit chargé d'impôts, plus on se mettoit en état de les payer: deux sophismes qui ont toujours perdu, et qui perdront à jamais les monarchies.

La dureté du gouvernement peut aller jusqu'à détruire les sentimens naturels, par les sentimens naturels même. Les femmes de l'Amérique (*) ne se faisoient-elles pas avorter, pour que leurs enfans n'eussent pas des maîtres aussi cruels?

(*) Relation de Thomas Gage, p. 58.

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