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le négoce, les laboureurs et artisans, enfin les rentiers de l'état ou des particuliers. De cesquatre classes, la dernière, dans un cas de nécessité, sembleroit devoir être la moins ménagée; parce que c'est une classe entiérement passive dans l'état, tandis que ce même état est soutenu par la force active des trois autres. Mais, comme on ne peut la charger plus, sans détruire la confiance publique, dont l'état en général, et ces trois classes en particulier, ont un souverain besoin; comme la foi publique ne peut manquer à un certain nombre de citoyens, sans paroître manquer à tous; comme la classe des créanciers est toujours la plus exposée aux projets des ministres, et qu'elle est toujours sous les yeux et sous la main, il faut que l'état lui accorde une singulière protection, et que la partie débitrice n'ait jamais le moindre avantage sur celle qui est dréancière.i-gee

CHAPITRE XIX.

Des prêts à intérêt.m

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L'ARGENT ARGENT est le signe des valeurs. Il est clair que celui qui a besoin de ce signe, doit le louer, comme il fait toutes les choses dont il peut avoir besoin. Toute la différence est que les autres choses peuvent ou se louer, ou,

s'acheter; au lieu que l'argent, qui est le prix des choses, se loue et ne s'achète pas (*).

C'est bien une action très-bonne de prêter à un autre son argent sans intérêt, mais on sent que ce ne peut être qu'un conseil de religion, et non une loi civile.

Pour que le commerce puisse se bien faire, il faut que l'argent ait un prix, mais que ce prix soit peu considérable. S'il est trop haut, le négociant, qui voit qu'il lui en coûteroit plus en intérêts qu'il ne pourroit gagner dans son commerce, n'entreprend rien; si l'argent n'a point de prix, personne n'en prête, et le négociant n'entreprend rien non plus.

Je me trompe, quand je dis que personne n'en prête. Il faut toujours que les affaires de la société aillent; l'usure s'établit, mais avec les désordres que l'on a éprouvés dans tous les ISA! temps.

La loi de Mahomet confond l'usure avec le prêt à intérêt. L'usure augmente dans les pays Mahométans à proportion de la sévérité de la défense: le prêteur s'indemnise du péril de la contravention.

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Dans ces pays d'Orient, la plupart des hommes n'ont rien d'assuré; il n'y a presque point de rapport entre la possession actuelle d'une somme, et l'espérance de la ravoir après l'avoir prêtée : l'usure y augmente donc à proportion du péril de l'insolvabilité.

(*) On ne parle point des cas où l'or et l'argent sont

CHAPITRE XX.

Des usures maritimes.

LA grandeur de l'usure maritime est fondée

sur deux choses; le péril de la mer, qui fait qu'on ne s'expose à prêter son argent que pour en avoir beaucoup davantage; et la facilité que le commerce donne à l'emprunteur de faire promptement de grandes affaires, et en grand nombre: au lieu que les usures de terre, n'étant fondées sur aucune de ces deux raisons, sont ou proscrites par les législateurs, ou, ce qui est plus sensé, réduites à de justes bornes.

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Du prêt par contrat, et de l'usure chez les Romains.

Ou UTRE le prêt fait pour le commerce, il y a encore une espèce de prêt fait par un contrat civil, d'où résulte un intérêt ou usure.

Le peuple, chez les Romains, augmentant tous les jours sa puissance, les magistrats cherchèrent à le flatter, et à lui faire faire les loix qui lui étoient les plus agréables. Il retran cha les capitaux; il diminua les intérêts; il défendit d'en prendre; il ôtą les contraintes par corps; enfin l'abolition des dettes fut mise en

question toutes les fois qu'un tribun voulut se rendre populaire.

Ces continuels changemens, soit par des loix, soit par des plébiscites, naturalisèrent à Rome l'usure; car les créanciers voyant le peuple leur débiteur, leur législateur et leur juge, n'eurent plus de confiance dans les contrats. Le peuple, comme un débiteur décrédité, ne tentoit à emprunter que par de gros profits; d'autant plus que, si les loix ne venoient que de temps en temps, les plaintes du peuple étoient continuelles et intimidoient toujours les créanciers. Cela fit que tous les moyens honnêtes de prêter et d'emprunter furent abolis à Rome, et qu'une usure affreuse toujours foudroyée (*) et toujours renaissante, s'y établit. Le mal venoit de ce que les choses n'avoient pas été ménagées. Les loix extrêmes dans le bien font naître le mal extrême: il fallut payer pour le prêt de l'argent, et pour le danger des peines de la loi.

(*) Tacite, Annal. liv. VI.

CHAPITRE

X X I I.

Continuation du même sujet.

Les premiers Romains n'eurent point de

loix pour régler le taux de (1) l'usure. Dans les démêlés qui se formèrent là-dessus entre les plébéiens et les patriciens, dans la sédition (2) même du mont sacré, on n'allégua d'un côté que la foi, et de l'autre, que la dureté des

contrats.

On suivoit donc les conventions particulières; et je crois que les plus ordinaires étoient de douze pour cent par an. Ma raison est que, dans le langage (3) ancien chez les Romains P'intérêt à six pour cent étoit appellé la moitié de l'usure, l'intérêt à trois pour cent le quart de l'usure: l'usure totale étoit donc l'intérêt à douze pour cent.

Que si l'on demande comment de si grosses usures avoient pu s'établir chez un peuple qui étoit presque sans commerce, je dirai que ce

(1) Usure et intérêt signifioient la même chose chez les Romains.

(2) Voyez Denys d'Halicarnasse qui l'a si bien décrit. (3) Usuræ semisses, trientes, quadrantes. Voyez là'dessus les divers traités du Digeste et du code de usuris ; et sur-tout la loi XVII, avec sa note, au ff. de usuris.

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