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Ils (1) inventèrent les lettres-de-change: et, par ce moyen, le commerce put éluder la violence, et se maintenir par-tout; le négociant le plus riche n'ayant que des biens invisibles, qui pouvoient être envoyés par-tout, et ne laissoient de trace nulle part.

Les théologiens furent obligés de restreindre leurs principes ; et le commerce, qu'on avoit violemment lié avec la mauvaise foi, rentra, pour ainsi dire, dans le sein de la probité.

Ainsi nous devons aux spéculations des scholastiques, tous les malheurs (2) qui ont accompagné la destruction du commerce; et, à l'avarice des princes, l'établissement d'une chose qui le met en quelque façon hors de leur pouvoir.

Il a fallu, depuis ce temps, que les princes se gouvernassent avec plus de sagesse qu'ils n'auroient eux-mêmes pensé : car, par l'événement, les grands coups d'autorité se sont trouvés si mal-adroits', que c'est une expérience reconnue, qu'il n'y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité.

(1) On sait que, sous Philippe-Auguste et sous Philippe-le-Long, les Juifs, chassés de France, se refugièrent en Lombardie, et que là ils donnèrent aux négocians étrangers, et aux voyageurs des lettres secrètes sur ceux à qui ils avoient confié leurs effets en France, qui furent acquittées,

(2) Voyez, dans le corps du droit, la quatre-vingttroisième novelle de Léon, qui révoque la loi de Basile son père. Cette loi de Basile est dans Herménopule, sous le nom de Léon, liv. III, tit. 7, §. 27.

On a commencé à se guérir du Machiavélisme, et on s'en guérira tous les jours. Il faut plus de modération dans les conseils. Ce qu'on appelloit autrefois des coups d'état, ne seroit aujourd'hui, indépendamment de l'horreur, que des imprudences.

Et il est heureux pour les hommes d'être dans une situation cù, pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d'être méchans, ils ont pourtant intérêt de ne pas l'être.

CHAPITRE X X I.

Découverte de deux nouveaux mondes: état de l'Europe à cet égard.

LA boussole ouvrit, pour ainsi dire, l'uni

vers. On trouva l'Asie et l'Afrique dont on ne connoissoit que quelques bords, et l'Amérique dont on ne connoissoit rien du tout.

Les Portugais, navigeant sur l'Océan atlantique, découvrirent la pointe la plus méridionale de l'Afrique: ils virent une vaste mer; elle les porta aux Indes orientales. Leurs périls sur cette mer, et la découverte de Mozambique, de Mélinde et de Calicut, ont été chantés par le Camoëns, dont le poëme fait sentir quelque chose des charmes de l'Odyssée et de la magnificence de l'Enéide.

Les Vénitiens avoient fait jusques-là le commerce des Indes par les pays des Turcs, et

l'avoient poursuivi au milieu des avanies et des outrages. Par la découverte du cap de BonneEspérance, et celle qu'on fit quelque temps après, l'Italie ne fut plus au centre du monde commerçant; elle fut, pour ainsi dire, dans un coin de l'univers, et elle y est encore. Le commerce même du Levant dépendant aujourd'hui de celui que les grandes nations font aux deux Indes, l'Italie ne le fait plus qu'accessoi

rement.

Les Portugais trafiquèrent aux Indes en conquérans les loix gênantes (*) que les Hollandois imposent aujourd'hui aux petits princes Indiens sur le commerce, les Portugais les avoient établies avant eux.

La fortune de la maison d'Autriche fut prodigieuse. Charles-Quint recueillit la succession de Bourgogne, de Castille et d'Aragon; il parvint à l'empire; et, pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l'univers s'étendit, et l'on vit paroître un monde nouveau sous son obéissance.

Christophe Colomb découvrit l'Amérique; et, quoique l'Espagne n'y envoyât point de forces qu'un petit prince de l'Europe n'eût pu y envoyer tout de même, elle soumit deux grands empires et d'autres grands états.

Pendant que les Espagnols découvroient et conquéroient du côté de l'Occident, les Portu

(*) Voyez la relation de François Pyrard, part. II chap. XV.

gais poussoient leurs conquêtes et leurs décotvertes du côté de l'Orient: ces deux nations se rencontrèrent; elles eurent recours au Pape Alexandre VI, qui fit la célèbre ligne de démarcation, et jugea un grand procès.

Mais les autres nations de l'Europe ne les laissèrent pas jouir tranquillement de leur partage: les Hollandois chassèrent les Portugais. de presque toutes les Indes orientales et diverses nations firent en Amérique des établissemens.

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Les Espagnols regardèrent d'abord les terres découvertes comme des objets de conquête : des peuples plus raffinés qu'eux trouvèrent qu'elles étoient des objets de commerce, et c'est là-dessus qu'ils dirigèrent leurs vues. Plusieurs peuples se sont conduits avec tant de sagesse, qu'ils ont donné l'empire à des compagnies de négocians, qui, gouvernant ces états éloignés uniquement pour le négoce, ont fait une grande puissance accessoire sans embarrasser l'état principal.

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Les colonies qu'on a formées, sont sous un genre de dépendance dont on ne trouve que peu d'exemples dans les colonies anciennes, soit que celles d'aujourd'hui relèvent de l'état même, ou de quelque compagnie commerçante établie dans cet état.

L'objet de ces colonies est de faire le commerce à de meilleures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi

que la métropole seule pourroit négocier dans la colonie; et cela avec grande raison, parce que le but de l'établissement a été l'extension du commerce, non la fondation d'une ville qu d'un nouvel empire.

Ainsi, c'est encore une loi fondamentale de l'Europe, que tout commerce avec une colonie étrangère, est regardé comme un pur monopole punissable par les loix du pays: et il ne faut pas juger de cela par les loix et les exemples des anciens (1) peuples, qui n'y sont guère applicables.

Il est encore reçu que le commerce établi entre les métropoles, n'entraîne point une permission pour les colonies, qui restent tou jours en état de prohibition.

Le désavantage des colonies qui perdent la liberté du commerce, est visiblement compensé par la protection de la métropole (2), qui la défend par ses armes, ou la maintient par ses loix.

De-là suit une troisième loi de l'Europe, que, quand le commerce étranger est défendu avec la colonie, on ne peut naviger dans ses mers, que dans les cas établis par les traités.

Les nations, qui sont à l'égard de tout l'univers ce que les particuliers sont dans un état, se gouvernent comme eux par le droit naturel

(1) Excepté les Carthaginois, comme on voit par le traité qui termina la première guerre punique. (2) Métropole est, dans le langage des anciens, l'état qui a fondé la colonie.

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