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CHAPITRE XIII.

Du génie des Romains pour la marine.

LES Romains ne faisoient cas que

des troupes

de terre, dont l'esprit étoit de rester toujours ferme, de combattre au même lieu, et d'y mourir. Ils ne pouvoient estimer la pratique des gens de mer, qui se présentent au combat, fuient, reviennent, évitent toujours le danger, emploient la ruse, rarement la force. Tout cela n'étoit point du génie des Grecs (1), et étoit encore moins de celui des Romains.

Ils ne destinoient donc à la marine que ceux qui n'étoient pas des citoyens assez considérables (2) pour avoir place dans les légions : les gens de mer étoient ordinairement des affranchis.

Nous n'avons aujourd'hui ni la même estime pour les troupes de terre, ni le même mépris pour celles de mer. Chez les premieres (3) l'art est diminué; chez les secondes (4) il est augmenté or on estime les choses à proportion du degré de suffisance qui est requis pour -les bien faire. al

(1) Comme l'a remarqué Platon, liv. IV des Loix. (2) Polybe, liv. V.

(3) Voyez les considérations sur les causes de la grandeur des Romains, &c.

(4) Ibid.

CHAPITRE

XI V.

Du génie des Romains pour le commerce.

ON n'a jamais remarqué aux Romains de jalousie sur le commerce. Ce fut comme nation rivale, et non comme nation commerçante, qu'ils attaquèrent Carthage. Ils favorisèrent les villes qui faisoient le commerce, quoiqu'elles ne fussent pas sujettes ainsi ils augmentèrent, par la cession de plusieurs pays, la puissance de Marseille. Ils craignoient tout des barbares, et rien d'un peuple négociant. D'ailleurs, leur génie, leur gloire, leur édu cation militaire, la forme de leur gouvernement, les éloignoient du commerce.

Dans la ville, on n'étoit occupé que de guerres, d'élections, de brigues et de procès; à la campagne, que d'agriculture; et dans les provinces, un gouvernement dur et tyrannique étoit incompatible avec le commerce.

Que si leur constitution politique y étoit opposée, leur droit des gens n'y répugnoit pas moins. « Les peuples, dit le jurisconsulte Pom»ponius (*), avec lesquels nous n'avons ni » amitié, ni hospitalité, ni alliance, ne sont » point nos ennemis : cependant, si une chose >> qui nous appartient tombe entre leurs mains,

(*) Leg. V, §. 2, ff. de captivis.

» ils en sont propriétaires, les hommes libres » deviennent leurs esclaves; et ils sont dans » les mêmes termes à notre égard ».

Leur droit civil n'étoit pas moins accablant. La loi de Constantin, après avoir déclaré bâtards les enfans des personnes viles qui se sont mariées avec celles d'une condition relevée confond les femmes qui ont une boutique (*) de marchandises avec les esclaves, les cabaretières, les femmes de théâtre, les filles d'un homme qui tient un lieu de prostitution, ou qui a été condamné à combattre sur l'arène. Ceci descendoit des anciennes institutions des Romains.

Je sais bien que des gens pleins de ces deux idées, l'une, que le commerce est la chose du monde la plus utile à un état, et l'autre, que les Romains avoient la meilleure police du monde, ont cru qu'ils avoient beaucoup encouragé et honoré le commerce: mais la vérité est qu'ils y ont rarement pensé.

(*) Quæ mercimoniis publicè præfuit. Leg. I, cod. de natural. liberis.

*

CHAPITRE X V.

Commerce des Romains avec les Barbares.

LES Romains avoient fait de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, un vaste empire la foiblesse des peuples et la tyrannie du commandement unirent toutes les parties de ce corps immense. Pour lors, la politique romaine fut de se séparer de toutes les nations qui n'avoient pas été assujetties: la crainte de leur porter l'art de vaincre, fit négliger l'art de s'enrichir. Ils firent des loix pour empêcher tout commerce avec les Barbares. « Que per» sonne, disent (1) Valens et Gratien, n'envoie » du vin, de l'huile ou d'autres liqueurs aux » Barbares, même pour en goûter. Qu'on ne » leur porte point de l'or (2), ajoutent Gra» cien, Valentinien et Théodose, et que même » ce qu'ils en ont, on le leur ôte avec finesse ». Le transport du fer fut défendu sous peine de la vie (3).

Domitien, prince timide, fit arracher les vignes dans la Gaule (4), de crainte sans doute que cette liqueur n'y attirât les Barbares,

(1) Leg. ad Barbaricum, cod. quæ res exportari non debeant.

(2) Leg. II, cod. de commerc. et mercator. (3) Ibid.

(4) Procope, guerre des Perses, liv. I.

comme elle les avoit autrefois attirés en Italie. Probus et Julien, qui ne les redoutèrent jamais, en rétablirent la plantation.

Je sais bien que, dans la foiblesse de l'empire, les Barbares obligèrent les Romains d'établir des étapes (1), et de commercer avec eux. Mais cela même prouve que l'esprit des Romains étoit de ne pas commercer.

CHAPITRE XV I.

Du commerce des Romains avec l'Arabie et les Indes.

LE

E négoce de l'Arabie-heureuse et celui des Indes furent les deux branches, et presque les seules, du commerce extérieur. Les Arabes avoient de grandes richesses : ils les tiroient de leurs mers et de leurs forêts; et, comme ils achetoient peu, et vendoient beaucoup, ils attiroient (2) à eux l'or et l'argent de leurs voisins. Augufte (3) connut leur opulence, et il résolut de les avoir pour amis, ou pour ennemis. Il fit passer Elius Gallus d'Egypte en Arabie. Celui-ci trouva des peuples oisifs, tranquilles et peu aguerris. Il donna des ba tailles, fit des sièges, et ne perdit que sept

(1) Voyez les considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.

(2) Pline, livre VII, chapitre XXVIII; et Strabon, liv. XVI.

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