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chercha, il fouilla par-tout; il citoit toujours et ne trouvoit rien.

Les Carthaginois, maîtres du commerce de l'or et de l'argent, voulurent l'être encore de celui du plomb et de l'étain. Ces métaux étoient voiturés par terre, depuis les ports de la Gaule sur l'Océan, jusqu'à ceux de la Méditerranée. Les Carthaginois voulurent les recevoir de la première main; il envoyèrent Himilcon, pour former (1) des établissemens dans les isles Cassitérides, qu'on croit être celles de Silley.

Ces voyages de la Bétique en Angleterre, ont fait penser à quelques gens que les Carthaginois avoient la boussole: mais il est clair qu'ils suiyoient les côtes. Je n'en veux d'autre preuve que ce que dit Himilcon, qui demeura quatre mois à aller de l'embouchure du Bétis en Angleterre : outre que la fameuse (2) histoire de ce pilote Carthaginois, qui, voyant venir un vaisseau romain, se fit échouer pour ne lui pas apprendre la route d'Angleterre (3) fait voir que ces vaisseaux étoient très-près des côtes lorsqu'ils se rencontrèrent.

Les anciens pourroient avoir fait des voyages de mer qui feroient penser qu'ils avoient la boussole, quoiqu'ils ne l'eussent pas. Si un pilotę s'étoit éloigné des côtes, et que pendant son voyage, il eût eu un temps serein, que la nuit

(1) Voyez Festus Avienus.

(2) Strabon, liv. III, sur la fin.

il eût toujours vu une étoile polaire et le jour le lever et le coucher du soleil; il est clair qu'il auroit pu se conduire comme on fait aujourd'hui par la boussole: mais ce seroit un cas fortuit, et non pas une navigation réglée. On voit, dans le traité qui finit la première guerre punique, que Carthage fut principalement attentive à se conserver l'empire de la mer, et Rome à garder celui de la terre. Hannon (1), dans la négociation avec les Romains, déclara qu'il ne souffriroit pas seu lement qu'ils se lavassent les mains dans les mers de Sicile; il ne leur fut pas permis de naviger au-delà du beau promontoire; il leur fut défendu (2) de trafiquer en Sicile (3), en Sardaigne, en Afrique, excepté à Carthage : exception qui fait voir qu'on ne leur y préparoit pas un commerce avantageux.

Il y eut, dans les premiers temps, de grandes guerres entre Carthage et Marseille (4) au sujet de la pêche. Après la paix, ils firent concurremment le commerce d'économie. Mar seille fut d'autant plus jalouse, qu'égalant sa rivale en industrie, elle lui étoit devenue inférieure en puissance: voilà la raison de cette grande fidélité pour les Romains. La guerre que

(1) Tite-Live, supplément de Freinshemius, seconde décade, liv. VI.

(2) Polybe, liv. III.

(3) Dans la partie sujette aux Carthaginois. (4) Justin, liv. XLIII, chap. V.

ceux-ci

ceux-ci firent contre les Carthaginois en Espagne, fut une source de richesses pour Marseille, qui servoit d'entrepôt. La ruine de Carthage et de Corinthe augmenta encore la gloire de Marseille; et, sans les guerres civiles, où il falloit fermer les yeux et prendre un parti, elle auroit été heureuse sous la protection des Romains, qui n'avoient aucune jalousie de son

commerce.

CHAPITRE XI I.

Isle de Délos. Mithridate.

CORINTHE ORINTHE ayant été détruite par les Romains, les marchands se retirèrent à Délos: la religion et la vénération des peuples faisoient regarder cette isle comme un lieu de sûreté (1): de plus, elle étoit très-bien située pour le commerce de l'Italie et de l'Asie, qui, depuis l'anéantissement de l'Afrique et l'affoiblissement de la Grèce, étoit devenu plus important.

Dès les premiers temps, les Grecs envoyèrent, comme nous avons dit, des colonies sur la Propontide et le Pont-Euxin: elles conser vèrent, sous les Perses', leurs loix et leur liberté. Alexandre, qui n'étoit parti que contre les Barbares, ne les attaqua pas (2). Il ne

(1) Strabon, liv. X.

(2) Il confirma la liberté de la ville d'Amise, colonie athénienne, qui avoit joui de l'état populaire, même

paroît pas même que les rois de Pont, qui én occupèrent plusieurs, leur eussent ( 1 ) ôté leur gouvernement politique.

La puissance (2) de ces rois augmenta, si-tôt qu'ils les eurent soumises. Mithridate se trouva en état d'acheter par-tout des troupes; de réparer (3) continuellement ses pertes; d'avoir des ouvriers, des vaisseaux, des machines de guerre; de se procurer des alliés ; de corrompre ceux des Romains, et les Romains même; de soudoyer (4) les barbares de l'Asie et de l'Europe; et de faire la guerre long-temps, et par conséquent de discipliner ses troupes: il put les armer, et les instruire dans l'art militaire (5) des Romains, et former des corps considérables de leurs transfuges : enfin, il put faire de grandes pertes, et souffrir de grands échecs, sans périr: et il n'auroit point péri, si, dans les prospérités, le roi voluptueux et

sous les rois de Perse. Lucullus, qui prit Sinope et Amise, leur rendit la liberté, et rappella les habitans qui s'étoient enfuis sur leurs vaisseaux.

(1) Voyez ce qu'écrit Appien sur les Phanagoréens, les Amisiens, les Synopiens, dans son livre de la guerre contre Mithridate.

(2) Voyez Appien, sur les trésors immenses que Mithridate employa dans ses guerres, ceux qu'il avoit cachés, ceux qu'il perdit si souvent par la trahison des siens, ceux qu'on trouva après sa mort.

(3) Il perdit une fois 170000 hommes, et de nouveiles armées reparurent d'abord.

(4) Voyez Appien, de la guerre contre Mithridate. (5) Ibid.

barbare n'avoit pas détruit ce que, dans la mauvaise fortune, avoit fait le grand prince.

C'est ainsi que, dans le temps que les Romains étoient au comble de la grandeur, et qu'ils sembloient n'avoir à craindre qu'eux-mêmes, Mithridate remit en question ce que la prise de Carthage, les défaites de Philippe, d'Anthiochus et de Persée avoient décidé. Jamais guerre ne fut plus funeste: et les deux partis ayant une grande puissance et des avantages mutuels, les peuples de la Grèce et de l'Asie furent détruits, ou comme amis de Mithridate, ou comme ses ennemis. Délos fut enveloppée dans le malheur commun. Le commerce tomba de toutes parts; il falloit bien qu'il fût détruit, les peuples même l'étoient.

Les Romains, suivant un systême dont j'ai parlé ailleurs (*), destructeurs, pour ne pas paroître conquérans, ruinèrent Carthage et Corinthe; et, par une telle pratique, ils se seroient peut-être perdus, s'ils n'avoient pas conquis toute la terre. Quand les rois de Pont se rendirent maîtres des colonies Grecques du Pont-Euxin, ils n'eurent garde de détruire ce qui devoit être la cause de leur grandeur.

(*) Dans les considérations sur les causes de la grandeur des Romains.

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