Page images
PDF
EPUB

romains, qui étoient de bois, et joints avec du fer.

On peut comparer ces navires des Indes à ceux de quelques nations d'aujourd'hui, dont les ports ont peu de fond; tels sont ceux de Venise, et même en général de l'Italie (1), de la mer Baltique, et de la province de Hollande (2). Leurs navires, qui doivent en sortir et y rentrer, sont d'une fabrique ronde et large de fond; au lieu que les navires d'autres nations qui ont de bons ports, sont par le bas d'une forme qui les fait entrer profondément dans l'eau. Cette méchanique fait que ces derniers navires navigent plus près du vent, et que les premiers ne navigent presque que quand ils ont le vent en pouppe. Un navire qui entre beaucoup dans l'eau, navige vers le même côté à presque tous les vents, ce qui vient de la résistance que trouve dans l'eau le vaisseau poussé par le vent, qui fait un point d'appui, et de la forme longue du vaisseau qui est présenté au vent par son côté, pendant que, par l'effet de la figure du gouvernail, on tourne la proue vers le côté que l'on se propose; ensorte qu'on peut aller très-près du vent, c'est-à-dire, très-près du côté d'où vient le vent. Mais quand le navire est d'une figure

(1) Elle n'a presque que des rades: mais la Sicile a de très-bons ports.

(2) Je dis de la province de Hollande; car les ports de celle de Zélande sont assez profonds.

ronde et large de fond, et que par conséquent il enfonce peu dans l'eau, il n'y a plus de point d'appui; le vent chasse le vaisseau, qui ne peut résister, ni guère aller que du côté opposé au vent. D'où il suit que les vaisseaux d'une construction ronde de fond, sont plus lents dans leurs voyages: 1°. ils perdent beaucoup de temps à attendre le vent, sur-tout s'ils sont obligés de changer souvent de direction; 2o. ils vont plus lentement, parce que, n'ayant pas de point d'appui, ils ne sauroient porter autant de voiles que les autres. Que si, dans un temps où là marine s'est si fort perfectionnée; dans un temps où les arts se communiquent ; dans un temps où l'on corrige par l'art, et les défauts de la nature, et les défauts de l'art même; on sent ces différences, que devoit-ce être dans la marine des anciens ?

Je ne saurois quitter ce sujet. Les navires des Indes étoient petits, et ceux des Grecs et des Romains, si l'on en excepte ces machines que l'ostentation fit faire, étoient moins grands que les nôtres. Or, plus un navire est petit, plus il est en danger dans les gros temps. Telle tempête submerge un navire, qui ne feroit que le tourmenter s'il étoit plus grand. Plus un corps en surpasse un autre en grandeur, plus sa surface est relativement petite: d'où il suit que dans un petit navire il y a une moindre raison, c'est-à-dire, une plus grande différence de la surface du navire au poids ou à la charge qu'il peut porter, que dans un grand. On sait

que, par une pratique à-peu-près générale, on met dans un navire une charge d'un poids égal à celui de la moitié de l'eau qu'il pourroit contenir. Supposons qu'un navire tînt huit cent tonneaux d'eau, sa charge seroit de quatre cent tonneaux; celle d'un navire qui ne tiendroit que quatre cent tonneaux d'eau, seroit de deux cent tonneaux. Ainsi la grandeur du premier navire seroit, au poids qu'il porteroit, comme 8 est à 4; et celle du second, comme 4 est à 2. Supposons que la surface du grand soit, à la surface du petit, comme 8 est à 6; la surface (*) de celui-ci sera, à son poids, comme 6 est à 2; tandis que la surface de celui-là ne sera, à son poids, que comme 8 est à 4; et les vents et les flots n'agissant que sur la surface, le grand vaisseau résistera plus par son poids à leur impétuosité, que le petit.

CHAPITRE VI I.

Du commerce des Grecs.

LES premiers Grecs étoient tous pirates. Minos, qui avoit eu l'empire de la mer, n'avoit eu peut-être que de plus grands succès dans les brigandages: son empire étoit borné aux

(*) C'est-à-dire, pour comparer les grandeurs de même genre: l'action ou la prise du fluide sur le navire, sera, à la résistance du même navire, comme, &c.

environs de son isle. Mais, lorsque les Grecs devinrent un grand peuple, les Athéniens obtinrent le véritable empire de la mer, parce que cette nation commerçante et victorieuse donna la loi au monarque (1) le plus puissant d'alors, et abattit les forces maritimes de la Syrie, de l'isle de Chypre et de la Phénicie.

Il faut que je parle de cet empire de la mer qu'eut Athènes. « Athènes, dit Xénophon (2), a l'empire de la mer: mais comme l'Attique » tient à la terre, les ennemis la ravagent, » tandis qu'elle fait ses expéditions au loin. >> Les principaux laissent détruire leurs terres, » et mettent leurs biens en sûreté dans quelque »isle: la populace, qui n'a point de terre, » vit sans aucune inquiétude. Mais si les Athé» niens habitoient une isle, et avoient outre » cela l'empire de la mer, ils auroient le pou» voir de nuire aux autres sans qu'on pût leur » nuire, tandis qu'ils seroient les maîtres de » la mer ». Vous diriez que Xénophon a voulu parler de l'Angleterre.

Athènes remplie de projets de gloire; Athènes qui augmentoit la jalousie, au lieu d'augmenter l'influence; plus attentive à étendre son empire maritime, qu'à en jouir; avec un tel gouvernement politique, que le bas peuple se distribuoit les revenus publics, tandis que les riches étoient dans l'oppression; ne fit point ce

(1) Le roi de Perse. (2) De republ. athen.

grand commerce que lui promettoient le travail de ses mines, la multitude de ses esclaves, le nombre de ses gens de mer, son autorité sur les villes grecques, et plus que tout cela, les belles institutions de Solon. Son négoce fut presque borné à la Grèce et au Pont-Euxin, d'où elle tira sa subsistance.

Corinthe fut admirablement bien située : elle sépara deux mers; ouvrit et ferma le Péloponnèse, et ouvrit et ferma la Grèce. Elle fut une ville de la plus grande importance, dans un temps où le peuple Grec étoit un monde, et les villes grecques des nations elle fit un plus grand commerce qu'Athènes. Elle avoit un port pour recevoir les marchandises d'Asie; elle en avoit un autre pour recevoir celles d'Italie: car, comme il y avoit de grandes difficultés à tourner le promontoire Malée, où des vents (*) opposés se rencontrent et causent des naufrages, on aimoit mieux aller à Corinthe, et l'on pouvoit même faire passer par terre les vaisseaux d'une mer à l'autre. Dans aucune ville on ne porta si loin les ouvrages de l'art. La religion acheva de corrompre ce que son opulence lui avoit laissé de moeurs. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtisanes furent consacrées. C'est de ce séminaire que sortirent la plupart de ces beautés célèbres dont Athénée a osé écrire l'histoire.

Il paroît que, du temps d'Homère, l'opulence

(*) Voyez Strabon, liv. VIII,

« PreviousContinue »