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C'est le peuple du monde qui a le mieux su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses, la religion, le commerce et la liberté.

CHAPITRE

VII I.

Comment on a gêné quelquefois le commerce d'économie.

ON a fait, dans de certaines monarchies, des loix très-propres à abaisser les états qui font le commerce d'économie. On leur a défendu d'ap porter d'autres marchandises, que celles du crû de leur pays: on ne leur a permis de venir trafiquer, qu'avec des navires de la fabrique pays d'où ils viennent.

du

Il faut que l'état qui impose ces loix puisse aisément faire lui-même le commerce: sans cela, il se fera pour le moins un tort égal. Il vaut mieux avoir affaire à une nation qui exige peu et que les besoins du commerce rendent en quelque façon dépendante; à une nation qui, par l'étendue de ses vues ou de ses affaires sait où placer toutes les marchandises superflues; qui est riche, et peut se charger de beaucoup de denrées; qui les paiera promptement; qui a, pour ainsi dire, des nécessités d'être fidelle; qui est pacifique par principe, qui cherche à gagner, et non pas à conquérir: il vaut mieux, dis-je, avoir affaire à cette nation, qu'à d'autres toujours rivales, et qui ne donneroient pas tous ces avantages.

CHAPITRE IX.

De l'exclusion en fait de commerce.

LA vraie maxime est de n'exclure aucune nation de son commerce sans de grandes raisons. Les Japonois ne commercent qu'avec deux nations, la Chinoise et la Hollandoise. Les Chinois (1) gagnent mille pour cent sur le sucre, et quelquefois autant sur les retours. Les Hollandois font des profits à-peu-près pareils. Toute nation qui se conduira sur les maximes Japonoises, sera nécessairement trompée. C'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles.

Encore moins un état doit-il s'assujettir à ne vendre ses marchandises qu'à une seule nation, sous prétexte qu'elle les prendra toutes à un certain prix. Les Polonois ont fait pour leur bled ce marché avec la ville de Dantzik; plusieurs rois des Indes ont de pareils contrats pour les épiceries avec les (2) Hollandois. Ces conventions ne sont propres qu'à une nation pauvre, qui veut bien perdre l'espérance de s'enrichir, pourvu qu'elle ait une subsistance

(1) Le P. du Halde, tome II, page 170.

(2) Cela fut premiérement établi par les Portugais. Voyages de François Pyrard, chap. XV, part. II.

assurée; ou à des nations, dont la servitude consiste à renoncer à l'usage des choses que la nature leur avoit données; ou à faire sur ces choses un commerce désavantageux.

CHAPITRE X.

Etablissement propre au commerce d'économie. DANS les états qui font le commerce d'économie, on a heureusement établi des banques, qui, par leur crédit, ont formé de nouveaux signes des valeurs. Mais on auroit tort de les transporter dans les états qui font le commerce de luxe. Les mettre dans les pays gouvernés par un seul, c'est supposer l'agent d'un côté, et de l'autre la puissance : c'est-à-dire, d'un côté, la faculté de tout avoir sans aucun pouvoir; et de l'autre, le pouvoir avec la faculté de rien du tout. Dans un gouvernement pareil, il n'y a jamais eu que le prince qui ait eu, ou qui ait pu avoir un trésor, et par-tout où il y en a un, dès qu'il est excessif, il devient d'abord le trésor du prince.

Par la même raison, les compagnies de négocians qui s'associent pour un certain commerce, conviennent rarement au gouvernement d'un seul. La nature de ces compagnies est de donner aux richesses particulières la force des richesses publiques, Mais dans ces états, cette

force ne peut se trouver que dans les mains du prince. Je dis plus: elles ne conviennent pas toujours dans les états où l'on fait le commerce d'économie; et, si les affaires ne sont si grandes qu'elles soient au-dessus de la portée des particuliers, on fera encore mieux de ne point gêner, par des privilèges exclusifs, la liberté du commerce.

CHAPITRE X I.

Continuation du même sujet.

DANS les états qui font le commerce d'économie, on peut établir un port franc. L'économie de l'état, qui suit toujours la frugalité des particuliers, donne, pour ainsi dire, l'ame à son commerce d'économie. Ce qu'il perd de tributs par l'établissement dont nous parlons, est compensé par ce qu'il peut tirer de la richesse industrieuse de la république. Mais, dans le gouvernement monarchique, de pareils établissemens seroient contre la raison; ils n'auroient d'autre effet que de soulager le luxe du poids des impôts. On se priveroit de l'unique bien que ce luxe peut procurer, et du seul frein que, dans une constitution pareille, il puisse

recevoir.

CHAPITRE XI I.

De la liberté du commerce.

LA liberté du commerce n'est pas une faculté accordée aux négocians de faire ce qu'ils veulent; ce seroit bien plutôt sa servitude. Ce qui gêne le commerçant, ne gêne pas pour cela le commerce. C'est dans les pays de la liberté, que le négociant trouve des contradictions sans nombre; et il n'est jamais moins croisé par les loix, que dans les pays de la servitude.

L'Angleterre défend de faire sortir ses laines; elle veut que le charbon soit transporté par mer dans la capitale; elle ne permet point la sortie. de ses chevaux, s'ils ne sont coupés ; les vaisseaux (*) de ses colonies qui commercent en Europe, doivent mouiller en Angleterre. Elle gêne le négociant, mais c'est en faveur du com

merce.

(*) Acte de navigation de 1660. Ce n'a été qu'en temps de guerre que ceux de Boston et de Philadelphie ont envoyé leurs vaisseaux en droiture jusques dans la Méditerranée porter leurs denrées.

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