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il n'étoit guère question de maintenir le tage des biens.

par

Pour maintenir ce partage des terres dans la démocratie, c'étoit une bonne loi que celle qui vouloit qu'un père qui avoit plusieurs enfans, en choisît un pour succéder à sa portion (1), et donnât les autres en adoption à quelqu'un qui n'eût point d'enfans, afin que le nombre des citoyens pût toujours se maintenir égal à celui des partages.

Phaléas de Calcédoine (2) avoit imaginé une façon de rendre égales les fortunes dans une république où elles ne l'étoient pas. II Vouloit que les riches donnassent des dots aux pauvres, et n'en reçussent pas; et que les pauvres reçussent de l'argent pour leurs filles, et n'en donnassent pas. Mais je ne sache point qu'aucune république se soit accommodée d'un réglement pareil. Il met les citoyens sous des conditions dont les différences sont si frappantes, qu'ils hairoient cette égalité même que l'on cherchoit à introduire. Il est bon quelqueles loix ne paroissent pas aller si directement au but qu'elles se proposent.

fois que

Quoique, dans la démocratie, l'égalité réelle soit l'ame de l'état, cependant elle est si dif ficile à établir, qu'une exactitude extrême à cet égard ne conviendroit pas toujours. Il suffit

(1) Platon fait une pareille loi, liv. III des Loix. (2) Aristote, Politiq. liv. II, ch. vII,

que l'on établisse un cens (1) qui réduise our fixe les différences à un certain point; après quoi, c'est à des loix particulières d'égaliser, pour ainsi dire, les inégalités, par les charges qu'elles imposent aux riches, et le soulagement qu'elles accordent aux pauvres. Il n'y a que les richesses médiocres qui puissent donner ou souffrir ces sortes de compensations: car, pour les fortunes immodérées, tout ce qu'on ne leur accorde pas de puissance et d'honneur, elles le regardent comme une injure.

Toute inégalité, dans la démocratie, doit être tirée de la nature de la démocratie et du principe même de l'égalité. Par exemple, on y peut craindre que des gens qui auroient besoin d'un travail continuel pour vivre, ne fussent trop appauvris par une magistrature, ou qu'ils n'en négligeassent les fonctions; que des artisans ne s'enorgueillissent; que des affranchis trop nombreux ne devinssent plus puissans que les anciens citoyens. Dans ces cas, l'égalité entre les citoyens (2) peut être ôtée dans la démocratie, pour l'utilité de la démocratie. Mais ce n'est qu'une égalité apparente que l'on

(1) Solon fit quatre classes: la première, de ceux qui avoient cinq cent mines de revenu, tant en grains qu'en fruits liquides; la seconde, de ceux qui en avoient trois cent, et pouvoient entretenir un cheval; la troisième, de ceux qui n'en avoient que deux cent; la quatrième, de tous ceux qui vivoient de leurs bras. Plutarqué, vie de Solon.

(2) Solon exclut des charges tous ceux du quatrième

eens.

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ôte: car un homme, ruiné par une magistrature, seroit dans une pire condition que les autres citoyens ; et ce même homme, qui seroit obligé d'en négliger les fonctions, mettroit les autres citoyens dans une condition pire que la sienne; et ainsi du reste.

CHAPITRE VI.

Comment les loix doivent entretenir la frugalité dans la démocratie.

Il ne suffit pas, dans une bonne démocratie; que les portions de terre soient égales; il faut qu'elles soient petites, comme chez les Romains. « A Dieu ne plaise, disoit Curius à ses soldats (*), » qu'un citoyen estime peu de terre, ce qui » est suffisant pour nourrir un homme ».

Comme l'égalité des fortunes entretient la frugalité, la frugalité maintient l'égalité des fortunes. Ces choses, quoique différentes, sont telles qu'elles ne peuvent subsister l'une sans l'autre; chacune d'elles est la cause et l'effet; si l'une se retire de la démocratie, l'autre la suit toujours.

Il est vrai que, lorsque la démocratie est fondée sur le commerce, il peut fort bien

(*) Ils demandoient une plus grande portion de la terre conquise. Plutarque, œuvres morales, vies des anciens rois et capitaines,

arriver que des particuliers y aient de grandes richesses, et que les moeurs n'y soient pas corrompues. C'est que l'esprit de commerce entraîne avec soi celui de frugalité, d'économie, de modération, de travail, de sagesse, de tranquillité, d'ordre et de règle. Ainsi, tandis que cet esprit subsiste, les richesses qu'il produit n'ont aucun mauvais effet. Le mal arrive, lorsque l'excès des richesses détruit cet esprit de commerce; on voit tout-à-coup naître les désordres de l'inégalité, qui ne s'étoient pas encore fait sentir.

Pour maintenir l'esprit de commerce, il faut que les principaux citoyens le fassent euxmêmes; que cet esprit règne seul, et ne soit point croisé par un autre; que toutes les loix le favorisent; que ces mêmes loix, par leurs dispositions, divisant les fortunes à mesure que le commerce les grossit, mettent chaque citoyen pauvre dans une assez grande aisance, pour pouvoir travailler comme les autres; et chaque citoyen riche dans une telle médiocrité, qu'il ait besoin de son travail pour conserver ou pour acquérir.

C'est une très-bonne loi, dans une répu blique commerçante, que celle qui donne à tous les enfans une portion égale dans la succession des pères. Il se trouve par-là que, quelque fortune que le père ait faite, ses enfans, toujours moins riches que lui, sont portés à fuir le luxe, et à travailler comme lui. Je ne parle que des républiques commerçantes;

car, pour celles qui ne le sont pas, le législateur a bien d'autres réglemens à faire (*).

Il y avoit dans la Grèce deux sortes de répu bliques. Les unes étoient militaires, comme Lacédémone; d'autres étoient commerçantes, comme Athènes. Dans les unes, on vouloit que les citoyens fussent oisifs; dans les autres, on cherchoit à donner de l'amour pour le travail. Solon fit un crime de l'oisiveté, et voulut que chaque citoyen rendît compte de la manière dont il gagnoit sa vie. En effet dans une bonne démocratie où l'on ne doit dépenser que pour le nécessaire, chacun doit l'avoir; car de qui le recevroit-on ?

CHAPITRE VI I.

Autres moyens de favoriser le principe de la démocratie.

ON ne peut pas établir un partage égal des terres dans toutes les démocraties. Il y a des circonstances où un tel arrangement seroit impraticable, dangereux, et choqueroit même la constitution. On n'est pas toujours obligé de prendre les voies extrêmes. Si l'on voit, dans une démocratie, que ce partage, qui doit maintenir les mœurs, n'y convienne pas, il faut avoir recours à d'autres moyens.

(*) On y doit borner beaucoup les dots des femmes;

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