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d'esprit, des manières, des moeurs, peuvent y mettre des différences considérables.

Il est bon que de certaines idées s'y soient établies. Ainsi, à la Chine, le prince est regardé comme le père du peuple: et dans les commencemens de l'empire des Arabes, le prince en étoit le prédicateur (1).

Il convient qu'il y ait quelque livre sacré qui serve de règle, comme l'alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroastre chez les Perses, le védam chez les Indiens, les livres classiques chez les Chinois. Le code religieux supplée au code civil, et fixe l'arbitraire.

Il n'est pas mal que, dans les cas douteux, les juges consultent les ministres de la religion (2). Aussi, en Turquie, les cadis interrogent-ils les mollachs. Que si le cas mérite la mort, il peut être convenable que le juge particulier, s'il y en a, prenne l'avis du gouverneur, afin que le pouvoir civil et l'ecclésiastique soient encore tempérés par l'autorité politique.

(1) Les Caliphes.

(2) Histoire des Tattars, troisième partie, page 277, dans les remarques.

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CHAPITRE XX X.

Continuation du même sujet.

C'EST 'EST la fureur despotique qui a établi que la disgrace du père entraîneroit celle des enfans et des femmes. Ils sont déjà malheureux, sans être criminels; et d'ailleurs, il faut que le prince laisse entre l'accusé et lui des supplians pour adoucir son courroux, ou pour éclairer sa justice.

C'est une bonne coutume des Maldives (1), que lorsqu'un seigneur est disgracié, il va tous les jours faire sa cour au roi, jusqu'à ce qu'il rentre en grace; sa présence désarme le courroux du prince.

Il y a des états despotiques (2) où l'on pense, que de parler à un prince pour un disgracié, c'est manquer au respect qui lui est dû. Ces princes semblent faire tous leurs efforts. pour se priver de la vertu de clémence.

Arcadius et Honorius, dans la loi (3) dont j'ai tant parlé (4), déclarent qu'ils ne feront

(1) Voyez François Pirard.

(2) Comme aujourd'hui en Perse, au rapport de M. Chardin. Cet usage est bien ancien. « On mit » Cavade, dit Procope, dans le château de l'oubli; il » y a une loi qui défend de parler de ceux qui y sont » enfermés, et même de prononcer leur nom ».

(3) La loi V, au cod. ad leg. Jul. maj. (4) Au chapitre VIII de ce livre.

point de

grace à ceux qui oseront les supplier pour les coupables (1). Cette loi étoit bien mauvaise, puisqu'elle est mauvaise dans le despotisme même.

La coutume de Perse, qui permet à qui veut de sortir du royaume, est très - bonne et quoique l'usage contraire ait tiré son origine du despotisme, où l'on a regardé les sujets comme des (2) esclaves, et ceux qui sortent comme des esclaves fugitifs, cependant la pratique de Perse est très-bonne pour le despotisme, où la crainte de la fuite ou de la retraite des redevables, arrête ou modère les persécutions des bachas et des exacteurs.

(1) Fridéric copia cette loi dans les constitutions de Naples, liv. I.

(2) Dans les monarchies il y a ordinairement une loi qui défend à ceux qui ont des emplois publics, de sortir du royaume sans la permission du prince. Cette loi doit être encore établie dans les républiques. Mais dans celles qui ont des institutions singulières, la défense doit être générale, pour qu'on n'y rapporte pas les mœurs étrangères.

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LIVRE

X II I.

Des rapports que la levée des tributs et la grandeur des revenus publics ont avec la liberté.

CHAPITRE PREMIER.
Des revenus de l'état.

LES revenus de l'état sont une portion que chaque citoyen donne de son bien, pour avoir la sûreté de l'autre, ou pour en jouir agréablement.

Pour bien fixer ces revenus, il faut avoir égard et aux nécessités de l'état, et aux nécessités des citoyens. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels, pour des besoins de l'état imaginaires.

Les besoins imaginaires sont ce que demandent les passions et les foiblesses de ceux qui gouvernent, le charme d'un projet extraordinaire, l'envie malade d'une vaine gloire, et une certaine impuissance d'esprit contre les fantaisies. Souvent ceux qui, avec un esprit inquiet, étoient sous le prince à la tête des affaires, ont pensé que les besoins de l'état étoient les besoins de leurs petites ames.

Il n'y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler, que cette portion qu'on ôte, et cette portion qu'on laisse aux sujets.

Ce n'est point à ce que le peuple peut donner, qu'il faut mesurer les revenus publics; mais à ce qu'il doit donner: et si on les mesure à ce qu'il peut donner, il faut que ce soit du moins à ce qu'il peut toujours donner.

CHAPITRE II.

Que c'est mal raisonner, de dire que la grandeur des tributs soit bonne par elle-même.

ON a vu, dans de certaines monarchies., que des petits pays exempts de tributs, étoient aussi misérables que les lieux qui, tout autour, en étoient accablés. La principale raison en est, que le petit état entouré ne peut avoir d'industrie, d'arts, ni de manufactures, parce qu'à cet égard il est gêné de mille manières par le grand état dans lequel il est enclavé. Le grand état qui l'entoure, a l'industrie, les manufactures et les arts; et il fait des réglemens qui lui en procurent tous les avantages. Le petit état devient donc nécessairement pauvre, quelque peu d'impôts qu'on y lève.

On a pourtant conclu de la pauvreté de ces petits pays, que, pour que le peuple fût industrieux, il falloit des charges pesantes. On auroit mieux fait d'en conclure qu'il n'en faut pas. Ce sont tous les misérables des environs qui se retirent dans ces lieux-là, pour ne rien faire : déjà, découragés par l'accablement du travail,

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