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<<< insensiblement la matière pour ajuster son texte avec « le sermon qu'il a besoin de débiter. »

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Il auroit voulu « que le prédicateur, quel qu'il fût, << fit ses sermons de manière qu'ils ne fussent point fort «< pénibles, et qu'ainsi il pût prêcher souvent; il disoit << qu'en conséquence les sermons devroient être courts, << afin que le prédicateur pût, sans s'incommoder et sans <«< lasser le peuple, prêcher tous les dimanches après « l'Évangile. Il rappelle l'exemple de ces anciens êvêques, «< qui étoient fort âgés et chargés de tant de travaux, et <«< qui ne faisoient pas autant de cérémonie que nos pré«<dicateurs pour parler au peuple au milieu de la messe, « qu'ils disoient eux-mêmes solennellement tous les di<< manches. Il paroît regretter qu'on ait changé l'ancien « usage de l'Église qui plaçoit le sermon à l'office du <«< matin, immédiatement après l'Évangile; au lieu, <«< ajoute-t-il assez naïvement, que le sommeil surprend « quelquefois aux sermons de l'après-midi 2. »

1. Dialogues sur l'Éloquence de la chaire.

2. Fénelon rapporte qu'il s'endormit une fois à l'un de ces sermons de l'après-midi, et qu'il fut réveillé brusquement par la véhémence avec laquelle le prédicateur éleva tout à coup la voix. Il crut d'abord que c'étoit pour faire entendre avec plus d'attention le morceau le plus éloquent de son discours; point du tout, c'étoit pour avertir simplement ses auditeurs que le dimanche suivant il prêcheroit sur la pénitence. « Cet avertissement fait avec tant de fracas m'auroit « fait rire, dit Fénelon, si le respect du lieu et de l'action ne m'eût (Dialogues sur l'Éloquence de la chaire.)

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Cette lettre est restée comme un de nos meilleurs ouvrages classiques et comme un des plus propres à former le goût par la sagesse des principes, le choix des exemples et l'application heureuse de toutes les règles qui y sont ou rappelées ou indiquées. Mais Fénelon ne l'avoit point écrite pour qu'elle devint publique; sa modestie ne lui auroit point permis de substituer son autorité à celle de la compagnie littéraire qui rendoit un hommage honorable à son goût et à ses lumières. La persuasion où il étoit qu'il parloit à des collègues et à des amis, dans le secret de la confiance, et avec le seul désir de concourir à leurs vues pour la gloire des lettres, lui donna le droit et le courage de proposer à l'Académie une occupation véritablement digne d'elle; mais, comme il le déclare lui-même, « ce n'est qu'avec la plus grande « défiance de ses pensées, et une sincère déférence pour «< ceux qui daignoient le consulter. >>

Il est facile de s'apercevoir, dès les premières lignes de la lettre de Fénelon, qu'il s'étoit fait sur l'utilité d'un dictionnaire une opinion qu'on trouvera peut-être trop sévère, mais qui paroîtra cependant assez juste à ceux qui n'apportent ni prévention ni enthousiasme dans les objets les plus chers de leurs études et de leurs occupations.

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Il convient «< que le dictionnaire auquel l'Académie << travaille mérite sans doute qu'on l'achève; mais il <«< ne dissimule pas que l'usage, qui change si souvent <«< pour les langues vivantes, pourra changer ce que ce << dictionnaire aura décidé. »

Il croit bien que les François les plus polis peuvent avoir quelquefois besoin de recourir à ce dictionnaire, par rapport à des termes sur lesquels ils doutent; mais, ce qui est remarquable, c'est qu'il fait consister son plus grand mérite dans l'utilité dont il peut être pour les étrangers, curieux de notre langue, ou pour aider la postérité à expliquer nos meilleurs auteurs, lorsque notre langue aura cessé d'être en usage. C'est à ce sujet qu'il observe avec raison combien nous devons regretter de n'avoir point de dictionnaires grecs et latins faits par les anciens mêmes.

On voit, dès ce début, combien Fénelon désiroit que l'Académie ne se renfermât point dans un objet aussi circonscrit et aussi variable qu'un dictionnaire, et il l'invite à joindre au dictionnaire une, grammaire françoise, pour faire remarquer les règles, les exceptions, les étymologies, les sens figurés, l'artifice de toute la langue et ses variations.

II. De la rhétorique.

Fénelon propose également à l'Académie de joindre à

a.

la grammaire une rhétorique; mais il observe qu'on doit bien moins traiter cette rhétorique sous la forme d'un système sec et aride de préceptes arbitraires, que sous celle d'un recueil qui rassembleroit tous les plus beaux préceptes d'Aristote, de Cicéron, de Quintilien, de Lucien, de Longin, avec les textes mêmes de ces auteurs. Ces textes formeroient les principaux ornements de cette rhétorique, et offriroient les plus beaux modèles de l'éloquence. « En ne prenant que la fleur la plus pure <«< de l'antiquité, on feroit un ouvrage court, exquis et « délicieux. »

Mais il ne se borne pas à inviter l'Académie françoise à faire entrer dans le plan de ses travaux le projet d'une grammaire et d'une rhétorique; il désire qu'elle s'occupe également du projet d'une poétique et d'un traité sur l'histoire.

III. De la poétique.

La partie de cette lettre qui concerne la poétique, est peut-être un des morceaux les plus agréables de la littérature françoise, et les plus propres à former le goût des jeunes gens. On y observe, avec une surprise mêlée d'admiration, combien Fénelon, déjà parvenu à un âge assez avancé, et presque uniquement occupé depuis trente ans des études les plus graves de la religion, et des discussions les plus épineuses de la théologie, étoit encore rempli de ce goût si pur de la littérature grecque et latine, qui répand tant de charmes sur tous ses écrits,

et donne tant de grâce à toutes ses expressions. Il mêle à chacune de ses réflexions sur la poésie quelques vers de Virgile et d'Horace, et jamais on n'en a fait peutêtre, dans un ouvrage aussi court, un choix plus heureux et plus abondant. Ce qui frappe surtout, dans ces fragments de Virgile et d'Horace, si bien assortis à son sujet, c'est qu'ils respirent cette sensibilité qui étoit l'impression dominante de son âme et de toutes ses affections; c'est toujours son attrait pour les plaisirs purs et innocents de la campagne, et pour le bonheur d'une condition privée; c'est toujours la simplicité des mœurs antiques qu'il fait contraster avec les orages des cours et le tumulte insensé des villes. On ne peut même s'empêcher de sourire de l'aimable dépit avec lequel il dit anathème à ceux qui ne sentent point le charme de ces vers de Virgile:

Fortunate senex! hic, inter flumina nota
Et fontes sacros, frigus captabis opacum.

On voit que Fénelon ne pouvoit avoir bonne opinion des cœurs froids et glacés que le spectacle de la nature, dans sa pureté, sa fraîcheur et son innocence, laisse insensibles à ces délicieuses émotions. La complaisance avec laquelle il cite sans cesse Virgile, annonce combien il étoit pénétré de la perfection inimitable d'un auteur avec lequel il avoit tant de conformité par le goût, l'âme et le caractère.

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