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IV. De l'histoire.

Fénelon propose enfin à l'Académie françoise un projet qui seul auroit pu occuper dignement une compagnie composée de tant d'hommes distingués, celui d'un traité sur l'histoire.

<«< Il y a très-peu d'historiens, selon lui, qui soient « exempts de grands défauts. L'histoire est néanmoins << très-importante; c'est elle qui nous montre les grands « exemples; qui fait servir les vices mêmes des mé<< chants à l'instruction des bons; qui débrouille les ori« gines, et qui explique par quel chemin les peuples ont << passé d'une forme de gouvernement à une autre. Le << bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays; <«< quoiqu'il aime sa patrie, il ne la flatte jamais en rien; «< il évite également le panégyrique et les satires; il ne « mérite d'être cru qu'autant qu'il se borne à dire sans <«<< flatterie et sans malignité le bien et le mal. La prin«cipale perfection d'une histoire consiste dans l'ordre << et l'arrangement. Pour parvenir à ce bel ordre, l'his<< torien doit embrasser et posséder toute son histoire. Il << doit la voir tout entière comme d'une seule vue. << L'historien, qui a un vrai génie, choisit sur vingt en<«< droits celui où un fait sera mieux placé pour répandre « la lumière sur tous les autres. Souvent un fait, montré « par avance de loin, débrouille tout ce qu'il prépare; «< souvent un autre fait sera mieux dans son jour étant « mis en arrière; en se présentant plus tard il viendra

« plus à propos pour faire naître d'autres événements. « Une circonstance bien choisie, un mot bien rapporté, << un geste qui a rapport au génie ou à l'humeur d'un << homme, est un trait original et précieux dans l'his«toire. Il peut mettre devant les yeux cet homme tout << entier. C'est ce que Plutarque et Suétone ont fait par<< faitement; c'est ce qu'on trouve avec plaisir dans le << cardinal d'Ossat; vous croyez voir Clément VIII qui « lui parle tantôt à cœur ouvert, et tantôt avec ré

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Il est sans doute à regretter que l'Académie françoise n'ait pas suivi le plan si sage et si utile que Fénelon ne lui proposoit qu'en obéissant à son invitation. Toutes les parties de ce plan se renfermoient dans le cercle naturel des occupations et des connoissances d'une compagnie littéraire telle que l'Académie françoise, et s'accordoient avec l'objet de son institution.

III. TRAITÉ DE L'ÉDUCATION DES FILLES

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Fénelon n'avoit pas même composé cet ouvrage pour le public c'étoit un simple hommage de l'amitié; il ne l'avoit écrit que pour répondre aux pieuses intentions d'une mère vertueuse. Madame la duchesse de Beauvilliers partageoit tous les sentiments de confiance et d'estime de son mari pour l'abbé de Fénelon. Occupée avec

le plus respectable intérêt de l'éducation de sa nombreuse famille, elle le pria de la diriger dans l'accomplissement des devoirs prescrits à sa sollicitude maternelle. Outre plusieurs garçons, elle eut huit filles qui, grâces aux exemples domestiques qu'elles eurent sous leurs yeux pendant leur jeunesse, et aux principes qu'elles puisèrent dans les instructions de Fénelon, furent des modèles de toutes les vertus que la charité inspire et que la religion ennoblit.

Comme elles étoient encore trop jeunes pour que Fénelon pût indiquer, par rapport à chacune d'elles, les modifications que tout instituteur éclairé doit employer, selon la différence des caractères, des penchants et des dispositions, il généralisa toutes ses vues et toutes ses maximes; mais il saisit avec tant d'art et de profondeur tous les traits uniformes dont la nature a marqué ce premier âge de la vie, et toutes les variétés qui donnent à chaque caractère, comme à chaque figure une physionomie différente, qu'il n'est aucune mère de famille qui ne doive retrouver dans ce tableau l'image de son enfant, et l'expression fidèle des défauts qu'elle doit s'efforcer de prévenir, des penchants qu'elle doit chercher à rectifier, et des qualités qu'elle doit désirer de développer.

C'est ainsi qu'un ouvrage destiné à une seule famille, est devenu un livre élémentaire qui convient à toutes les familles, à tous les temps et à tous les lieux.

Cet ouvrage est si connu et si généralement répandu,

que nous nous croyons dispensé de le faire connoître. dans tous ses détails; nous ne craignons pas même d'avouer que nous nous étions d'abord proposé d'insérer dans une espèce d'analyse tout ce qui nous avoit paru avoir un caractère plus marqué d'agrément ou d'utilité. C'étoit dans cet esprit que nous en avions commencé l'extrait peu à peu, et, sans nous en apercevoir nousmême, notre extrait étoit devenu l'ouvrage tout entier : ce qui nous a averti qu'il est du petit nombre de ces livres parfaits auxquels on ne peut rien ajouter, et dont on ne peut rien retrancher sans en altérer l'esprit et la régularité.

Fénelon commence son traité de l'Éducation des filles dès les premiers jours de la vie, dès cette époque où un seul et même nom, celui d'enfant, convient également aux deux sexes. En lisant cette première partie de son ouvrage, on ne peut s'empêcher de s'étonner de la modestie avec laquelle il nous présente plusieurs observations de détail aussi fines que justes et profondes; l'étonnement augmente encore en comparant cette simplicité avec le faste des auteurs plus récents, qui nous ont reproduit ces mêmes observations comme des découvertes qui sembloient leur appartenir.

« Je ne donne pas ces petites choses pour grandes, » écrit Fénelon. Mais que Fénelon paroît grand, lorsqu'il ne donne que comme de petites choses ces observations fines et délicates qui tenoient à une attention si suivie, à des réflexions si profondes et si variées, qui suppo

soient tant de goût et de tact, et qui étoient l'expression du cœur le plus sensible et le plus vertueux !

Dans la première partie de son ouvrage, Fénelon s'est adressé aux parents, aux instituteurs, aux institutrices, et a fait, pour ainsi dire, leur éducation encore plus que celle des enfants et des élèves.

C'est aux enfants mêmes qu'il adresse ensuite ses instructions. Après avoir veillé à la conservation de toutes les facultés morales et naturelles; après avoir cherché à prévenir les défauts et les inconvénients capables d'en corrompre l'usage, c'est de leur âme et de leur intelligence qu'il s'occupe; c'est leur esprit et leur cœur qu'il essaye de former, et il établit tout son système d'éducation sur le seul fondement qui peut assurer le bonheur des familles et l'ordre de la société, sur la religion.

Il fait arriver les enfants à l'instruction par leur penchant même à la frivolité; c'est le goût général des enfants pour les histoires que Fénelon emploie pour les instruire de la religion.

Il indique ensuite la méthode la plus simple et la plus facile pour mettre les vérités les plus intellectuelles à la portée des enfants, et les leur faire comprendre autant qu'il est donné à l'esprit humain de pénétrer dans ces obscurités métaphysiques, sur lesquelles un enfant un par instruit en sait autant que les hommes, et les hommes les plus instruits n'en savent guère plus que les enfants. C'est une vraie persuasion que Fénelon veut obte

des enfants; et comme il le dit lui-même, ce n'est pas

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