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dance. Il n'avoit presque de société que dans sa famille. Ils s'aimoient tous; ils se rendoient mutuellement heureux ; ils vivoient loin des palais des rois et des plaisirs qu'on achète si cher; les leurs étoient doux, innocents, simples, faciles à trouver, et sans aucune suite dangereuse. Mélibée et Poéménis furent ainsi élevés dans le goût des travaux champêtres. Ils ne se souvinrent de leur naissance que pour avoir plus de courage en supportant la pauvreté. L'abondance revenue dans toute cette maison n'y ramena point le faste la famille entière fut toujours simple et laborieuse. Tout le monde disoit à Mélésichthon : « Les richesses rentrent chez vous, il est temps de reprendre votre ancien éclat. » Alors il répondoit ces paroles: « A qui voulez-vous que je m'attache, ou au faste qui m'avoit perdu, ou à une vie simple et laborieuse qui m'a rendu riche et heureux? » Enfin, se trouvant un jour dans ce bois sombre où Cérès l'avoit instruit par un songe si utile, il s'y reposa sur l'herbe avec autant de joie qu'il y avoit eu d'amertume dans le temps passé. Il s'endormit, et la déesse, se montrant à lui comme dans son premier songe, lui dit ces paroles: « La vraie noblesse consiste à ne recevoir rien de personne et à faire du bien aux autres. Ne recevez donc rien que du sein fécond de la terre et de votre propre travail. Gardez-vous bien de quitter jamais, par mollesse ou par fausse gloire, ce qui est la source naturelle et inépuisable de tous les biens. >>

COMPOSÉS POUR L'ÉDUCATION

DE MGR LE DUC DE BOURGOGNE

I.

LE FANTASQUE

Qu'est-il donc arrivé de funeste à Mélanthe? rien au dehors, out au dedans. Ses affaires vont à souhait : tout le monde cherche à lui plaire. Quoi donc! c'est que sa rate fume. Il se coucha hier les délices du genre humain; ce matin on est honteux pour lui, il faut le cacher. En se levant, le pli d'un chausson lui a déplu toute la journée sera orageuse, et tout le monde en souffrira. Il fait peur, il fait pitié : il pleure comme un enfant, il rugit comme un lion. Une vapeur maligne et farouche trouble ct noircit son imagination, comme l'encre de son écritoire barbouille ses doigts. N'allez pas lui parler des choses qu'il aimoit le mieux il n'y a qu'un moment par la raison qu'il les a aimées, il ne sauroit plus les souffrir. Les parties de divertissement qu'il a tant désirées lui deviennent ennuyeuses, il faut les rompre. Il cherche à contredire, à se plaindre, à piquer les autres; il s'irrite de voir qu'ils ne veulent point se fàcher. Souvent il porte ses coups en l'air, comme un taureau furieux qui, de ses cornes aiguisées, va se battre contre les vents. Quand il manque de prétexte pour attaquer les autres, il se tourne contre lui-même; il se blâme, il ne se trouve bon à rien, il se décourage, il trouve fort mauvais qu'on veuille le consoler. Il veut être seul, et ne peut supporter la solitude. Il revient à la compagnie, et s'aigrit contre elle. On se tait, ce silence affecté le choque. On

parle tout bas, il s'imagine que c'est contre lui. On parle tout haut, il trouve qu'on parle trop, et qu'on est trop gai pendant qu'il est triste. On est triste, cette tristesse lui paroît un reproche de ses fautes. On rit, il soupçonne qu'on se moque de lui. Que faire ? Être aussi ferme et aussi patient qu'il est insupportable, et attendre en paix qu'il revienne demain aussi sage qu'il étoit hier. Cette humeur étrange s'en va comme elle vient. Quand elle prend, on diroit que c'est un ressort de machine qui se démonte tout à coup il est comme on dépeint les possédés, sa raison est comme à l'envers; c'est la déraison elle-même en personne. Poussez-le, vous lui ferez dire en plein jour qu'il est nuit; car il n'y a plus ni jour ni nuit pour une tête démontée par caprice. Quelquefois il ne peut s'empêcher d'être étonné de ses excès et de ses fougues. Malgré son chagrin, il sourit des paroles extravagantes qui lui ont échappé. Mais quel moyen de prévoir ces orages et de conjurer la tempête? Il n'y en a aucun; point de bons almanachs pour prédire ce mauvais temps. Gardez-vous bien de dire « Demain nous irons nous divertir dans un tel jardin, » l'homme d'aujourd'hui ne sera point celui de demain ; celui qui vous promet maintenant disparoîtra tantôt vous ne saurez plus où le prendre pour le faire souvenir de sa parole; en sa place vous trouverez un je ne sais quoi qui n'a ni forme ni nom, qui n'en peut avoir, et que vous ne sauriez définir deux instants de suite de la même manière. Étudiez-le bien, puis dites-en tout ce qu'il vous plaira; il ne sera plus vrai le moment d'après que vous l'aurez dit. Ce je ne sais quoi veut et ne veut pas; il menace, il tremble; il mêle des hauteurs ridicules avec des bassesses indignes. Il pleure, il rit, il badine, il est furieux. Dans sa fureur la plus bizarre et la plus insensée, il est plaisant, éloquent, subtil, plein de tours nouveaux, quoiqu'il ne lui reste pas seulement une ombre de raison. Prenez bien garde de ne lui rien dire qui ne soit juste, précis et exactement raisonnable: il sauroit bien en prendre avantage, et vous donner adroitement le change; il passeroit d'abord de son tort au vôtre, et deviendroit raisonnable pour le seul plaisir de vous convaincre que

vous ne l'êtes pas. C'est un rien qui l'a fait monter jusqu'aux nues; mais ce rien, qu'est-il devenu? Il s'est perdu dans la mêlée ; il n'en est plus question: il ne sait plus ce qui l'a fàché, il sait seulement qu'il se fâche, et qu'il veut se fàcher; encore même ne le sait-il pas toujours. Il s'imagine souvent que tous ceux qui lui parlent sont emportés, et que c'est lui qui se modère; comme un homme qui a la jaunisse croit que tous ceux qu'il voit sont jaunes, quoique le jaune ne soit que dans ses yeux. Mais peutêtre qu'il épargnera certaines personnes auxquelles il doit plus qu'aux autres, et qu'il paroît aimer davantage. Non; sa bizarrerie ne connoît personne, elle se prend sans choix à tout ce qu'elle trouve le premier venu lui est bon pour se décharger; tout lui est égal, pourvu qu'il se fàche il diroit des injures à tout le monde. Il n'aime plus les gens, il n'en est point aimé; on le persécute, on le trahit; il ne doit rien à qui que ce soit. Mais attendez un moment, voici une autre scène. Il a besoin de tout le monde; il aime, on l'aime aussi; il flatte, il s'insinue, il ensorcelle tous ceux qui ne pouvoient plus le souffrir; il avoue son tort, il rit de ses bizarreries, il se contrefait, et vous croiriez que c'est lui-même dans ses excès d'emportement, tant il se contrefait bien. Après cette comédie, jouée à ses propres dépens, vous croyez bien qu'au moins il ne fera plus le démoniaque. Hélas! vous vous trompez : il le fera encore ce soir, pour s'en moquer demain sans se corriger.

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LA MÉDAILLE

Je crois, monsieur, que je ne dois point perdre de temps pour vous informer d'une chose très-curieuse, et sur laquelle vous ne manquerez pas de faire bien des réflexions. Nous avons en ce pays un savant nommé M. Wanden, qui a de grandes correspondances avec les antiquaires d'Italie. Il prétend avoir reçu par eux une médaille antique, que je n'ai pu voir jusqu'ici, mais dont il a fait frapper des copies qui sont très-bien faites, et qui se répandront bientôt, selon les apparences, dans tous les

pays où il y a des curieux. J'espère que dans peu de jours je vous en enverrai une. En attendant, je vais vous en faire la plus exacte description que je pourrai.

D'un côté, cette médaille, qui est fort grande, représente un enfant d'une figure très-belle et très-noble; on voit Pallas qui le couvre de son égide; en même temps les trois Grâces sèment son chemin de fleurs; Apollon, suivi des Muses, lui offre sa lyre; Vénus paroît en l'air dans son char attelé de colombes, qui laisse tomber sur lui sa ceinture; la Victoire lui montre d'une main un char de triomphe, et de l'autre lui présenté une couronne. Les paroles sont prises d'Horace : Non sine dis animosus infans. Le revers est bien différent. Il est manifeste que c'est le même enfant, car on reconnoît d'abord le mème air de tête : mais il n'a autour de lui que des masques grotesques et hideux, des reptiles venimeux, comme des vipères et des serpents, des insectes et des hiboux, enfin des harpies sales, qui répandent de l'ordure de tous côtés, et qui déchirent tout avec leurs ongles crochus. Il y a une troupe de satyres impudents et moqueurs, qui font les postures les plus bizarres, qui rient et qui montrent du doigt la queue d'un poisson monstrueux par où finit le corps de ce bel enfant. Au bas, on lit ces paroles, qui, comme vous le savez, sont aussi d'Horace : Turpiter atrum desinit in piscem.

Les savants se donnent beaucoup de peine pour découvrir en quelle occasion cette médaille a pu être frappée dans l'antiquité. Quelques-uns soutiennent qu'elle représente Caligula, qui, étant fils de Germanicus, avoit donné dans son enfance de hautes espérances pour le bonheur de l'empire, mais qui, dans la suite, devint un monstre. D'autres veulent que tout ceci ait été fait pour Néron, dont les commencements furent si heureux, et la fin si horrible. Les uns et les autres conviennent qu'il s'agit d'un jenne prince éblouissant, qui promettoit beaucoup et dont toutes les espérances ont été trompeuses. Mais il y en a d'autres, plus défiants, qui ne croient point que cette médaille soit antique. Le mystère que fait M. Wanden pour cacher l'original donne de grands soupçons. On s'imagine voir quelque chose de

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