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sur la terre pour payer l'homme de ses peines. « Consolez-vous, dirent-elles à cette assemblée de dieux consternés : Lycon part, il est vrai, mais il n'abandonne pas cette montagne consacrée à Apollon. Bientôt vous le reverrez ici cultivant lui-même nos jardins fortunés; sa main y plantera de verts arbustes, les plantes qui nourrissent l'homme, et les fleurs qui font ses délices. O aquilons, gardez-vous de flétrir jamais par vos souffles empestés ces jardins ou Lycon prendra des plaisirs innocents! Il préférera la simple nature au faste et aux divertissements désordonnés; il aimerà ces lieux, il les abandonne à regret.» A ces mots, la tristesse se change en joie : on chante les louanges de Lycon; on dit qu'il sera amateur des jardins, comme Apollon a été berger conduisant les troupeaux d'Admète mille chansons divines remplissent le bocage; et le nom de Lycon passe de l'antique forêt jusque dans les campagnes les plus reculées. Les bergers le répètent sur leurs chalumeaux; les oiseaux mêmes, dans leurs doux ramages, font entendre je ne sais quoi qui ressemble au nom de Lycon. La terre se pare de fleurs et s'enrichit de fruits. Les jardins, qui attendent son retour, lui préparent les grâces du printemps et les magnifiques dons de l'automne. Les seuls regards de Lycon, qu'il jette encore de loin sur cette agréable montagne, la fertilisent. Là, après avoir arraché les plantes sauvages stériles, il cueillera l'olive et le myrte, en attendant que Mars lui fasse cueillir ailleurs des lauriers.

II

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У avoit dans le pays des Celtes, et assez près du fameux séjour des druides, une sombre forêt dont les chênes, aussi anciens que la terre, avoient vu les caux du déluge, et conservoient sous leurs épais rameaux une profonde nuit au milieu du jour. Dans cette forêt reculée étoit une belle fontaine plus claire que le cristal, et qui donnoit son nom au lieu où elle couloit. Diane alloit souvent percer de ses traits des cerfs et des daims dans cette forêt pleine de rochers escarpés et sauvages. Après

avoir chassé avec ardeur, elle alloit se plonger dans les pures eaux de la fontaine, et la naïade se glorifioit de faire les délices de la déesse et de toutes les nymphes. Un jour, Diane chassa en ces lieux un sanglier plus grand et plus furieux que celui de Calydon. Son dos était armé d'une soie dure, aussi hérissée et aussi horrible que les piques d'un bataillon. Ses yeux étincelants étoient pleins de sang et de feu. Il jetoit d'une gueule béante et enflammée une écume mêlée d'un sang noir. Sa hure monstrueuse ressembloit à la proue recourbée d'un navire. Il étoit sale et couvert de la boue de sa bauge, où il s'étoit vautré. Le souffle brûlant de sa gueule agitoit l'air tout autour de lui, et faisoit un bruit effroyable. Il s'élançoit rapidement comme la foudre ; il renversoit les moissons dorées, et ravageoit toutes les campagnes voisines: il coupoit les hautes tiges des arbres les plus durs, pour aiguiser ses défenses contre leurs troncs. Ces défenses étoient aiguës et tranchantes comme les glaives recourbés des Perses. Les laboureurs épouvantés se réfugioient dans leurs villages. Les bergers, oubliant leurs foibles troupeaux errants dans les pâturages, couroient vers leurs cabanes. Tout étoit consterné; les chasseurs mêmes, avec leurs dards et leurs épieux, n'osoient entrer dans la forêt. Diane seule, ayant pitié de ce pays, s'avance avec son carquois doré et ses flèches. Une troupe de nymphes la suit, et elle les surpasse de toute la tête. Elle est dans sa course plus légère que les zéphyrs, et plus prompte que les éclairs. Elle atteint le monstre furieux, le perce d'une de ses flèches au-dessous de l'oreille, à l'endroit où l'épaule commence. Le voilà qui se roule dans les flots de son sang: il pousse des cris dont toute la forêt retentit, et montre en vain ses défenses prêtes à déchirer ses ennemis. Les nymphes en frémissent. Diane seule s'avance, met le pied sur sa tête, et enfonce son dard; puis se voyant rougie du sang de ce sanglier, qui avoit rejailli sur elle, elle se baigne dans la fontaine, et se retire charmée d'avoir délivré les campagues de ce monstre.

XXVII.

LES ABEILLES ET LES VERS A SOIE

Un jour les abeilles montèrent jusque dans l'Olympe, au pied du trône de Jupiter, pour le prier d'avoir égard au soin qu'elles avoient pris de son enfance, quand elles le nourrirent de leur miel sur le mont Ida. Jupiter voulut leur accorder les premiers honneurs entre tous les petits animaux; mais Minerve, qui préside aux arts, lui représenta qu'il y avoit une autre espèce qui disputoit aux abeilles la gloire des inventions utiles. Jupiter voulut en savoir le nom. « Ce sont les vers à soie,» répondit-elle. Aussitôt le père des dieux ordonna à Mercure de faire venir sur les ailes des doux zéphyrs des députés de ce petit peuple, afin qu'on pût entendre les raisons des deux partis. L'abeille ambassadrice de sa nation représenta la douceur du miel, qui est le nectar des hommes, son utilité, l'artifice avec lequel il est composé; puis elle vanta la sagesse des lois qui policent la république volante des abeilles. « Nulle autre espèce d'animaux, disoit l'orateur, n'a cette gloire, et c'est une récompense d'avoir nourri dans un antre le père des dieux. De plus nous avons en partage la valeur guerrière quand notre roi anime nos troupes dans les combats. Comment est-ce que ces vers, insectes vils et méprisables, oseroient nous disputer le premier rang? Ils ne savent que ramper, pendant que nous prenons un noble essor et que de nos ailes dorées nous montons jusqu'aux astres. » Le harangueur des vers à soie répondit : « Nous ne sommes que de petits vers, et nous n'avons ni ce grand courage pour la guerre, ni ces sages lois; mais chacun de nous montre les merveilles de la nature et se consume dans un travail utile. Sans lois, nous vivons en paix, et on ne voit jamais de guerre civile chez nous, pendant que les abeilles s'entre-tuent à chaque changement de roi. Nous avons la vertu de Protée pour changer de forme. Tantôt nous sommes de petits vers composés de onze petits anneaux entrelacés avec la variété des plus vives couleurs qu'on admire dans les fleurs d'un parterre. Ensuite nous filons de quoi vêtir

les hommes les plus magnifiques jusque sur le trône, et de quoi orner les temples des dieux. Cette parure si belle et si durable vaut bien du miel qui se corrompt bientôt. Enfin nous nous transformons en fève, mais en fève qui sent, qui se meut et qui montre toujours de la vie. Après ces prodiges, nous devenons tout à coup des papillons avec l'éclat des plus riches couleurs. C'est alors que nous ne cédons plus aux abeilles pour nous élever d'un vol hardi jusque vers l'Olympe. Jugez maintenant, ô père des dieux. » Jupiter, embarrassé pour la décision, déclara enfin que les abeilles tiendroient le premier rang à cause des droits qu'elles avoient acquis depuis les anciens temps. « Quel moyen, dit-il, de les dégrader? je leur ai trop d'obligation; mais je crois que les hommes doivent encore plus aux vers à soie. »

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Le lion étant mort, tous les animaux accoururent dans son antre pour consoler la lionne sa veuve, qui faisoit retentir de ses cris les montagnes et les forêts. Après lui avoir fait leurs compliments ils commencèrent l'élection d'un roi; la couronne du défunt étoit au milieu de l'assemblée. Le lionceau étoit trop jeune et trop foible pour obtenir la royauté sur tant de fiers animaux. « Laissez-moi croître, disoit-il; je saurai bien régner et me faire craindre à mon tour. En attendant, je veux étudier l'histoire des belles actions de mon père pour égaler un jour sa gloire. Pour moi, dit le léopard, je prétends être couronné, car je ressemble plus au lion que tous les autres prétendants. – Et moi, dit l'ours, je soutiens qu'on m'avoit fait une injustice quand on me préféra le lion; je suis fort, courageux, carnassier tout autant que lui, et j'ai un avantage singulier, qui est de grimper sur les arbres. Je vous laisse à juger, messieurs, dit l'éléphant, si quelqu'un peut me disputer la gloire d'être le plus grand, le plus fort et le plus brave de tous les animaux. Je suis le plus noble et le plus beau, dit le cheval. Et moi le plus fin, dit le renard. Et moi le plus léger à la course, dit le

cerf. — Où trouverez-vous, dit le singe un roi plus agréable et plus ingénieux que moi? Je divertira chaque jour mes sujets. Je ressemble même à l'homme, qui est le véritable roi de tout la nature. » Le perroquet harangua ainsi : « Puisque tu te vantes de ressembler à l'homme, je puis m'en vanter aussi. Tu ne lui ressembles que par ton laid visage et par quelques grimaces ridicules; pour moi, je lui ressemble par la voix, qui est la marque de la raison et le plus bel ornement de l'homme. Taistoi, maudit causeur, lui répondit le singe; tu parles, mais non pas comme l'homme; tu dis toujours la même chose, sans entendre ce que tu dis. » L'assemblée se moqua de ces deux mauvais copistes de l'homme, et on donna la couronne à l'éléphant, parce qu'il a la force et la sagesse, sans avoir ni la cruauté des bêtes furieuses, ni la sotte vanité de tant d'autres qui veulent toujours paroître ce qu'elles ne sont pas.

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Deux lionceaux avoient été nourris ensemble dans la même forêt; ils étoient de même âge, de même taille, de même force. L'un fut pris dans de grands filets à une chasse du Grand Mogol; l'autre demeura dans des montagnes escarpées. Celui qu'on avoit pris fut mené à la cour, où il vivoit dans les délices; on lui donnoit chaque jour une gazelle à manger; il n'avoit qu'à dormir dans une loge où on avoit soin de le faire coucher mollement. Un eunuque blanc avoit soin de peigner deux fois le jour sa longue crinière dorée. Comme il étoit apprivoisé, le roi même le caressoit souvent. Il étoit gras, poli, de bonne mine et magnifique, car il portoit un collier d'or et on lui mettoit aux oreilles des pendants garnis de perles et de diamants; il méprisoit tous les autres lions qui étoient dans des loges voisines moins belles que la sienne, et qui n'étoient pas en faveur comme lui. Ces prospérités lui enflèrent le cœur; il crut être un grand personnage, puisqu'on le traitoit si honorablement. La cour où il brilloit lui donna le goût de l'ambition; il s'imaginoit qu'il

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