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flexible roi des enfers ne put s'empêcher de rire, et lui laissa le choix d'une condition. Elle demanda à entrer dans le corps d'un perroquet. << Au moins, disoit elle, je conserverai par là quelque ressemblance avec les hommes, que j'ai si longtemps imités. Étant singe, je faisois des gestes comme eux, et, étant perroquet, je parlerai avec eux dans les plus agréables conversations. >> A peine l'âme du singe fut introduite dans ce nouveau métier, qu'une vieille femme causeuse l'acheta. Il fit ses délices; elle le mit dans une belle cage. Il faisoit bonne chère et discouroit toute la journée avec la vieille radoteuse, qui ne parloit pas plus sensément que lui. Il joignoit à son nouveau talent d'étourdir tout le monde de je ne sais quoi de son ancienne profession; il remuoit sa tête ridiculement; il faisoit craquer son bec; il agitoit ses ailes de cent façons, et faisoit de ses pattes plusieurs tours qui sentoient encore les grimaces de Fagotin. La vieille prenoit à toute heure ses lunettes pour l'admirer. Elle étoit bien fàchée d'être un peu sourde et de perdre quelquefois des paroles de son perroquet, à qui elle trouvoit plus d'esprit qu'à personne. Ce perroquet gâté devint bavard, importun et fou. Il se tourmenta si fort dans sa cage, et but tant de vin avec la vieille, qu'il en mourut. Le voilà revenu devant Pluton, qui voulut cette fois le faire passer dans le corps d'un poisson pour le rendre muet; mais il fit encore une farce devant le roi des ombres; et les princes ne résistent guère aux demandes des mauvais plaisants qui les flattent. Pluton accorda donc à celui-ci qu'il iroit dans le corps d'un homme. Mais comme le dieu eut honte de l'envoyer dans le corps d'un homme sage et vertueux, il le destina au corps d'un harangueur ennuyeux et importun, qui mentoit, qui se vantoit sans cesse, qui faisoit des gestes ridicules, qui se moquoit de tout le monde, qui interrompoit toutes les conversations les plus solides, pour dire des riens, ou les sottises les plus grossières. Mercure, qui le reconnut dans ce nouvel état, lui dit en riant : « Ho! ho! je te reconnois; tu n'es qu'un composé du singe et du perroquet que j'ai vus autrefois. Qui t'ôteroit tes gestes et les paroles apprises par cœur et sans jugement, ne laisseroit rien de

toi. D'un joli singe et d'un bon perroquet, on n'en fait qu'un sot homme. »>

O combien d'hommes dans le monde, avec des gestes façonnés, un petit caquet et un air capable, n'ont ni sens ni conduite!

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Une souris ennuyée de vivre dans les périls et dans les alarmes, à cause de Mitis et de Rodilardus, qui faisoient grand carnage de la nation souriquoise, appela sa commère, qui étoit dans un trou de son voisinage. «Il m'est venu, lui dit-elle, une bonne pensée. J'ai lu, dans certains livres que je rongeois ces jours passés, qu'il y a un beau pays nommé les Indes, où notre peuple est mieux traité et plus en sûreté qu'ici. En ce pays-là, les sages croient que l'âme d'une souris a été autrefois l'âme d'un grand capitaine, d'un roi, d'un merveilleux fakir, et qu'elle pourra, après la mort de la souris, entrer dans le corps de quelque belle dame ou de quelque grand pandiar1. Si je m'en souviens bien, cela s'appelle métempsycose. Dans cette opinion, ils traitent tous les animaux avec une charité fraternelle; on voit des hôpitaux de souris, qu'on met en pension et qu'on nourrit comme personnes de mérite. Allons, ma sœur, partons pour un si beau pays, où la police est si bonne et où l'on fait justice à notre mérite. » La commère lui répondit : « Mais, ma sœur, n'y a-t-il point de chats qui entrent dans ces hôpitaux? Si cela étoit, ils feroient en peu de temps bien des métempsycoses; un coup de dent ou de griffes feroit un roi ou un fakir; merveille dont nous nous passerions très-bien. Ne craignez point cela, dit la première; l'ordre est parfait dans ce pays-là; les chats ont leurs maisons, comme nous les nôtres, et ils ont aussi leurs hôpitaux d'invalides, qui sont à part. » Sur cette conversation, nos deux souris partent ensemble; elles s'embarquent dans un vaisseau qui alloit faire un voyage de long cours, en se coulant le long des cordages le soir de la

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1. On donne le nom de pandiars aux brames qui s'occupent d'astronomie.

veille de l'embarquement. On part; elles sont ravies de se voir sur la mer, loin des terres maudites où les chats exerçoient leur tyrannie. La navigation fut heureuse; elles arrivent à Surate, non pour amasser des richesses, comme les marchands, mais pour se faire bien traiter par les Hindous. A peine furent-elles entrées dans une maison destinée aux souris, qu'elles y prétendirent les premières places. L'une prétendoit se souvenir d'avoir été autrefois un fameux bramin sur la côte de Malabar; l'autre protestoit qu'elle avoit été une belle dame du même pays, avec de longues oreilles. Elles firent tant les insolentes, que les souris indiennes ne purent les souffrir. Voilà une guerre civile. On donna sans quartier sur ces deux Franguis, qui vouloient faire la loi aux autres; au lieu d'être mangées par les chats, elles furent étranglées par leurs propres sœurs.

On a beau aller loin pour éviter le péril; si on n'est modeste et sensé, on va chercher son malheur bien loin: autant vaudroit-il le trouver chez soi.

XX. LE PIGEON PUNI DE SON INQUIÉTUDE

Deux pigeons vivoient ensemble dans un colombier avec une paix profonde. Ils fendoient l'air de leurs ailes, qui paroissoient iminobiles par leur rapidité. Ils se jouoient en volant l'un auprès de l'autre, se fuyant et se poursuivant tour à tour. Puis ils alloient chercher du grain dans l'aire du fermier ou dans les prairies voisines. Aussitôt ils alloient se désaltérer dans l'onde pure d'un ruisseau qui couloit au travers de ces prés fleuris. De là ils revenoient voir leurs pénales dans le colombier blanchi et plein de petits trous: ils y passoient le temps dans une douce société avec leurs fidèles compagnes. Leurs cœurs étoient tendres; le plumage de leurs cous étoit changeant, et peint d'un pus grand nombre de couleurs que l'inconstane Iris. On entendoit le doux murmure de ces heureux pigeons, et leur vie étoit délicieuse. L'un d'eux, se dégoûtant des plaisirs d'une vie paisible, se laissa séduire par une folle ambition, et livra son esprit aux projets de

la politique. Le voilà qui abandonne son ancien ami; il part, il va du côté du Levant. Il passe au-dessus de la mer Méditerranée, et vogue avec ses ailes dans les airs, comme un navire avec ses voiles dans les ondes de Téthys. Il arrive à Alexandrette; de là il continue son chemin, traversant les terres jusqu'à Alep. En y arrivant, il salue les autres pigeons de la contrée, qui servent de courriers réglés, et il envie leur bonheur. Aussitôt il se répand parmi eux un bruit qu'il est venu un étranger de leur nation, qui a traversé des pays immenses. Il est mis au rang des courriers il porte toutes les semaines les lettres d'un bacha attachées à son pied, et il fait vingt-huit lieues en moins d'une journée. Il est orgueilleux de porter les secrets de l'État, et il a pitié de son ancien compagnon, qui vit sans gloire dans les trous de son colombier. Mais un jour, comme il portoit des lettres du bacha, soupçonné d'infidélité par le Grand Seigneur, on voulut découvrir par les lettres de ce bacha s'il n'avoit point quelque intelligence secrète avec les officiers du roi de Perse: une flèche tirée perce le pauvre pigeon, qui d'une aile traînante se soutient encore un peu, pendant que son sang coule. Enfin il tombe, et les ténèbres de la mort couvrent déjà ses yeux : pendant qu'on lui ôte les lettres pour les lire, il expire plein de douleur, condamnant sa vaine ambition, et regrettant le doux repos de son colombier, où il pouvoit vivre en sûreté avec son ami.

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Un jour le jeune Bacchus, que Silène instruisoit, cherchoit les Muses dans un bocage dont le silence n'étoit troublé que par le bruit des fontaines et par le chant des oiseaux. Le soleil n'en pouvoit, avec ses rayons, percer la sombre verdure. L'enfant de Sémélé, pour étudier la langue des dieux, s'assit dans un coin au pied d'un vieux chêne, du tronc duquel plusieurs hommes de l'âge d'or étoient nés. Il avoit même autrefois rendu des oracles, et le temps n'avoit osé l'abattre de sa tranchante faux. Auprès de ce chêne sacré et antique se cachoit un jeune faune, qui

prêtoit l'oreille aux vers que chantoit l'enfant, et qui marquoit à Silène, par un ris moqueur, toutes les fautes que faisoit son disciple. Aussitôt les naïades et les autres nymphes du bois sourioient aussi. Ce critique étoit jeune, gracieux et folâtre; sa tête étoit couronnée de lierre et de pampre; ses tempes étoient ornées de grappes de raisin; de son épaule gauche pendoit sur son côté droit, en écharpe, un feston de licrre; et le jeune Bacchus se plaisoit à voir ces feuilles consacrées à sa divinité. Le faune étoit enveloppé au-dessous de la ceinture par la dépouille affreuse et hérissée d'une jeune lionne qu'il avoit tuée dans les forêts. Il tenoit dans sa main une houlette courbée et noueuse. Sa queue paroissoit derrière comme se jouant sur son dos. Mais comme Bacchus ne pouvoit souffrir un rieur malin, toujours prêt à se moquer de ses expressions, si elles n'étoient pures et élégantes, il lui dit d'un ton fier et impatient : « Comment oses-tu te moquer du fils de Jupiter? » Le faune répondit sans s'émouvoir: << Hé! comment le fils de Jupiter ose-t-il faire quelque faute? »>

XXII.

LE NOURRISSON DES MUSES FAVORISÉ DU SOLEIL

Le Soleil, ayant laissé le vaste tour du ciel en paix, avoit fini sa course, et plongé ses chevaux fougueux dans le sein des ondes de l'Hespérie. Le bord de l'horizon étoit encore rouge comme la pourpre, et enflammé des rayons ardents qu'il y avoit répandus sur son passage. La brûlante canicule desséchoit la terre; toutes les plantes altérées languissoient; les fleurs ternies penchoient leurs têtes, et leurs tiges malades ne pouvoient plus les soutenir; les zéphyrs mêmes retenoient leurs douces haleines; l'air que les animaux respiroient étoit semblable à de l'eau tiède. La nuit, qui répand avec ses ombres une douce fraîcheur, ne pouvoit tempérer la chaleur dévorante que le jour avoit causée: elle ne pouvoit verser sur les hommes abattus et défaillants, ni la rosée qu'elle fait distiller quand Vesper brille à la queue des autres étoiles, ni cette moisson de pavots qui font sentir les charmes du sommeil à toute la nature fatiguée. Le so

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