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XII. LE RENARD PUNI DE SA CURIOSITÉ

Un renard des montagnes d'Aragon, ayant vieilli dans la finesse, voulut donner ses derniers jours à la curiosité. Il prit le dessein d'aller voir en Castille le fameux Escurial, qui est le palais des rois d'Espagne, bâti par Philippe II. En arrivant il fut surpris, car il étoit peu accoutumé à la magnificence; jusqu'alors il n'avoit vu que son terrier et le poulailler d'un fermier voisin, où il étoit d'ordinaire assez mal reçu. Il voit là des colonnes de marlre, là des portes d'or, des bas-reliefs de diamant. Il entra dans plusieurs chambres dont les tapisseries étoient admirables ; on y voyait des chasses, des combats, des fables où les dicux se jouoient parmi les hommes; enfin l'histoire de don Quichotte, où Sancho, monté sur un grison, alloit gouverner l'île que le duc lui avoit confiée. Puis il aperçut des cages où l'on avoit renfermé des lions et des léopards. Pendant que le renard regardoit ces merveilles, deux chiens du palais l'étranglèrent. Il se trouva mal de sa curiosité.

XIII. LES DEUX RENARDS

Deux renards entrèrent la nuit par surprise dans un poulailler; ils étranglèrent le coq, les poules et les poulets; après ce carnage, ils apaisèrent leur faim. L'un, qui était jeune et ardent, voulait tout dévorer; l'autre, qui étoit vieux et avare, vouloit tout garder pour l'avenir. Le vieux disoit : « Mon enfant, l'expérience m'a rendu sage; j'ai vu bien des choses depuis que je suis au monde. Ne mangeons pas tout notre bien en un seul jour. Nous avons fait fortune; c'est un trésor que nous avons trouvé, il faut le ménager. » Le jeune répondoit : « Je veux tout manger pendant que j'y suis, et me rassassier pour huit jours; car pour ce qui est de revenir ici, chansons! il n'y fera pas bon demain; le maître, pour venger la mort de ses poules, nous assommeroit.» Après cette conversation, chacun prend son parti.

Le jeune mange tant qu'il se crève et peut à peine aller mourir dans son terrier. Le vieux, qui se croit bien plus sage de modérer ses appétits et de vivre d'économie, veut le lendemain retourner à sa proie et est assommé par le maître. Ainsi chaque âge a ses défauts: les jeunes gens sont fougueux et insatiables dans leurs plaisirs; les vieux sont incorrigibles dans leur avarice.

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Un dragon gardoit un trésor dans une profonde caverne; il veilloit jour et nuit pour le conserver. Deux renards, grands fourbes et grands voleurs de leur métier, s'insinuèrent auprès de lui par leurs flatteries. Ils devinrent ses confidents. Les gens les plus complaisants et les plus empressés ne sont pas les plus sûrs. Ils le traitoient de grand personnage, admiroient toutes ses fantaisies, étoient toujours de son avis et se moquoient entre eux de leur dupe. Enfin il s'endorinit un jour au milieu d'eux; ils l'étranglèrent et s'emparèrent du trésor. Il fallut le partager entre eux; c'étoit une affaire bien difficile, car deux scélérats ne s'accordent que pour faire le mal. L'un deux se mit à moraliser : « A quoi, disoit-il, nous servira tout cet argent? un peu de chasse nous vaudroit mieux; on ne mange point du métal; les pistoles sont de mauvaise digestion. Les hommes sont des fous d'aimer tant ces fausses richesses; ne soyons pas aussi insensés qu'eux. » L'autre fit semblant d'être touché de ces réflexions, et assura qu'il vouloit vivre en philosophe comme Bias, portant tout son bien sur lui. Chacun fit semblant de quitter le trésor; mais ils se dressèrent des embûches et s'entre-déchirèrent. L'un d'eux en mourant dit à l'autre, qui étoit auss: blessé que lui : « Que voulois-tu faire de cet argent? - La même chose que tu voulois en faire, » répondit l'autre. Un homme passant apprit leur aventure et les trouva bien fous. « Vous ne l'êtes pas moins que nous, lui dit un des renards. Vous ne sauriez, non plus que nous, vous nourrir d'argent, et vous vous tuez pour en avoir. Du moins, notre race jusqu'ici a été assez sage pour ne mettre

en usage aucune monnoie. Ce que vous avez introduit chez vous pour la commodité fait votre malheur. Vous perdez les vrais biens pour chercher les biens imaginaires. >>

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Des moutons étoient en sûreté dans leur parc, les chiens dormoient, et le berger, à l'ombre d'un grand ormeau, jouoit de la flûte avec d'autres bergers voisins. Un loup affamé vint, par les fentes de l'enceinte, reconnoître l'état du troupeau. Un jeune mouton sans expérience, et qui n'avoit jamais rien vu, entra en conversation avec lui: «Que venez-vous chercher ici? dit-il au glouton. L'herbe tendre et fleurie, lui répondit le loup. Vous savez que rien n'est plus doux que de paître dans une verte prairie émaillée de fleurs, pour apaiser sa faim, et d'aller éteindre sa soif dans un clair ruisseau; j'ai trouvé ici l'un et l'autre. Que faut-il davantage? J'aime la philosophie qui enseigne à se contenter de peu. Est-il donc vrai, repartit le jeune mouton, que vous ne mangez point la chair des animaux et qu'un peu d'herbe vous suffit? Si cela est, vivons comme frères et paissons ensemble. » Aussitôt le mouton sort du parc dans la prairie, où le sobre philosophe le mit en pièces et l'avala.

Défiez-vous des belles paroles des gens qui se vantent d'être vertueux. Jugez-en par leurs actions et non par leurs discours.

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Un chat, qui faisoit le modeste, étoit entré dans une garenne peuplée de lapins. Aussitôt toute la république alarmée ne songea qu'à s'enfoncer dans ses trous. Comme le nouveau venu étoit au guet auprès d'un terrier, les députés de la nation lapine, qui avoient vu ses terribles griffes, comparurent daus l'endroit le plus étroit de l'entrée du terrier, pour lui demander ce qu'il prétendoit. Il protesta d'une voix douce qu'il vouloit seulement étudier les mœurs de la nation; qu'en qualité de philosophe, il alloit dans tous les pays pour s'informer des coutumes

de chaque espèce d'animaux. Les députés, simples et crédules, retournèrent dire à leurs frères que cet étranger, si vénérable par son maintien modeste et par sa majestueuse fourrure, étoit un philosophe sobre, désintéressé, pacifique, qui vouloit seulement rechercher la sagesse de pays en pays; qu'il venoit de beaucoup d'autres lieux où il avoit vu de grandes merveilles ; qu'il y auroit bien du plaisir à l'entendre; et qu'il n'avoit garde de croquer les lapins, puisqu'il croyait en bon bramin à la métempsycose et ne mangeoit d'aucun aliment qui eût eu vie. Ce beau discours toucha l'assemblée. En vain un vieux lapin rusé, qui étoit le docteur de la troupe, représenta combien ce grave philosophe lui étoit suspect; malgré lui on va saluer le bramin, qui étrangla du premier salut sept ou huit de ces pauvres gens. Les autres regagnent leurs trous, bien effrayés et bien honteux de leur faute. Alors dom Mitis revint à l'entrée du terrier, protestant, d'un ton plein de cordialité, qu'il n'avoit fait ce meurtre que malgré lui, pour son pressant besoin; que désormais il vivroit d'autres animaux et feroit avec eux une alliance éternelle. Aussitôt les lapins entrent en négociation avec lui, sans se mettre néanmoins à la portée de sa griffe. La négociation dure, on l'amuse. Cependant un lapin des plus agiles sort par les derrières du terrier et va avertir un berger voisin, qui aimoit à prendre dans un lac de ces lapins nourris de genièvre. Le berger, irrité contre ce chat exterminateur d'un peuple si utile, accourt au terrier avec un arc et des flèches; il aperçoit le chat, qui n'étoit attentif qu'à sa proie; il le perce d'une de ses flèches, et le chat expirant dit ces dernières paroles : « Quand on a une fois trompé, on ne peut plus être cru de personne; on est haï, craint, détesté, et on est enfin attrapé par ses propres finesses. >>

XVII. LE LIÈVRE QUI FAIT LE BRAVE

Un lièvre, qui étoit honteux d'être poltron, cherchoit quelque occasion de s'aguerrir. I alloit quelquefois par un trou d'une

haie dans les choux du jardin d'un paysan, pour s'accoutumer au bruit du village. Souvent même il passoit assez près de quelques matins, qui se contentoient d'aboyer après lui. Au retour de ces grandes expéditions, il se croyoit plus redoutable qu'Alcide après tous ses travaux. On dit même qu'il ne rentroit dans son gîte qu'avec des feuilles de laurier et faisoit l'ovation. Il vantoit ses prouesses à ses compères les lièvres voisins. Il représentoit les dangers qu'il avoit courus, les alarmes qu'il avoit données aux ennemis, les ruses de guerre qu'il avoit faites en expérimenté capitaine, et surtout son intrépidité héroïque. Chaque matin il remercioit Mars et Bellone de lui avoir donné des talents et un courage pour dompter toutes les nations à longues oreilles. Jean Lapin, discourant un jour avec lui, lui dit d'un ton moqueur : « Mon ami, je te voudrois voir avec cette belle fierté au milieu d'une meute de chiens courants. Hercule fuiroit bien vite et feroit une laide contenance. - Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerois pas, quand toute la gent chienne viendroit m'attaquer. » A peine eut-il parlé, qu'il entendit un petit tournebroche d'un fermier voisin, qui glapissoit dans les buissons assez loin de lui. Aussitôt il tremble, il frissonne, il a la fièvre, ses yeux se troublent comme ceux de Pâris quand il vit Ménélas qui venoit ardemment contre lui. Il se précipite d'un rocher escarpé dans une profonde vallée, où il pensa se noyer dans un ruisseau. Jean Lapin, le voyant faire le saut, s'écria de son terrier: « Le voilà, ce foudre de guerre! le voilà, cet Hercule qui doit purger la terre de tous les monstres dont elle est pleine! >>

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Un vieux singe maiin étant mort, son ombre descendit dans la sombre demeure de Pluton, où elle demanda à retourner parmi les vivants. Pluton voulut la renvoyer dans le corps d'un âne pesant et stupide, pour lui ôter sa souplesse, sa vivacité et sa malice; mais elle fit tant de tours plaisants et badins, que l'in

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