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mais Aglaor, ayant évité le coup, lui coupa le jarret de son épée; et l'ayant fait tomber, lui ôta la vie. Tout le monde cria victoire; et le prince Aglaor épousa la princesse, avec d'autant plus de contentement qu'il l'avoit délivrée d'un rival aussi terrible qu'incommode.

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Une paysanne connoissoit dans son voisinage une fée. Elle la pria de venir à une de ses couches, où elle eut une fille. La fée prit d'abord l'enfant entre ses bras, et dit à la mère : « Choisissez, elle sera, si vous le voulez, belle comme le jour, d'un esprit encore plus charmant que sa beauté, et la reine d'un royaume, mais malheureuse; ou bien elle sera laide et paysanne comme vous, mais contente dans sa condition. » La paysanne choisit d'abord pour cette enfant la beauté et l'esprit avec une couronne, au hasard de quelque malheur. Voilà la petite dont la beauté commence déjà à effacer toutes celles qu'on avoit déjà vues. Son esprit étoit doux, poli, insinuant; elle apprenoit tout ce qu'on vouloit lui apprendre, et le savoit beaucoup mieux que ceux qui le lui avoient appris. Elle dansoit sur l'herbe, les jours de fête, avec plus de grâce que toutes ses compagnes. Sa voix étoit plus touchante qu'un instrument de musique, et elle faisoit ellemême les chansons qu'elle chantoit. D'abord elle ne savoit point qu'elle étoit belle; mais en jouant avec ses compagnes sur le bord d'une claire fontaine, elle se vit, elle remarqua combien elle étoit différente des autres; elle s'admira. Tout le pays qui accouroit en foule pour la voir, lui fit encore plus connoître ses charmes. Sa mère, qui comptoit sur les prédictions de la fée, la regardoit déjà comme une reine, et la gâtoit par ses complaisances. La jeune fille ne vouloit ni filer, ni coudre, ni garder les moutons, elle s'amusoit à cueillir des fleurs, à en parer sa tête, à chanter, à danser à l'ombre des bois. Le roi de ce payslà étoit fort puissant, et il n'avoit qu'un fils nommé Rosimond, qu'il vouloit marier. Il ne put jamais se résoudre à entendre

parler d'aucune princesse des États voisins, parce qu'une féc lui avoit assuré qu'il trouveroit une paysanne plus belle et plus parfaite que toutes les princesses du inonde. Il prit résolution de faire assembler toutes les jeunes villageoises de son royaume, au-dessous de dix-huit ans, pour choisir celle qui seroit la plus digne d'être choisie. On exclut d'abord une quantité innombrable de filles qui n'avoient qu'une médiocre beauté, et on en sépara trente qui surpassoient infiniment toutes les autres. Florise (c'est le nom de notre jeune fille) n'eut pas de peine à être mise dans le nombre. On rangea ces trente filles au milieu d'une grande salle, dans une espèce d'amphithéâtre où le roi et son fils les pouvoient regarder toutes à la fois. Florise parut d'abord, au milieu de toutes les autres, ce qu'une belle anémone paroîtroit parmi des soucis, ou ce qu'un oranger fleuri paroîtroit au milieu des buissons sauvages. Le roi s'écria qu'elle méritoit sa couronne. Rosimond se crut heureux de posséder Florise. On lui ôta ses habits du village, on lui en donna qui étoient tout brodés d'or. En un instant elle se vit couverte de perles et de diamants. Un grand nombre de dames étoient occupées à la servir. On ne songeoit qu'à deviner ce qui pouvoit lui plaire, pour le lui donner avant qu'elle eût la peine de le demander. Elle étoit logée dans un magnifique appartement du palais, qui n'avoit, au lieu de tapisseries, que de grandes glaces de miroir de toute la hauteur des chambres et des cabinets, afin qu'elle eût le plaisir de voir sa beauté se multiplier de tous côtés, et que le prince pût l'admirer en quelque endroit qu'il jetât les yeux. Rosimond avoit quitté la chasse, le jeu, tous les exercices du corps, pour être sans cesse auprès d'elle: et comme le roi son père étoit mort bientôt après le mariage, c'étoit la sage Florise devenue reine, dont les conseils décidoient de toutes les affaires de l'État. La reine, mère du nouveau roi, nommée Gronipote, fut jalouse de sa belle-fille. Elle étoit artificieuse, maligne, cruelle. La vieillesse avoit ajouté une affreuse difformité à sa laideur naturelle, et elle ressembloit à une furie. La beauté de Florise la faisoit paroître encore plus hideuse, et l'irritoit à tout moment: elle

ne pouvoit souffrir qu'une si belle personne la défigurât. Elle craignoit aussi son esprit, et elle s'abandonna à toutes les fureurs de l'envie. « Vous n'avez point de cœur, disoit-elle souvent à son fils, d'avoir voulu épouser cette petite paysanne; et vous avez la bassesse d'en faire votre idole; elle est fière comme si elle étoit née dans la place où elle est. Quand le roi votre père voulut se marier, il me préféra à toute autre, parce que j'étois la fille d'un roi égal à lui. C'est ainsi que vous devriez faire. Renvoyez cette petite bergère dans son village, et songez à quelque jeune princesse dont la naissance vous convienne. >> Rosimond résistoit à sa mère: mais Gronipote enleva un jour un billet que Florise écrivoit au roi, et le donna à un jeune homme de la cour, qu'elle obligea d'aller porter ce billet au roi, comme si Florise lui avoit témoigné toute l'amitié qu'elle ne devoit avoir que pour le roi seul. Rosimond, aveuglé par sa jalousie et les conseils malins que lui donna sa mère, fit enfermer Florise pour toute sa vie dans une haute tour bâtie sur la pointe d'un rocher qui s'élevoit dans la mer Là elle pleuroit nuit et jour, ne sachant par quelle injustice le roi, qui l'avoit tant aimée, la traitoit si indignement. Il ne lui étoit permis de voir qu'une vieille femme à qui Gronipote l'avait confiée, et qui lui insultoit à tout moment dans cette prison. Alors Florise se ressouvint de son village, de sa cabane et de tous ses plaisirs champêtres. Un jour, pendant qu'elle étoit accablée de douleur et qu'elle déploroit l'aveuglement de sa mère, qui avoit mieux aimé qu'elle fût belle et reine malheureuse que bergère laide et contente dans son état, la vieille qui la traitoit si mal vint lui dire que le roi envoyoit un bourreau pour lui couper la tête, et qu'elle n'avoit plus qu'à se résoudre à la mort. Florise répondit qu'elle étoit prête à recevoir le coup. En effet, le bourreau envoyé par les ordres du roi, sur les conseils de Gronipote, tenoit un grand coutelas pour l'exécution, quand il parut une femme qui dit qu'elle venoit de la part de cette reine pour dire deux mots en secret à Florise avant sa mort. La vieille la laissa parler à elle, parce que cette personne lui parut une des dames du palais,

mais c'étoit la fée qui avoit prédit les malheurs de Florise à sa naissance, et qui avoit pris la figure de cette dame de la reine mère. Elle parla à Florise en particulier, en faisant retirer tout le monde. « Voulez-vous, lui dit-elle, renoncer à la beauté qui vous a été si funeste? Voulez-vous quitter le titre de reine, reprendre vos anciens habits, et retourner dans votre village? » Florise fut ravie d'accepter cette offre. La fée lui appliqua sur le visage un masque enchanté aussitôt les traits de son visage devinrent grossiers et perdirent toute leur proportion; elle devint aussi laide qu'elle avoit été belle et agréable. En cet état, elle n'étoit plus reconnoissable, et elle passa sans peine au travers de tous ceux qui étoient venus là pour être témoins de son supplice; elle suivit la fée et repassa avec elle dans son pays. On eut beau chercher Florise, on ne la put trouver en aucun endroit de la tour. On alla en porter la nouvelle au roi et à Gronipote, qui la firent encore chercher, mais inutilement, par tout le royaume. La fée l'avoit rendue à sa mère, qui ne l'eût pas connue dans un si grand changement, si elle n'en eùt été avertie. Florise fut contente de vivre laide, pauvre et inconnue dans son village, où elle gardoit des moutons. Elle entendoit tous les jours raconter ses aventures et déplorer ses malheurs. On en avoit fait des chansons qui faisoient pleurer tout le monde; elle prenoit plaisir à les chanter souvent avec ses compagnes, et elle en pleuroit comme les autres; mais elle se croyoit heureuse en gardant son troupeau, et elle ne voulut jamais découvrir à personne qui elle étoit.

V.

HISTOIRE DU ROI ALFAROUTE ET DE CARIPHILE

Il y avoit un roi nommé Alfaroute, qui étoit craint de tous ses voisins et aimé de tous ses sujets. Il étoit sage, bon, juste, vaillant, habile; rien ne lui manquoit. Une fée vint le trouver et lui dire qu'il lui arriveroit bientôt de grands malheurs, s'il ne se servoit pas de la bague qu'elle lui mit au doigt. Quand il tournoit le diamant de la bague en dedans de sa main, il devenoit d'a

bord invisible; et dès qu'il le retournoit en dehors, il étoit visible comme auparavant. Cette bague lui fut très commode et lui fit grand plaisir. Quand il se défioit de quelqu'un de ses sujets, il alloit dans le cabinet de cet homme, avec son diamant tourné en dedans; il entendoit et il voyoit tous les secrets domestiques sans être aperçu. S'il craignoit les desseins de quelque roi voisin de son royaume, il s'en alloit jusque dans ses conseils les plus secrets, il apprenoit tout sans être découvert. Ainsi il prévenoit sans peine tout ce qu'on vouloit faire contre lui; il détourna plusieurs conjurations formées contre sa personne, et déconcerta ses ennemis qui vouloient l'accabler. Il ne fut pourtant pas content de sa bague, et il demanda à la fée un moyen de se transporter en un moment d'un pays dans un autre, pour pouvoir faire un usage plus prompt et plus commode de l'anneau qui le rendoit invisible. La fée lui répondit en soupirant : << Vous en demandez trop! craignez que ce dernier don ne vous soit nuisible.» Il n'écouta rien et la pressa toujours de le lui accorder. «Eh bien, dit-elle, il faut donc, malgré moi, vous donner ce que vous vous repentirez d'avoir. » Alors elle lui frotta les épaules d'une liqueur odoriférante. Aussitôt il sentit de petites ailes qui naissoient sur son dos. Ces petites ailes ne paroissoient point sous ses habits; mais quand il avoit résolu de voler, il n'avoit qu'à les toucher de la main, aussitôt elles devenoient si longues, qu'il étoit en état de surpasser infiniment le vol rapide d'un aigle. Dès qu'il ne vouloit plus voler, il n'avoi qu'à retoucher ses ailes : d'abord elles se rapetissoient, en sorte qu'on ne pouvoit les apercevoir sous ses habits. Par ce moyen, le roi alloit partout en peu de moments: il savoit tout, et on ne pouvoit concevoir par où il devinoit tant de choses; car il se renfermoit et paroissoit demeurer toute la journée dans son cabinet, sans que personne osât y entrer. Dès qu'il y étoit, il se rendoit invisible par sa bague, étendoit ses ailes en les touchant, et parcouroit des pays immenses. Par là, il s'engagea dans de grandes guerres où il remporta toutes les victoires qu'il voulut; mais comme il voyoit sans cesse les secrets des hommes,

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